« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. » Cette formule de Nicolas Boileau s’applique à merveille aux interminables réformes de l’assurance-chômage infligées par les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron.
Dans le JDD du 25 février, Gabriel Attal annonce ainsi un nouveau durcissement des règles d’indemnisation : la durée « peut encore » être réduite, et « on peut aussi accentuer la dégressivité des allocations ».
Après la loi du 5 septembre 2018, le décret du 26 juillet 2019, le décret du 30 mars 2021, la loi du 21 décembre 2022, le décret du 26 janvier 2023, et, dernière en date, la loi du 18 décembre 2023 pour le plein-emploi, la chasse aux chômeurs vire à l’obsession, avec dans le viseur l’objectif chimérique du plein emploi à l’horizon 2027.
Les caractéristiques communes de ces réformes sont la reprise en main de l’assurance-chômage par l’État au détriment des acteurs du terrain, la primauté d’un système punitif notamment par le recours massif à la radiation1 et une baisse des droits de toutes parts2.
À ce titre, le lapsus de Muriel Pénicaud lors de la présentation du projet de réforme, le 18 juin 2019, est particulièrement révélateur : « Une réforme résolument tournée contre le chômage et pour la précarité. »3
France Travail ou « France, travaille ! »
Mesure phare de la loi n° 2023-1196 du 18 décembre 2023 « pour le plein-emploi », le nouvel opérateur France Travail remplace officiellement Pôle Emploi à compter du 1er janvier 2024.
Un changement de nom, mais également un changement de périmètre et de fonctionnement. La loi rassemble dans un même « réseau pour l’emploi », sous la houlette de France Travail, les services en la matière de Pôle emploi, de l’État, des missions locales (jeunes), Cap emploi (handicapés), les collectivités territoriales, les organismes et associations d’insertion et les CAF.
Ainsi, si les démarches d’inscription et de versement des allocations-chômage restent identiques, la nouvelle entité inscrira également automatiquement les demandeurs du RSA, au plus tard le 1er janvier 2025, ainsi que les personnes inscrites aux missions locales et à Cap Emploi.
Les contrôles seront également plus nombreux sachant que tous les acteurs de l’emploi sont appelés à participer à cette mission. L’objectif est de mobiliser les 55 000 salariés de Pôle Emploi et les 100 000 autres acteurs de l’emploi autour d’une logique de coopération et de partage des données.
Côté pile, l’État brandit la promesse du « dites-le nous une fois » pour simplifier les démarches des recruteurs comme des demandeurs d’emplois. Côté face, ces systèmes d’informations partagés devront aussi permettre de faciliter et massifier les contrôles.
« L’objectif c’est de simplifier la vie des gens », prétend le nouveau directeur général de France Travail, et architecte de la réforme, Thibaut Guilluy. « Les allocataires auront moins de justificatifs à donner et cela fera gagner du temps à tout le monde.4 »
En réalité, ce grand partage d’informations, y compris avec les opérateurs privés associés à France Travail, pose de sérieuses questions en termes de protection des données personnelles5.
Tous les inscrits à France Travail bénéficieront d’une orientation selon des critères communs et d’un diagnostic global suivant un référentiel partagé. Ils devront signer un contrat d’engagement qui remplacera les dispositifs actuels : projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE) pour Pôle Emploi, contrat d’engagement jeune (CEJ) ou parcours contractualisé vers l’emploi (PACEA) pour certains jeunes, contrat d’engagement réciproque (CER) pour certains allocataires du RSA.
Le contrat d’engagement unifié
Il comportera « un plan d’action précisant les objectifs d’insertion sociale et professionnelle » et une obligation d’au moins 15 heures d’activité par semaine (actions de formation…) pour les demandeurs d’emploi nécessitant un accompagnement ou les allocataires du RSA. Cette durée minimum de 15 heures pourra être abaissée ou exclue en fonction de la situation du signataire (problèmes de santé, parent isolé sans solution de garde…) et au vu du diagnostic global. Par une réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel a jugé que « cette durée devra être adaptée à la situation personnelle et familiale de l’intéressé et limitée au temps nécessaire à l’accompagnement requis, sans pouvoir excéder la durée légale du travail en cas d’activité salariée »6.
