Procédure d’appel quand simplification rime avec complexification

PAR David Van der Vlist
Élu au CNB, SAF Paris

Façade de la cour d’appel

Le 29 décembre 2023, le gouvernement prenait un nouveau décret « portant simplification de la procédure d’appel en matière civile » applicable aux appels et saisines sur renvoi après cassation à compter du 1er septembre 2024. Pourtant, alors que l’objectif visait à simplifier la procédure, il n’a pu s’empêcher… de la complexifier.

 

Un constat connu : la procédure d’appel est devenue un obstacle à l’accès au juge

Les effets de la procédure Magendie sont largement connus : la procédure d’appel à représentation obligatoire en matière civile est devenue un terrain miné. Nous le constatons tous dans notre pratique : multiplication des délais à surveiller à peine de caducité ou d’irrecevabilité, formalisme de plus en plus strict poussé à l’absurde (nécessité de rappeler qu’on demande l’infirmation du jugement dans nos conclusions d’appelant prises suite à une déclaration d’appel mentionnant les chefs de jugement dont l’infirmation est demandée à peine de confirmation…), multiplication des incidents, etc.
Les justiciables et avocats en sont les premières victimes. Les dernières données chiffrées de la chancellerie datant de juillet 2019 faisaient apparaître :

  • 14 505 déclarations d’appel par an déclarées caduques ou irrecevables (12,5 % des appels, soit 1 justiciable sur 8), chiffre en constante augmentation ;
  • Une augmentation constante de la durée moyenne de jugement est passée de 11,4 mois en 2009 à 13,3 mois en 2017 ;
  • Une explosion des déclarations de sinistre en dépit du fait qu’ils ne couvrent que 8 % du nombre de déclarations d’appel caduques ou irrecevables, laissant les justiciables supporter seuls les conséquences de ces chausse-trappes…

Pour autant, de nombreux écueils ne sont pas comptabilisés :

  • Les irrecevabilités des conclusions ;
  • Les confirmations automatiques liées à l’omission de chefs de jugement dans la déclaration d’appel ou dans le dispositif des écritures…

La France a reçu un sévère avertissement de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans l’arrêt Lucas c./ France1 rendu à l’unanimité en juin 2022, elle a jugé que le formalisme imposé pour le recours en annulation d’une sentence arbitrale violait l’article 6 de la convention. Cette condamnation est d’autant plus remarquable que la Cour a décidé de se prononcer, en dépit du fait que ce moyen n’avait pas été invoqué devant les juridictions nationales, ce qui aurait dû conduire à son irrecevabilité.

 

Une simplification de façade

Alors qu’Éric Dupond-Moretti avait promis une grande réforme des décrets Magendie « car ils sont trop contraignants, notamment pour les avocats »2 et de « desserrer les délais de procédures prévus à ces décrets, dont la rigidité pénalise les avocats et les justiciables »3, le décret du 29 décembre 20234 est loin de remplir cet objectif, bien au contraire.
Si l’on peut saluer des efforts de réécriture pour simplifier la lecture (remplacement de la notion de « chefs de jugement » par celle de « chefs de dispositifs du jugement » dans la déclaration d’appel, suppression des renvois au pouvoir du juge de la mise en état en y substituant des dispositions propres au pouvoir du conseiller de la mise en état…), les avancées concrètes sont particulièrement maigres. Il s’agit essentiellement :

  • De la modification de la procédure à bref délai (ex : procédure 905 du code de procédure civile devenant 906) et de la procédure sur renvoi après cassation à représentation obligatoire (1037-1 du code de procédure civile), pour doubler le délai de signification des déclarations d’appel et de saisine (20 jours contre 10 antérieurement) et les délais de conclusions (alignement sur le délai de 2 mois au lieu d’1 en circuit 905) ;
  • De la faculté d’ajouter des chefs de jugement omis dans la déclaration d’appel, en étendant l’appel dans les premières conclusions, au lieu de refaire une nouvelle déclaration d’appel ;
  • De la faculté offerte au juge d’augmenter les délais laissés aux parties pour conclure.

La Chancellerie est restée sourde aux demandes du SAF et du CNB réclamant notamment :

  • La modification du régime des sanctions pour imposer, a minima que les caducités et irrecevabilités soient précédées d’une injonction de régularisation ;
  • La suppression de l’obligation de mentionner les chefs de jugement dans la déclaration d’appel (dont on peine à voir la pertinence si les conclusions peuvent restreindre ou étendre le champ de l’appel) ;
  • L’absence de sanction en cas d’omission du terme « infirmer » dans le dispositif des conclusions.
    En définitive, les avancées restent bien maigres.

 

Les nouvelles sources de formalisme

A contrario, le décret ne peut s’empêcher d’ajouter au formalisme. On peut notamment citer :

  • L’obligation de mentionner dans la déclaration d’appel la demande d’« infirmation » ou d’« annulation du jugement » (art. 901 6° et art. 933 5° du code de procédure civile5), alors que la Cour de cassation avait écarté cette interprétation6. La sanction n’est pas encore connue ;
  • L’obligation pour l’appelant de mentionner dans le dispositif «  s’il demande l’annulation ou l’infirmation du jugement et énonce, s’il conclut à l’infirmation, les chefs du dispositif du jugement critiqués, et dans lequel l’ensemble des parties récapitule leurs prétentions » (art. 954 nouveau du code de procédure civile7), alors que la Cour de cassation avait écarté cette interprétation8.
    Il est à craindre que cette omission entraîne l’absence d’examen de la demande d’infirmation. Ces nouveaux écueils procéduraux ne manqueront pas d’être source de nouveaux incidents et risquent d’entraver d’autant l’accès au juge d’appel.
    Opposé à ce nouveau tour de vis, le Syndicat des Avocats de France et le Syndicat de la Magistrature ont décidé de former un recours devant le Conseil d’État.
    Nous continuerons à porter le combat pour des règles procédurales visant à permettre l’accès au droit au lieu de l’entraver.

Notes et références

1. CEDH 9 juin 2022, XAVIER LUCAS c. France requête n°15567/20
2. Compte rendu de la commission des lois de l’AN du 10 janvier 2023
3. Conférence de presse du jeudi 5 janvier 2023 citée par A. Dumourier, Eric Dupond-Moretti dévoile son plan d’action pour la justice, Le Monde Du Droit 5 janvier 2023
4. Décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile
5. Version applicable à partir du 1er septembre 2024
6. Cass. Civ.2, 25 mai 2023, n°21-15.842
7. Version applicable à partir du 1er septembre 2024
8. Cass. Civ2, 3 mars 2022, n°20-20.017

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