Entretien avec Matthieu Quinquis, président de L’Observatoire International des Prisons, section française

PAR Stéphane Maugendre - SAF Bobigny

L’Observatoire international des prisons – section française, est une association loi 1901 crée le 17 juin 1995 à Lyon par les comités locaux du secrétariat international de l’Observatoire international des prisons (OIP), dissout en 1999. Elle agit pour le respect des droits de l’homme en prison et milite pour un moindre recours à l’incarcération. L’OIP est devenu une organisation incontournable dont la crédibilité est reconnue par toutes les professionnel.le.s du monde judiciaire.

Combien a-t-elle d’adhérent.e.s et existez-vous localement ?
Du point de vue du nombre d’adhérents, l’OIP-SF est une petite association et compte quelques 450 bénévoles présents sur l’ensemble du territoire. Deux pôles d’activités militantes se dégagent dans ce paysage, à Lyon et Paris. Ailleurs, des actions sont parfois menées par des anciens groupes locaux d’observation (structures créées aux prémices de l’OIP et dont la vitalité peut aujourd’hui fluctuer).
Le développement du tissu bénévole est un axe de travail au sein de l’association. Depuis quelques mois, nous réfléchissons plus concrètement aux moyens de faire rayonner nos projets et idées au-delà des cadres actuels, en nous appuyant sur tous ceux qui, sans aujourd’hui être adhérents, contribuent déjà à nos actions.

Qu’elles sont vos actions ?
Les actions de l’OIP peuvent se résumer en trois mots : enquêter, alerter et protéger. Enquêter parce que nous menons des missions d’observation et répondons chaque année à plus de 4 500 sollicitations de personnes détenues, de proches ou de professionnels. Au travers d’un recueil de témoignages intra-muros, croisé avec des enquêtes de terrain et l’examen de divers données et rapports, l’association est en capacité de garantir une information fiable et sourcée sur les conditions de détention en France.
Alerter ensuite, parce que l’OIP s’efforce de faire connaître l’état des prisons et mène un travail de sensibilisation à l’égard des professionnels de la justice et de l’opinion publique, mais aussi de plaidoyer auprès des instances nationales et internationales pour dénoncer les atteintes aux droits et contribuer à l’évolution des politiques publiques.
Protéger enfin, parce que toutes les actions de l’OIP ont pour objectif final de défendre et protéger les personnes détenues en faisant respecter leurs droits fondamentaux et en engageant de nombreuses actions en justice. L’association cherche ainsi à faire avancer le droit par l’adoption de mesures propres à garantir la dignité des personnes détenues et la réduction du recours à l’emprisonnement.

Concernant le contentieux devant les juridictions administratives et judiciaires, qui semble largement inspiré par celui mené par le Gisti, comment le menez-vous ?
Le contentieux à l’OIP est un vaste sujet. Et dans la réflexion qui a conduit l’association à s’engager, il y a plusieurs années déjà, sur la voie de la « guérilla juridique », l’expérience considérable du Gisti a constitué une source d’inspiration évidente. Initiée par Hugues de Suremain, le contentieux est aujourd’hui conduit par Nicolas Ferran.
Nos champs d’action juridique sont assez divers, mais ils ont tous un dénominateur commun : leur caractère stratégique. Partant du principe que le droit est une arme, nous avons décidé d’en réfléchir consciencieusement l’usage, pour éviter qu’il ne se retourne contre les personnes détenues elles-mêmes. Nous n’engageons ou n’intervenons ainsi que sur des sujets qui portent en eux-mêmes un enjeu fort pour la situation pénitentiaire. Notre attention se porte donc tout autant des conditions matérielles de détention, que sur des régimes carcéraux ou sur l’effectivité de certains recours pour exercer ses droits.
Depuis quelques années, nous avons part ailleurs fait le choix d’engager prioritairement des actions au nom de l’association. De cette façon nous protégeons les personnes détenues des représailles ou mesures de rétorsion que l’administration pourrait mettre en œuvre à leur égard. Au-delà, cela nous extrait du cadre d’un dossier individuel, avec toutes les contraintes que cela implique. Nous ne dépendons plus d’un statut pénal ou pénitentiaire et sommes libérés de certaines contingences en même temps que nous devenons maître du moment et des circonstances dans lesquels nous saisissons le juge.

