JO 2024 : « Plus vite, plus haut, plus fort ! » Réprimons !

PAR Agathe Grenouillet
SAF Seine-Saint-Denis

ET Guillaume Arnaud
Membres de l’équipe de coordination, SAF Seine-Saint-Denis

« Citius, altius, fortius » (« Plus vite, plus haut, plus fort ») : la devise des Jeux olympiques semble être également devenue l’objectif assumé de la politique pénale répressive « JO ». Si les JO de Paris semblent soulever des enjeux de sécurité importants, ils servent aussi et surtout à la mise en œuvre de politiques sécuritaires et répressives exceptionnelles, qui tendront à se pérenniser et incorporer le droit commun. Si les tribunaux et services de polices des différents départements accueillant des événements sportifs communiquent sur l’organisation mise en place pour répondre à l’objectif « Délinquance zéro », les avocats se mobilisent également pour organiser la défense pénale d’urgence pendant cette période.

 

Objectif JO « Délinquance zéro » : la mise en place d’une politique pénale de mise à l’écart organisée et de répression accrue

L’accueil des Jeux olympiques, s’il pouvait être présenté comme un moment de fête des sports, semble aujourd’hui aussi être le parfait prétexte à des expérimentations à grande échelle de contrôle et de répression des populations (mise en œuvre d’un maintien de l’ordre strict, militarisation de l’espace public et intensification des mesures de surveillance).
Le vote de la Loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 20241 a donné le ton sécuritaire qui serait dès lors consubstantiel à ce « méga-événement2 » : « Afin que les Jeux se déroulent dans les meilleures conditions de sécurité, ce texte renforce les outils à la disposition des pouvoirs publics, d’abord en matière de vidéoprotection, en facilitant l’identification de situations dangereuses pour la sécurité des personnes par les forces de sécurité au moyen de traitements par algorithme (…). Afin de prévenir et de sanctionner davantage les violences commises à l’occasion des manifestations sportives, le texte accroît les peines individuelles applicables3 ». Entre sécurité/répression et liberté, le Législateur a fait son choix.
Ainsi, la surveillance algorithmique trouve notamment dans les JO un terrain de jeux propice à son essor, avec tout ce qu’elle induit de modélisation de comportements à risque, de détermination par le Législateur de la bonne manière et mauvaise manière d’être dans l’espace public. À titre d’exemple, le décret (qui a suivi la loi JO) relatif aux modalités de mise en œuvre des traitements algorithmiques sur les images collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection, liste notamment comme un comportement à risque le fait, pour un piéton, de ne pas respecter le sens commun de circulation4
Plus récemment, une proposition de loi a été déposée et adoptée en première lecture par le Sénat le 13 février 20245, visant à punir de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende « le fait pour toute personne de mendier sur le domaine public ferroviaire et à bord des trains », avec des peines complémentaires d’interdiction de paraître dans les réseaux de transport.
Les JO amènent ainsi dans leur sillage une politique pénale répressive évolutive dont le but principal est la pose d’un vernis sécuritaire et une mise à l’écart de ce que l’on ne peut, ne veut plus voir dans l’espace public (déplacement des « sans-titre administratif », interdictions de paraître et de séjour, prononcées contre les « indésirables » par les juridictions, familles dans des fortes situations de précarité expulsées…).

 

Faites place nette, la vitrine JO doit être reluisante.

Laurent Nuñez, Préfet de police de Paris, a indiqué que l’objectif était de progressivement « saturer l’espace public de policiers » jusqu’à l’ouverture de l’évènement le (26 juillet 2024). La Seine-Saint-Denis est bien évidemment impactée puisque le département accueillera plusieurs sites olympiques. De janvier à octobre 2023, 2 000 opérations ont été menées et ont conduit à 400 gardes à vue.
En juillet 2023, un rapport d’information parlementaire avait mis en lumière la difficulté de réponse pour le tribunal judiciaire de Bobigny à l’opération « zéro délinquance ». Depuis, des moyens ont été alloués et une troisième chambre de comparutions immédiates commencera à siéger cet été. La défense, elle aussi, s’organise.

 

Une défense pénale d’urgence dans le temps des Jeux Olympiques
L’exemple du Barreau de la Seine-Saint-Denis

Face à ce tout policier/répressif, le Barreau de la Seine-Saint-Denis, sous l’impulsion de madame la Bâtonnière Stéphanie Chabauty, a quant à lui décidé de changer son organisation en matière de défense d’urgence et de commissions d’offices.

