En droit des étrangers, comme dans d’autres champs, la pandémie de Covid-19 a été l’occasion de tester quelques apories de l’État libéral lorsqu’il fait face à des circonstances exceptionnelles. La réaction des pouvoirs publics s’est, somme toute, inscrite globalement dans une perspective très schmittienne.
Le sulfureux juriste a en effet longuement écrit sur la question du « cas limite », notamment dans sa Théologie politique, révélateur selon lui de l’exercice réel de la Souveraineté et des modalités d’exercice du pouvoir. S’agissant de la politique française en matière d’éloignement au temps du Covid, la réaction des pouvoirs publics n’est pas sans rappeler une approche illibérale qui a engendré une répression accrue, quitte à écarter certains grands principes juridiques et éthiques.
LA DIALECTIQUE DE L’ÉLOIGNEMENT
Il existe une tension certaine entre le droit européen qui tend, encore, vers la dépénalisation et le droit interne, qui pousse vers une répression accrue des ressortissants de pays tiers.
L’une des hypothèses qui pourrait être apportée au mouvement de pénalisation en interne tient en l’inefficacité du système français d’éloignement. Dès lors, une répression accrue permettrait d’atteindre l’objectif du « moins d’étrangers » en portant un message à visée dissuasive : « toi qui entres ici abandonne tout espoir ».
La pandémie de Covid a confirmé l’absurdité du système rétentionnaire et mis en lumière son caractère répressif.
La fermeture des frontières et les conditions sanitaires dans les CRA, dans lesquels le respect des gestes barrières est impossible, ont pu laisser penser qu’ils avaient vocation à fermer temporairement¹.
Il n’en fut rien et l’administration s’est défendue bec et ongles pour empêcher la fermeture des CRA, dans le cadre de plusieurs contentieux inter-organisations, mais sans succès : le Conseil d’État ayant donné le ton (circonstances exceptionnelles et bonne foi de l’administration²) pour valider ce qui était devenu ni plus ni moins qu’une sorte de néo-léproseries.
Avec le rétablissement de liaisons aériennes, l’éloignement redevint possible, sous couvert de production d’un test PCR négatif. L’administration entreprit de procéder à ces tests mais, las, se heurta à des refus de consentement de la part des retenus, sans oser (encore ?) passer outre.
Désemparé, l’Intérieur put compter sur un soutien de taille en la personne des missi dominici de la Justice, témoignage d’une franche collaboration interministérielle.
RÉPRIMONS, RÉPRIMONS, IL EN RESTERA TOUJOURS QUELQUE CHOSE
Les préfets saisirent le parquet afin de diligenter des poursuites pour soustraction à une mesure d’éloignement. En dépit de problèmes structurels de moyens, les juridictions répressives s’emparèrent de la cause, ne s’embarrassant guère de préoccupations juridiques.
Il s’agissait bel et bien de condamner à une peine de prison ferme une personne refusant un acte médical sans justification sanitaire : uniquement pour satisfaire à l’exécution d’une mesure de police administrative.
C’était faire fi des articles L1111-4 du code de la santé publique et 16-3 du code civil (respect de l’intégrité du corps humain et nécessité du consentement libre et éclairé à tout acte médical), mais également procéder à une interprétation très large en matière pénale, que l’on pensait proscrite, en incluant le refus de test dans l’incrimination réprimée par l’article L824-9 du CESEDA.
Las, encore, certaines juridictions se refusaient à entrer dans le jeu politique et quelques relaxes étaient prononcées³.
L’on attendait l’issue de pourvois et QPC lorsqu’un amendement de dernière minute fut adopté, dans le cadre de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021, complétant l’article L824-9 en pénalisant spécifiquement le refus « de se soumettre aux obligations sanitaires nécessaires à l’exécution d’office » d’une mesure d’éloignement.
Saisi, le Conseil constitutionnel n’y vit rien à redire (CC, 5 août 2021, n° 2021-824 DC). « Le droit [étant] la plus puissante école de l’imagination », il refusa d’y voir un cavalier législatif, raccrochant audacieusement l’amendement à l’objectif du projet de loi et, au fond, valida la pratique.
Il avait, cela étant, déjà validé la pratique d’examens dépourvus de finalités médicales mais liés à des mesures de police (CC, 21 mars 2019, n° 2018-768 QPC) ; là encore, il s’agissait du droit des étrangers, matière décidément dérogatoire au droit commun et avant-garde éclairée de la police administrative.
Des questions continuent toutefois de se poser et la réforme n’a pas fermé toutes les portes contentieuses.
DES QUESTIONS RESTÉES EN SUSPENS
On peut légitimement se poser la question de l’existence préalable de l’infraction de refus de test pour laquelle plusieurs condamnations ont été prononcées. En ajoutant l’alinéa scélérat, le législateur n’a-t-il pas donné raison aux juridictions ayant prononcé des relaxes au motif qu’aucune infraction spécifique n’était prévue ?
Surtout, la conformité du dispositif avec le droit européen est douteuse. Le mouvement initié par la CJUE depuis plus de dix ans tend vers une dépénalisation. Son constat était simple, basique, relevé par l’avocat général dans l’affaire Achugbabian (CJUE, C-329/11) : une peine de prison « n’est pas de nature à contribuer à l’exécution d’une décision de retour », s’opposant ainsi à l’objectif de la directive 2008/115.
La répression pénale n’est pas exclue mais doit être subsidiaire et n’intervenir que si l’État a absolument mis tous les moyens à sa disposition pour procéder à l’éloignement « jusqu’à l’expiration de la durée maximale de la rétention ». À défaut, pas de poursuites possibles.
C’est ce qu’avait retenu la Chambre criminelle en 2015 (Cass, crim., 1er avril 2015, 13-86418), réitéré tout récemment dans Cass., crim., 9 juin 2021, n° 20-80533.
Se fondant sur ces deux décisions, le tribunal correctionnel de Rouen a prononcé deux relaxes (TCor de Rouen, 16 juin 2021, 1142/21). Un appel est en cours.
Plusieurs inconnues persistent et la question de la conventionnalité de la répression n’est pas tranchée.
Notes et références
1. Ce fut le cas en Espagne, voir page 49 de ce rapport
2. JRCE, 27 mars 2020, 439720 ; 7 mai 2020, 440255
3. Voir par exemple CA de Douai, 22 avril 2021, 21/00102 et 20/03215.