Peux-tu nous parler des suites de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) J.M.B. et autres c. France du 30 janvier 20201 et AFFAIRE B.M. ET AUTRES c. France du 6 juillet 20232  ?
En janvier 2020, au terme de plus de dix années de contentieux devant le juridictions nationales, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France au visa des articles 3 et 13 de la Convention. Elle a jugé que les six établissements visés par les requêtes exposaient les personnes détenues à des traitements inhumains et dégradants. Elle a considéré qu’en l’état du droit, elles ne disposaient pas de recours effectifs pour les contester et en obtenir la remédiation. La Cour a également pris acte du caractère structurel de ces atteintes et enjoint la France à mettre en œuvre des mesures générales. Elle a renouvelé sa position en juillet 2023.
Quatre ans après ce premier arrêt, si peu de choses ont changé. Certes le Parlement a introduit une voie de recours judiciaire à l’article 803-8 du code de procédure pénale, mais la jurisprudence reste très timide (pour ne pas dire plus). De son côté, l’ordre administratif a pris prétexte de ce texte pour exclure toute évolution de l’office du juge des référés. Nous sommes plus largement inquiets sur l’aggravation constante des conditions de détention, notamment à travers l’augmentation de la surpopulation carcérale. En dépit des injonctions européennes, le Gouvernement n’a rien engagé de sérieux pour la résorber.
Ce tableau est décevant, mais nous ne baissons pas le bras et maintenons la pression. L’OIP s’est saisi des outils du Conseil de l’Europe et participe activement, aux côtés d’autres organisations, au suivi de l’exécution de l’arrêt. Nous adressons des notes régulières au Comité des ministres et participons à des travaux de réflexion sur les outils à mettre en œuvre. Nous finirons, j’en suis certain, par faire céder le Gouvernement sur de nombreux points.

Parle-moi de vos publications³ ?
Depuis sa création l’OIP a tenu à formaliser ses travaux dans des ouvrages, recueils et périodiques. Ce sont des outils indispensables pour connaître et faire connaître la situation carcérale française. Ce sont aussi des armes précieuses pour les personnes détenues et leurs proches qui reçoivent ainsi l’information sur leurs droits et les moyens de les exercer.
Après avoir entrepris durant plusieurs années un travail d’études des conditions générales de détention, nous avons décidé de privilégier des rapports thématiques ; le rapport d’enquête sur la discipline en prison est notre dernière production. Il compile plus d’un an d’enquête, d’entretiens et d’analyses de données pénitentiaires et constitue – je le crois – une ressource rare sur ce qui reste le logiciel principal de l’institution carcérale.
Nous travaillons désormais à l’actualisation du Guide du prisonnier, prévue pour fin 2024, l’un des ouvrages emblématiques de notre association. Cet ouvrage décrit le droit applicable en détention de manière pédagogique et accessible et le confronte à sa mise en œuvre au quotidien. Par un jeu de plus de 1 000 questions-réponses classées par thématiques, il accompagne l’intégralité du parcours d’une personne détenue, du premier au dernier jour de prison. Comme l’ensemble de nos publications, nous l’adressons à toutes les bibliothèques pénitentiaire et l’expédions gratuitement à tout prisonnier qui en fait la demande.
À côté de ces publications, nous éditons une revue trimestrielle, qui nous offre le moyen de mettre la focale sur certaines questions particulières et de traiter la question pénitentiaire sous une autre forme. Nos articles sont plus tard mis en ligne sur notre site et notre blog de Mediapart. Nous essayons également de développer des outils de communication pour les réseaux sociaux, ce qui appelle d’autres codes. Notre préoccupation est de jamais confondre vulgarisation et simplification.

Nous avons toutes et tous lu que l’OIP était financièrement en danger, peux-tu nous dire pourquoi ?
Comme de nombreuses associations, nous vivons sur un équilibre financier très précaire. Et nous subissons depuis de nombreuses années le désengagement des pouvoirs publics vis-à-vis de l’action associative. Ainsi en 10 ans, nous avons perdu 67 % de subventions publiques, soit près de 200 000 euros. En dépit d’efforts importants pour compenser par des dons et soutiens privés, le compte n’y est pas et nous avons dû lancer un appel à dons exceptionnel.
Le travail que conduit l’OIP est rare et nous sommes l’une des seules associations indépendante à fournir cette information quotidienne sur la vie en prison. Nous avons besoin de l’appui du public pour poursuivre nos actions.

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