Une permanence OQTF
Ainsi, déjà depuis quelques mois, a été mis en place une « permanence OQTF » en lien avec la permanence pénale afin de contester les Obligations de Quitter le Territoire Français « sans délai » notifiées au cours des gardes à vue et dont la possibilité de recours expire bien souvent concomitamment à la fin de l’audience pénale. Depuis plusieurs mois, ces OQTF sont quasi systématiquement notifiées aux personnes « sans titre » déférées au sein du tribunal judiciaire de Bobigny, dans la droite ligne de l’objectif de mise à l’écart des « indésirables ».
Au-delà de cette question qui relève d’une volonté d’empêcher tout exercice de voie de recours et de droits de la défense, il peut être ajouté qu’a déjà été tentée et le sera encore sûrement la retenue de certaines personnes condamnées (ou non) après l’audience pour lesquelles la juridiction avait pourtant ordonné la remise en liberté, le temps que les agents de la police aux frontières arrivent au tribunal. Un ordre de mise en liberté qui devait finalement s’effacer devant les directives préfectorales… Une pratique qui a pu rappeler à la défense de Bobigny que sa mission de vigilance ne s’arrêtait pas au prononcé d’un délibéré et que le sort des personnes déférées n’était pas dans les seules mains des magistrats judiciaires…

L’équipe des « 16 » en charge de la permanence pénale au quotidien
Plus largement, le Barreau a décidé de désigner une équipe de 16 coordinateurs pénaux soit 4,57 % du barreau, dont les champs de compétences recouvrent les principales problématiques qui vont se dérouler durant les prochains mois. « Les 16 », désignés pour une période d’une année (février 2024 à janvier 2025) exercent tant en matière de justice des mineurs, qu’en droit administratif et bien sûr qu’en droit pénal général. Ils seront chargés quotidiennement, chacun leur tour, d’assurer le fonctionnement de la permanence pénale et de diriger le travail de l’équipe des six avocats de permanence (deux avocats pour les déférés mineurs, quatre avocats pour les déférés majeurs). L’équipe des 16 est également chargée d’organiser de nombreuses formations à destination des confrères intervenant lors des permanences pénales (habilitations des services de police à consulter certains fichiers, vidéosurveillances, régularité des contrôles d’identité, utilisation dans les procédures pénales des outils de surveillance algorithmique…).
Une équipe de 16 coordinateurs désignés pour une année qui se sont engagés à se réunir régulièrement pour organiser au mieux les journées de permanence pénale (comparutions immédiates, ouvertures d’informations judiciaires, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité…), appréhender objectivement les flux du traitement en temps réels de la justice pénale balbynienne, élaborer sous la protection de madame la Bâtonnière Stéphanie Chabauty, une réponse aux traitements policiers et judiciaires réservés aux habitants de Seine-Saint-Denis.

Égalité de traitement des citoyens ?
Un temps long pour se rappeler que les Jeux olympiques ne durent pas 16 jours et ne se limitent pas au périmètre de quelques stades mais viennent toucher directement les habitants du département et mettre à mal l’égalité de traitement de tous devant la loi. Un temps long aussi pour répondre collectivement, juridiquement et avec force aux ambitions répressives d’une politique pénale assumée.

Dans une société où l’exigence sécuritaire semble devenir la boussole de nos décideurs, les Barreaux se doivent de prendre part au combat toujours plus nécessaire pour la défense des droits de chacun et surtout des plus fragilisés.
Toute notre attention sera portée au-delà des effets d’annonces à pointer, contester et dénoncer ce qui relèvera prétendument des circonstances exceptionnelles pour que ceux poursuivis ne soient pas sacrifiés sur l’autel d’une justice médiatique et politique.
Le Barreau de la Seine-Saint-Denis a pris position dans ce contexte des Jeux Olympiques. Ce sera celle du combat pour les droits et libertés des justiciables, comme il l’a toujours fait. Une affaire à suivre…

Notes et références

1. www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047561974
2. La notion de méga-événement renvoie à des manifestations festives ponctuelles ou récurrentes avec une durée déterminée, d’envergure internationale et planifiées dans l’optique de renforcer l’attractivité urbaine et touristique des territoires qui les accueillent (Ritchie, 1984; Ritchie et Smith, 1991)
3. Communiqué de presse du Conseil des ministres du 22 décembre 2022
4. Décret n° 2023-828 du 28 août 2023 relatif aux modalités de mise en œuvre des traitements algorithmiques sur les images collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection et de caméras installées sur des aéronefs, pris en application de l’article 10 de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
5. www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b2223_proposition-loi

 

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