Loi immigration – intégration, que peut-on encore contester ?

PAR Serge Slama
Professeur de droit public Université Grenoble-Alpes, affilié à l’Institut Convergences migrations – Invité

Le 26 janvier 2024, le Président de la République a promulgué de New Delhi, où il se trouvait pour une visite d’État, la loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » expurgée de 35 dispositions déclarées par le Conseil constitutionnel contraires à la Constitution
(déc. n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024).

 

Pour les 32 dispositions censurées parce qu’elles constituaient des « cavaliers législatifs », il n’est pas exclu qu’elles puissent revenir à l’occasion d’autres textes de loi (v. déjà la proposition N° 289 rect. portant diverses dispositions en matière d’immigration et d’intégration déposée le 29 janvier 2024 au Sénat).
En outre, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution pour des motifs de fond trois dispositions (débat annuel sur les quotas d’immigration ; contrainte par corps pour prendre les empreintes des étrangers contrôlés aux frontières par un officier de police judiciaire, sans autorisation du Parquet et restriction aux seuls titres « de plein droit » de la possibilité en cas d’élément nouveau d’introduire dans le délai d’un an une demande de titre de séjour en cas d’examen « à 360° ») et émis deux réserves d’interprétation (sur l’examen « à 360° » et sur les assignations à résidence longue durée). Il n’est toutefois pas exclu que la contrainte par corps pour la prise d’empreintes revienne dans un futur texte de loi dès lors que le législateur aura apporté les garanties exigées.
Le juge constitutionnel a aussi validé au fond une dizaine de dispositions, portant essentiellement sur l’affaiblissement des garanties face à la « double-peine », le contrat d’engagement au respect des principes de la République, l’élargissement de l’obligation pour l’OFII de retrait du bénéfice des conditions matérielles d’accueil, l’extension du recours à la visioconférence ou encore la fin de collégialité par principe des jugements de la CNDA. La validation au fond de ces dispositions empêche de faire des QPC – sauf en cas de changement de circonstances. Pour ces dispositions, il est néanmoins possible de systématiser, dans le contentieux individuel ou dans un contentieux contre les décrets ou circulaires d’application, les exceptions d’inconventionnalité, en particulier la violation de la Convention européenne des droits de l’homme (articles 3 et 8), des pactes universels et conventions sectorielles des Nations-Unies, de la législation européenne (règlements et directives sur l’asile) mais aussi, lorsqu’on est dans le champ du droit de l’UE, de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Il est également nécessaire de suivre attentivement l’adoption du Pacte asile – immigration car il procède à une réforme globale dans l’ensemble de la législation européenne en la matière souvent par l’adoption de nouveaux règlements qui rendront, dès leur entrée en vigueur, caduques les dispositions contraires du CESEDA.
En revanche, la demi-douzaine de dispositions qui ont été critiquées par les saisines uniquement pour des motifs procéduraux – principalement parce qu’elles auraient constitué des cavaliers – sans que le Conseil constitutionnel ne procède à leur examen sur le fond peuvent toujours faire l’objet d’une QPC. En effet, le juge constitutionnel ne s’est prononcé sur celles-ci que dans les motifs et non dans le dispositif de sa décision (Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, art. 23-2). On pense en particulier aux dispositions :

  • de l’article 39 de la loi sur le recueil, au sein d’un fichier, des empreintes digitales et de la photographie relevées sur des mineurs non accompagnés à l’encontre desquels il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’ils aient pu participer, comme auteurs ou complices, à des infractions à la loi pénale (CESEDA, art. L. 142‑3‑1) ;
  • de l’article 44 qui excluent les étrangers majeurs de moins de 21 ans et les mineurs émancipés de l’aide sociale à l’enfance s’ils sont visés par une OQTF (CASF, art. L. 222‑5) ;
  • de l’article 47 qui prévoient la possibilité de refuser le visa de long séjour et certains visas de court séjour aux ressortissants d’un État coopérant insuffisamment en matière de réadmission de ses ressortissants en situation irrégulière ou ne respectant pas un accord bilatéral ou multilatéral de gestion des flux migratoires (art. L. 312-1-1 et L. 312-3-1) ;
  • de l’article 51 définissant de nouveaux cas de « risque de fuite » justifiant le placement en rétention des demandeurs d’asile « dublinés » (art. L. 751‑10) ;
  • et de l’article 63 qui prévoit la clôture de l’instruction par l’OFPRA lorsque la personne abandonne le lieu d’hébergement qui lui a été désigné par l’OFII (art. L. 531‑36, L. 531‑38 et L. 531‑39).

Enfin n’ont pas du tout été contrôlées – malgré les contributions extérieures donnant au Conseil constitutionnel des arguments pour le faire – pas moins de 38 dispositions notamment :

  • celles de l’article 7 ajoutant des cas de refus/retrait de cartes de séjour temporaire ou pluriannuelle ;
    des articles 20 et 21 sur les exigences en matière de langue et le non renouvellement au-delà de trois cartes de séjour temporaires notamment l’exigence – proprement hallucinante – que « S’il est parent, l’étranger s’engage […] à assurer à son enfant une éducation respectueuse des valeurs et des principes de la République […] » ;
  • de l’article 23 sur la possibilité pour l’employeur de proposer des cours de français, en les décomptant du temps de travail ;
  • de l’article 29 subordonnant à un droit au séjour le statut d’entrepreneur individuel ;
  • de l’article 34 prévoyant des amendes administratives pour l’employeur ;
  • de l’article 36 empêchant les étrangers sous le coup d’une mesure d’éloignement de bénéficier de la libération sous contrainte ;
  • de l’article 41 sur l’assignation à résidence ou le placement en rétention des demandeurs d’asile ;
  • de l’article 56 permettant l’utilisation du Fichier européen (EES) pour les compagnies de transport pour leurs obligations de vérification de document de voyage et visa ;
  • de l’article 57 ajoutant des données concernant les équipages et passagers des transports maritimes et ferroviaires au fichier de traitement automatisé des données recueillies lors des déplacements internationaux pour la lutte contre l’immigration clandestine ;
  • de l’article 59 sur le contrôle des véhicules aux frontières ;
  • de l’article 60 sur l’allongement de l’interdiction de retour
  • et surtout celles de l’article 61 empêchant la délivrance d’un visa à l’étranger qui a fait l’objet d’une OQTF les cinq dernières années s’il n’avait pas respecté le délai de départ ;
  • et de l’article 64 sur la systématisation de l’OQTF pour les étrangers dont l’asile a été refusé
  • ou encore de l’article 80 aménageant des exceptions outre-mer.

Il s’agit là de dispositions particulièrement scélérates, issues soit d’amendements au texte par le Sénat ou la Commission mixte paritaire, soit même du projet de loi initial. Elles devront être combattues aussi bien par le dépôt de QPC, d’exceptions d’inconventionnalité, portant en particulier sur leur unionité. Ce combat par le droit apparaît nécessaire tant qu’une alternance n’aura pas permis d’obtenir leur abrogation par le Parlement.

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