Après l’AJ garantie, obtenons la garantie des droits

PAR David van der Vlist

Alors que pendant de nombreuses années, l’aide juridictionnelle a été largement accordée dans le cadre des permanences et des missions de défense d’urgence indépendamment des revenus des justiciables, de plus en plus de bureaux d’aide juridictionnelle ont commencé à la refuser postérieurement à l’exécution de la mission lorsque les justiciables ne remplissaient plus les conditions. Les avocats étaient alors, de fait, dans l’impossibilité d’être rémunérés.

Une avocate et son client en garde à vueLa Chancellerie a en outre informé la profession de son intention de généraliser le contrôle des conditions de ressources des justiciables. Face à cette situation, les avocats n’ont eu d’autres choix que de négocier et ont obtenu le mécanisme de l’aide juridictionnelle garantie, entré en vigueur le 1er juillet dernier.
L’aide juridictionnelle garantie est indéniablement une avancée pour la profession. Elle permet en effet dans les cas énumérés par l’article 19-1 de la loi du 10 juillet 1991, de garantir à l’avocat commis ou désigné d’office ayant effectivement accompli sa mission d’être indemnisé au titre de l’aide juridictionnelle, s’il n’a pu obtenir le règlement de ses honoraires, « y compris si la personne assistée ne remplit pas les conditions pour bénéficier de l’aide juridictionnelle ou de l’aide à l’intervention de l’avocat ».
En contrepartie de la garantie de paiement de la rétribution de l’avocat, une nouvelle obligation est mise à notre charge : attester sur l’honneur que nous avons informé le justiciable de ce que, dans l’hypothèse où il s’avérerait non-éligible à l’aide juridictionnelle, l’État recouvrira les sommes perçues par l’avocat au titre de sa mission d’assistance.
Ni l’obligation d’information des justiciable ni le principe d’un recouvrement ne sont des nouveautés. La loi de 2011 prévoyait déjà une faculté de recouvrement pour les gardes à vue et l’avocat a toujours eu l’obligation d’information vis-à-vis de ses clients.
Cependant, la véritable révolution est la volonté annoncée de généraliser le recouvrement alors qu’en pratique, dans certains domaines, notamment les gardes à vue, l’aide juridictionnelle fonctionnait comme une aide juridictionnelle de droit, le justiciable bénéficiant de l’assistance d’un avocat quelles que soient ses ressources.
Ce recouvrement par l’État sera réellement mis en œuvre dans un an ou deux avec la généralisation du Système d’Information pour l’Aide Juridictionnelle (SIAJ) qui permettra la dématérialisation de la totalité des échanges avec les auxiliaires de justice, les usagers et les autres administrations de l’État, la récupération automatisée de données relatives à l’identité du demandeur ainsi que ses données fiscales.
Le SIAJ pourra donc vérifier directement si le justiciable est éligible ou non à l’aide juridictionnelle et mettre en œuvre facilement le recouvrement. C’est donc dans la perspective de la généralisation du SIAJ que survient cette nouvelle obligation de transmettre à la CARPA l’attestation sur l’honneur.

