Un statut pour les élèves avocats, une urgence et une nécessité absolue

PAR Amine Ghenim - Ancien Bâtonnier de Bobigny, ancien membre du CNB, SAF Bobigny | Mélanie Luce - Élève avocate, SAF Paris

Pour le Syndicat des Avocats de France, la nécessité de doter les élèves avocats d’un statut est plus que jamais une priorité absolue.

Pendant leur formation, les élèves avocats rencontrent une précarité importante : ni étudiants, ni travailleurs, ni avocats, ils ne disposent d’aucun statut. Ils ont d’ailleurs adressé un courrier en ce sens au Conseil National des Barreaux au printemps 2023.
Depuis de nombreuses années, l’article 12 de la loi du 31 décembre 1971 dispose expressément que la formation de l’élève avocat peut être dispensée dans le cadre du contrat d’apprentissage prévu par le Code du travail1.
Des travaux ont déjà été conduits par le CNB, mais n’ont pu aboutir en raison de l’inadéquation des textes régissant l’apprentissage avec les spécificités de notre profession.

Dessin d’une éléève avocate entourée de deux avocats du SAF

La loi du 5 septembre 2018 : de nouvelles opportunités

Dite loi « Avenir professionnel » elle a ouvert des perspectives nouvelles notamment en facilitant le financement du contrat d’apprentissage. Depuis janvier 2021, la contribution unique à la formation professionnelle et à l’alternance est intégralement collectée par les Urssaf qui la reversent à l’organisme France compétences, lequel se charge ensuite de sa répartition à des opérateurs de compétences en charge de financer les contrats d’apprentissage. Le financement est désormais garanti par un système de péréquation nationale interbranche assuré par France compétences.
Le SAF avait d’ailleurs confié dans ce cadre une étude de faisabilité au professeur Cyril Wolmarck, enseignant à l’université de Nanterre.
Dans ce nouveau contexte, et à la lumière des opportunités nouvelles ouvertes par la loi « Avenir professionnel », la Commission formation du CNB a engagé, dès le début de la dernière mandature, des travaux pour déterminer s’il était possible de faire bénéficier les élèves avocats du régime de l’apprentissage.2
Après une période de concertation, l’assemblée générale du CNB du 16 octobre 2023 a adopté à l’unanimité un rapport soulignant la possibilité de mettre en place le contrat d’apprentissage au bénéfice des élèves avocats. Elle a aussi émis le souhait de voir la prochaine mandature du CNB (2024-2026) continuer d’approfondir la réflexion sur le contrat d’apprentissage et/ou d’autres alternatives visant à aboutir à un statut de l’élève avocat.

 

Le régime de l’apprentissage

Il ressort de ces travaux que le régime de l’apprentissage présenterait de nombreux avantages pour les élèves avocats, les cabinets d’accueil, les écoles d’avocats et la profession en général.

Pour les élèves avocats
Le régime de l’apprentissage permet également avec l’alternance de renforcer le caractère professionnalisant de la formation et donc une meilleure préparation à l’exercice de la profession.
Pendant sa formation, avec ce régime, l’élève avocat disposerait enfin d’un statut, celui d’apprenti.
À la différence du stage actuel, les heures de stage et de formation à l’école seraient assimilées à du temps de travail ouvrant des droits au titre de la retraite ; l’élève avocat aurait accès à la médecine du travail ; il bénéficierait de congés payés (5 semaines par an auxquelles s’ajouterait 1 semaine de congés supplémentaires pour préparer l’examen du CAPA).
Sur le plan financier, le contrat d’apprentissage permettrait à l’élève avocat de disposer de revenus et de bénéficier d’une formation gratuite (alors que le règlement des droits d’inscription est aujourd’hui de l’ordre de 1 825 euros).