Le nouvel article L. 5411-6-1 du Code du travail précise ainsi que « le projet professionnel du demandeur d’emploi comporte la recherche d’une activité salariée et si ce projet est suffisamment établi, le contrat d’engagement définit les éléments constitutifs de l’offre raisonnable d’emploi que le demandeur d’emploi est tenu d’accepter. »
L’article de la Honte
En cas de non-respect du contrat d’engagement, l’opérateur France Travail pourra radier la personne de la liste des demandeurs d’emploi et prononcer la sanction de suspension ou suppression du revenu ou des allocations chômage.
Pour les bénéficiaires du RSA, un nouveau régime de sanctions est mis en place. Les allocataires risqueront, en cas de refus de signer leur contrat d’engagement ou de non-respect des engagements, des sanctions graduées :
- une suspension du versement de leur allocation tout d’abord avec une régularisation rétroactive s’ils respectent à nouveau leurs engagements (sanction de « suspension-remobilisation »). Les sommes qui pourront être récupérées sont limitées à trois mois de RSA ;
- ensuite une suppression partielle ou totale de leur allocation, dans les cas des manquements les plus graves.
Le Conseil Constitutionnel a précisé que le gouvernement, « en fixant ces durées et la part du revenu ou des allocations pouvant être suspendue ou supprimée », devra « veiller au respect du principe de proportionnalité des peines »7.
Lors de l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale, le 29 septembre 2023, la gauche a fustigé, concernant ce nouveau régime de sanction, un article de « la honte »8.
Rappelons que le contrat d’engagement avait été renommé, par amendement, « contrat d’engagement réciproque », formule qui permettait d’exiger de France Travail le respect de ses obligations, notamment en termes d’accompagnement. Sans surprise, cette formule a été abandonnée dans le texte final.
La philosophie de la réforme est claire : les demandeurs d’emploi sont responsables de leur situation. En les privant de leurs allocations, on les oblige à redevenir actifs. « Je traverse la rue et je vous trouve un travail ». France Travail accentue une « logique de contrepartie afin de mériter les ressources dont ils (les demandeurs d’emploi) peuvent être les bénéficiaires »9.
Les partenaires sociaux mis au chômage technique
Cette nouvelle réforme confirme la reprise en main par l’exécutif de la gestion de l’assurance-chômage. En effet, parallèlement à cette réforme structurelle, les partenaires sociaux ont vainement tenté de récupérer leurs prérogatives en matière de fixation des règles et de gestion de l’assurance-chômage.
Depuis la loi « avenir professionnel » de 2018, un mécanisme de cadrage des discussions conventionnelles instaure une forme de négociation sous tutelle de l’État. Le document de cadrage transmis aux partenaires sociaux le 1er août 2023 annonçait déjà la couleur. Toujours dans son objectif affiché du plein emploi pour 2027, il était interdit toute remise en cause des réformes de 2019 et 2022. Pas question donc, de revenir sur le mode de calcul de l’indemnisation du chômage, la modulation (réduction de 25 % de la durée d’indemnisation), et l’allongement de la durée minimale d’affiliation.
Malgré ces exigences, les partenaires sociaux sont parvenus à un accord, le 10 novembre 2023. Cet accord prévoyait une réduction de 5 à 6 mois de la durée d’indemnisation minimale, la mensualisation du montant de l’allocation, l’abaissement de l’âge maximum de la dégressivité à 55 ans (contre 57 actuellement), une baisse des cotisations patronales, un système de bonus-malus visant à limiter le recours aux contrats courts, des dispositions pour limiter les effets d’aubaine pour les créateurs/repreneurs d’entreprise et le maintien des règles d’indemnisation pour les intermittents du spectacle.
Les dispositions concernant l’indemnisation des seniors (notamment le recul des bornes d’âge pour une durée de droit allongée) ont été renvoyées à de futures négociations dédiées, étant toutefois précisé le volume d’économies à réaliser : 440 millions d’euros sur la période 2024-2027.