Ce nouveau dispositif impose de formaliser une obligation d’information sans que l’avocat tenu de la délivrer soit en mesure, compte tenu de l’urgence et de la privation de liberté, d’assurer au justiciable qu’il relève ou non de l’aide juridictionnelle. Ainsi, l’intéressé demeurera dans l’expectative qui pourra le conduire à renoncer à être assisté par précaution.
Dans le cadre de la garde à vue, l’information doit être donnée lors du premier entretien de 30 minutes. Or, non seulement cette obligation réduit la durée de l’entretien confidentiel qui constitue une garantie du droit à l’assistance d’un avocat, mais les conditions de celui-ci ne permettent pas de remplir l’obligation d’information dans de bonnes conditions : tant l’inconfort (voir l’insalubrité) que la situation d’angoisse du gardé-à-vue ne sont pas propices à ajouter à la discussion sur le dossier et sur les droits de la personne, une discussion de nature financière.
Le risque est grand que les gardés à vue renoncent à l’assistance d’un avocat pour des raisons financières, en particulier si les forces de l’ordre font du potentiel recouvrement de l’intervention de l’avocat un argumentaire pour décourager l’intéressé. Il y a donc bien là une situation de restriction de l’accès à l’avocat dans une situation où le justiciable n’est pas en mesure d’appréhender tous ses droits. Il s’agit d’un véritable changement de paradigme car jusqu’à présent dans l’esprit des justiciables et du grand public, l’avocat commis d’office en garde à vue était « gratuit » puisque l’État ne recouvrait pas malgré les dispositions légales applicables, ce qui assurait une forme d’égalité.
Mais au-delà, c’est la possibilité pour l’État de recouvrer les sommes perçues par l’avocat qui choque dans le cadre de gardes-à-vue abusives ou « préventives » dans certains quartiers, auprès de certaines populations, ou encore dans les manifestations, qui ne donnent finalement lieu à aucune poursuite (et donc aucune possibilité d’obtenir une condamnation de l’État au paiement des honoraires). À la multiplication des garde-à-vue sans motif valable, s’ajoutera donc un recouvrement du Trésor Public.
Il en va de même des missions pénales d’urgence pour lesquelles l’avocat est obligatoire, telle que la comparution immédiate ou encore les interrogatoires de première comparution.
Prenons l’exemple de la comparution immédiate : la présence de l’avocat est obligatoire pour que le prévenu accepte d’être jugé le jour même ; s’il renonce à l’assistance d’un avocat pour éviter un risque de recouvrement, il sera nécessairement jugé ultérieurement avec une forte probabilité d’être placé en détention d’ici à l’audience. Et il devra assurer seul sa défense sur la question des garanties de représentation pour éviter la détention.

Ce sont donc essentiellement les procédures urgentes avec privation de liberté qui posent des difficultés en imposant au justiciable, alors placé dans une situation extrême, de décider s’il souhaite être assisté d’un avocat ou s’il préfère y renoncer pour éviter d’en supporter le coût.
Précisons que le mécanisme de l’aide juridictionnelle garantie s’appliquait également à l’assistance d’un mineur dans le cadre d’une procédure d’assistance éducative, d’une audition libre, d’un interrogatoire de première comparution, d’une instruction ou d’une audience de jugement ainsi que pour les procédures devant le juge de la liberté et de la détention en cas d’hospitalisation psychiatrique sans consentement.
Mais dans ces cas, comme d’ailleurs pour les majeurs faisant l’objet d’une mesure de protection, l’obligation d’information devenait ubuesque, l’avocat devant donner une information à une personne qui n’avait soit pas de capacité juridique, soit pas toutes ses facultés mentales.
Dans une dépêche du 25 août 2021, le secrétariat général du Ministère de la justice a donc écarté l’obligation de donner l’information, et donc d’en attester, dans les procédures concernant les mineurs, les majeurs protégés ainsi que les hospitalisations sans consentement. Cette dépêche vient donc corriger une obligation qui n’était ni compréhensible, ni acceptable.

Restent les autres situations pénales et celles des étrangers placés en rétention.
Dans de tels cas le justiciable n’est pas en mesure de faire un choix éclairé concernant l’intervention de l’avocat, en raison de sa situation de privation de liberté.
Le problème n’est pas tant que l’avocat doive informer le justiciable des conditions de prise en charge de son intervention, car il s’agit là d’une de nos missions et obligations que nous remplissons déjà, sans avoir nécessairement besoin d’en attester ; la question est bien celle des conditions de l’accès aux droits et à un avocat.
Dans ces situations d’urgence et de privation de liberté, le Syndicat des avocats de France réclame que soit instauré un véritable droit à l’avocat assorti d’une aide juridictionnelle de droit, pour que tout justiciable puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dont la rétribution est garantie par l’État quelle que soit sa situation financière.

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