Loi de bioéthique : quels changements pour quelle pratique professionnelle ?

PAR Caroline Mecary

La loi du 2 août 2021 vient modifier notre pratique professionnelle aussi bien quant à la situation des couples de femmes qui auront recours à la PMA que pour les couples hétéros ou gays qui fondent une famille grâce à la GPA.

En 1994 a été adoptée la loi n°94-654 dite de « bioéthique ». Elle a ouvert la possibilité pour les couples infertiles hétérosexuels de recourir aux techniques médicales de procréation assistée, connues à l’époque depuis plus de 20 ans : insémination avec donneur anonyme, fécondation in vitro et don d’embryon. La loi prévoyait elle-même sa révision à intervalle régulier. C’est ainsi que la loi a été modifiée en 2004, puis en 2011. Le texte de 2011 prévoyait une nouvelle révision dans un délai de sept ans, en imposant préalablement un débat public sous forme d’état généraux, organisé par le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE).
Il aura fallu l’élection du candidat Macron et l’obligation légale de révision de la loi de bioéthique dans un délai de 7 ans imposé par la loi de 2011 pour que le sujet avance enfin.
Les États généraux de la bioéthique ont débuté en janvier 2018. Ils se sont déroulés selon plusieurs modalités : rencontres réelles entre « sachant » et citoyens, site internet et mise en place d’un comité de 22 personnes issues de la société civile qui ont choisi d’approfondir la question de la fin de vie et la médecine génomique.
À l’issue de ces débats, le CCNE a remis un rapport de synthèse au début de l’été 2018¹, puis il a émis, le 18 septembre 2018, un avis favorable à l’extension de la PMA à toutes les femmes². Fort de ce feu vert « éthique », le gouvernement a élaboré un projet de loi que le Parlement a examiné durant près de 3 ans, avec pas moins de 7 lectures et 3 navettes parlementaires. Le texte a finalement été adopté le 29 juin 2021. Le Conseil constitutionnel a été saisi et il a jugé, le 2 août 2021, que la loi était conforme à la Constitution³. Le texte a été publié au JO du 3 août 2021.
La loi du 2 août 2021 vient modifier notre pratique professionnelle aussi bien quant à la situation des couples de femmes qui auront recours à la PMA (I) que pour les couples hétéros ou gays qui fondent une famille grâce à la GPA, (II).

L’OUVERTURE DES TECHNIQUES DE PMA AUX COUPLES DE FEMMES ET AUX FEMMES CÉLIBATAIRES
L’accès aux techniques médicales de PMA
Désormais, il s’agit, d’une part, de répondre à un projet parental, au lieu et place d’une infertilité pathologique ou du risque de transmettre une maladie d’une particulière gravité, et d’autre part tous les couples indépendamment de l’orientation sexuelle et les femmes célibataires peuvent y avoir accès.

Un nouveau mode d’établissement de la filiation : la reconnaissance conjointe
Sur le plan juridique l’innovation est la création d’un nouveau mode d’établissement de la filiation aux lieu et place de l’adoption de l’enfant du conjoint solution validée par la Cour de cassation depuis un avis du 22 septembre 2014.
Tous les couples devront donner, comme cela était le cas pour les couples hétéros avant la loi du 2 août, leur consentement à la PMA avec un tiers donneur devant un notaire (342-10 Cciv).
Ensuite pour les enfants qui naissent grâce à l’aide d’un don pour les couples hétérosexuels, la filiation est établie conformément à la situation parentale : si le couple est marié, c’est la présomption de paternité qui va jouer ; s’il s’agit de partenaires pacsés ou de concubins, le compagnon/partenaire devra faire une reconnaissance de paternité et s’il ne le fait pas, sa paternité pourra être judiciairement déclarée, sans qu’il puisse s’y opposer car il est engagé par son consentement au don (342-13 Cciv).
Pour les enfants qui naissent grâce à l’aide d’un don pour les couples de femmes, la filiation est établie de la manière suivante : outre le consentement à la PMA avec tiers donneur, « le couple de femmes reconnait conjointement l’enfant », toujours devant le notaire (342-10 CCiv). Puis le couple effectue les démarches médicales pour la PMA, l’une des femmes tombe enceinte et donne naissance à un enfant. Au moment de la naissance, la déclaration de naissance est effectuée auprès de l’officier d’état civil qui rédige l’acte de naissance de cet enfant avec la mention des deux mères grâce la remise de la reconnaissance conjointe (342-11 Cciv). La femme qui ferait obstacle à la remise à l’officier de l’état civil de la reconnaissance conjointe engage sa responsabilité (342-13 Cciv).
La reconnaissance conjointe est mentionnée dans la copie intégrale de l’acte de naissance de l’enfant au paragraphe « évènements relatif à la filiation », de sorte que l’enfant a accès à son histoire par la simple lecture de la copie intégrale de son acte de naissance lorsqu’il est en âge de le demander.
Il existe donc une différence de traitement juridique quant aux modalités d’établissement de la filiation entre les enfants conçus par don, en fonction de l’orientation sexuelle de leur parent. Cette différence de traitement constitue une discrimination pour les enfants conçus par don au sein des couples hétéros. En effet les enfants « d’hétéros » n’ont aucun moyen de savoir qu’il a fallu un tiers donneur pour leur venue au monde, puisque la copie intégrale de leur de naissance au paragraphe « évènements relatif à la filiation », ne mentionne aucune reconnaissance conjointe mais uniquement, soit la mention du mariage, soit celle de la reconnaissance de paternité, c’est-à-dire deux modalités qui ne disent rien du recours à un tiers donneur ; à contrario l’enfant d’un couple de femme, a dans son acte de naissance toutes les indications sur son histoire, indication dont il n’a en réalité pas besoin car les couples de femmes, à la différence des couples hétéros ne lui racontent pas d’histoire et ne cachent pas le fait qu’il a été conçu grâce au don d’un tiers.