Restait toutefois à agréer cet accord. Or, la Première ministre, Élisabeth Borne, a considéré que, si les chiffrages paritaires étaient crédibles, l’accord était incomplet puisqu’il renvoyait les mesures concernant les seniors à une négociation à venir. Le gouvernement a ainsi adopté, dans l’attente, un « décret de jointure »10 pour prolonger les règles actuelles pendant le premier semestre 2024. Une décision sur l’agrément sera ainsi prise en fonction du contenu d’un éventuel accord sur les seniors.
Il est évident qu’à terme un non-agrément de l’accord serait un coup décisif porté à la gestion paritaire de l’assurance-chômage11.
Le gouvernement poursuit ainsi sa stratégie de contournement des partenaires sociaux, qu’il renvoie à une simple « concertation ».
Qui ne travaille pas ne reçoit rien
La DARES a publié le 27 février une étude intermédiaire, réalisée par son comité d’évaluation, ne portant pour l’heure que sur le durcissement des conditions d’affiliation issu de la réforme de 201912.
Cette étude révèle que si le retour à l’emploi peut sembler plus rapide, c’est un retour à l’emploi peu durable, sur des emplois de moindre qualité et sur des emplois précaires. Il apparaît, en outre, que la réforme de 2019 a d’abord affecté les jeunes et les précaires13.
À l’heure où le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a acté par décret, le 21 février 2024, 10 milliards d’euros de coupes budgétaires14, notamment dans le travail et l’emploi, les « dépenses flexibles » sont manifestement en première ligne.
Ainsi, c’est sur les chômeurs et les retraités que va reposer le remboursement de la dette de la crise sanitaire.
La devise n’est plus « travailler plus pour gagner plus », mais « qui ne travaille pas ne reçoit rien ».
Petit à petit, la solidarité interprofessionnelle bascule dans l’aide sociale.
« France, travaille ! » C’est sur cette injonction impitoyable que viendront se briser les chômeurs, précipités dans un marché de l’emploi paupérisé et dérégulé.
Notes et références
1. Chiffres de la DARES publiés le 25 janvier 2023 qui révèlent que derrière la communication gouvernementale sur la réduction des chiffres du chômage, il convient de prendre en considération la part grandissante des radiations.
2. La lettre du SAF, avril 2023, Réforme de l’assurance chômage : La marche forcée de la déconstruction des protections, E. Videcoq et F. Hennequin
3. Muriel Pénicaud, Présentation de la réforme de l’assurance-chômage, Hôtel de Matignon, 18 juin 2019.
4. La Tribune, 4 janvier 2024, Plus de contrôles et du « sur-mesure » : les recettes de France Travail pour atteindre le plein emploi, Pierre Cheminade
5. Sur l’utilisation des algorithmes dans la prise de décision, voir l’article R. 311-3-1-2 du Code des relations entre le public et l’administration
6. Conseil constitutionnel 14 décembre 2023 n° 2023-858 DC
7. Conseil constitutionnel 14 décembre 2023 n° 2023-858 DC
8. La Tribune, 29 septembre 2023, RSA : l’Assemblée nationale vote un nouveau principe de sanction, une « honte » pour la gauche
9. R. Castel, De la protection sociale comme droit, in R. Castel, N. Duvoux, L’avenir de la solidarité, PUF-lavie-desidees.fr, 2013, p.5
10. Décret n° 2023-1230 du 21 décembre 2023 prorogeant temporairement les règles du régime d’assurance chômage
11. La Correspondance économique, 4 décembre 2023, L’Institut de recherches économiques et sociales s’interroge sur l’avenir du paritarisme
12. dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/impact-de-la-reforme-de-la-condition-daffiliation-minimale-lassurance-chomage-sur-les
13. Le Monde, 2 mars 2024, La réforme de l’assurance-chômage de 2019 a d’abord affecté les jeunes et les précaires, Thibaud Métais
14. décret n° 2024-124 du 21 février 2024