Pour les cabinets
Avec le contrat d’apprentissage, les cabinets pourraient recruter un élève avocat sur une période plus longue de douze mois selon des modalités arrêtées par chaque école. Ainsi, alors qu’actuellement beaucoup de cabinets ont des difficultés à accueillir des stagiaires pendant le second semestre chaque année, ils auraient l’assurance d’accueillir des élèves avocats en continu. Le contrat d’apprentissage pourrait aussi apporter une réponse à certaines difficultés actuelles de recrutement d’avocats collaborateurs, puisqu’il permettrait de fidéliser les élèves avocats sur 12 mois.

Pour la profession
Aujourd’hui, la contribution de la profession au financement de la formation professionnelle est de 11,1 millions d’euros ; la mise en place de l’apprentissage garantirait un financement public total de la formation et permettrait donc des économies substantielles pour la profession qui pourraient demain être utilisées pour améliorer la qualité de la formation (formation des intervenants, utilisations d’outils pédagogiques performants, etc.).
Même si elle soulève de nombreuses interrogations en raison de sa portée et de son ampleur, et même si certaines questions doivent encore être approfondies, la mise en place de l’apprentissage dans un bref délai est tout à fait possible.
Le rapport adopté par l’assemblée générale du CNB le 16 octobre 2023, fait émerger ces questions et préconise déjà des solutions et alternatives dont pourrait se saisir l’actuelle mandature (écart de rémunération entre les apprentis âgés de plus ou moins 26 ans, problèmes spécifiques aux étudiants des territoires ultra marins, consécration du Bâtonnier comme médiateur et compétence du Bâtonnier en cas de contentieux…).
Si le rapport présenté par la commission formation a été adopté à l’unanimité, la résolution qui l’accompagnait a ouvert la voie à la réflexion sur des alternatives au contrat d’apprentissage : le statut d’étudiant ou un statut spécifique aux élèves avocats.

 

Le statut d’étudiant : une solution ?

Le SAF considère pour sa part que le statut d’étudiant, outre le fait qu’il est totalement inadapté à nos spécificités (organisation des enseignements et des examens, jury d’examen, etc.), ne traite d’aucune façon la question essentielle de la précarité des élèves avocats, dont les situations sont multiples (sortie d’étude, fin de contrat de travail, inactivité etc.).

 

Un statut dérogatoire d’apprenti et spécifique aux élèves avocats ?

Il fait également partie des alternatives envisagées.
Le SAF n’y est pas favorable en l’état ! Un décret attendu depuis… 2015 portant sur de simples modifications du texte en vigueur relatif à la formation des élèves avocats vient enfin d’être publié le 1er décembre 2023 dernier au Journal Officiel. Élaborer des textes créant un régime d’apprentissage spécifique aux élèves avocats et dans des délais raisonnables semble à la fois incertain et illusoire.
Le contrat d’apprentissage est déjà adossé à des textes législatifs et réglementaires existants, aux termes desquels la question du financement notamment est déjà réglée.
La nécessité d’aboutir rapidement à un statut de l’élève avocat est largement partagée dans la profession. Il en va de l’attractivité de la profession et de son avenir. La voie de l’apprentissage dans son régime général déjà établi nous semble la plus indiquée. Ce régime est déjà prévu par des dispositions légales et réglementaires, éprouvé, largement financé, et il peut donc être mis en œuvre à court terme. Ce qui reste à travailler et approfondir ne constitue nullement des obstacles majeurs.

Il est urgent de pallier l’absence totale de statut pour nos élèves avocats et le déroulement de la formation en alternance est indiscutablement une garantie pour une formation de qualité.

Notes et références

1. Le contrat d’apprentissage est un contrat de travail conclu entre un employeur et un salarié. L’apprentissage repose sur le principe de l’alternance avec des cours en centre de formation d’apprentis (CFA) et un enseignement du métier chez l’employeur (avec lequel le contrat est conclu). Son objectif est d’apprendre un métier et acquérir un titre à finalité professionnelle inscrit au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP).
2. Résolution et rapport adoptés le 16 octobre 2023

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