Conséquence : la fin de l’intervention de l’avocat
En tout état de cause, au-delà, de cette problématique, le praticien du droit retiendra qu’il n’y a plus d’adoption de l’enfant du conjoint à mettre en œuvre puisque la filiation est établie dès la naissance de l’enfant grâce à l’acte de naissance. Une manière comme une autre de réduire l’activité des juridictions….

La levée de l’anonymat des donneurs
Parallèlement la loi du 2 août 2021 a mis fin à l’anonymat des donneurs (et donneuses d’ovocytes) ; le donneur doit, au moment du don, consentir par écrit à ce que l’enfant qui aura été conçu avec ses gamètes ait accès aux données non identifiantes ainsi qu’à son identité (L2143-2 CSP) via la commission d’accès aux données mise en place par la loi nouvelle (L2143-6 CSP) ; le donneur peut se rétracter à tout moment avant que ses gamètes ne soient utilisées (L1244-2 CSP). Parallèlement le législateur garantit au donneur qu’aucun lien de filiation ne pourra être établi entre lui et l’enfant né grâce à son don, pas plus sa responsabilité ne pourra être recherchée (342-9 Cciv.).

La transcription de l’acte de naissance de l’enfant né par GPA, ce douloureux problème
La transcription de l’acte de naissance d’un enfant français né à l’étranger est une mesure de publicité de l’acte de naissance étranger, ce n’est pas un mode d’établissement de la filiation, l’établissement de la filiation résulte de l’acte étranger pas de la transcription ; de surcroit la transcription est une démarche qui n’a aucun caractère obligatoire, elle est totalement facultative car l’acte de naissance étranger est valable, sans transcription, s’il est apostillé (ou légalisé quand la convention de La Haye ne s’applique pas7) et traduit. Néanmoins comme il est plus pratique de demander la copie intégrale d’un acte de naissance au service de l’état civil de Nantes que de la réclamer à Vancouver ou Los Angeles ou New Delhi, nombre de couples ont demandé la transcription de l’acte de naissance de leur enfant.

Une évolution jurisprudentielle respectueuse de l’intérêt de l’enfant
C’est ainsi que ces 20 dernières années le tribunal de Nantes, la cour d’appel de Rennes, la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l’Homme ont été « accaparées » par les recours judiciaires pour contrer les refus du procureur de Nantes. La question a enfin été résolue, le 18 décembre 2019 par trois arrêts de la Cour de cassation. La Cour de cassation a, enfin, apporté une solution équilibrée et respectueuse de l’intérêt de l’enfant, sans remettre en cause l’interdiction de la GPA en France, en ordonnant la transcription complète des actes de naissance de ces enfants. Cette jurisprudence a été réitérée en 202010 et nombre de couples hétéros et de couples gays ont pu obtenir, grâce à cette jurisprudence, la transcription de l’acte de naissance de leur enfant né de GPA.

Anéantissement de la solution jurisprudentielle pour des raisons électoralistes
C’était sans compter avec les rapports de force politiques qui ont conduit le gouvernement à accepter un amendement porté par le sénateur Retailleau, plus connu pour son conservatisme, que pour son acceptation de la diversité des familles. Sans calcul électoraliste, à savoir : donner des gages à un électorat conservateur, l’amendement qu’il a porté et qui a été accepté par le gouvernement, aurait fini dans les poubelles de l’Histoire.
Résultat des « courses », le nouvel article 47 du code civil a été modifié comme suit (ajout de la loi est surligné en gras).
« Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. »

Avec cette modification, la transcription de l’acte de naissance de l’enfant né de GPA ne peut être que partielle (à l’égard du supposé père biologique) car le droit français n’a pas de mode d’établissement de la filiation pour le parent dit d’intention en cas de GPA, compte tenu de ce que la GPA n’a pas été légalisée en France.
Pour que les parents puissent obtenir un acte de naissance français pour leur enfant français né à l’étranger, ils devront demander lorsque cela est possible l’exequatur du jugement étranger qui a établi la filiation entre l’enfant et ses parents d’intention, à défaut ils n’auront pas d’autres choix que de recourir à l’adoption de l’enfant du conjoint.
En revanche, la transcription des actes de naissance des enfants nés de PMA à l’étranger pour des couples de femmes dans des pays ou la filiation est établie dès la naissance aux noms de deux mères (Belgique, Québec, Espagne, Royaume-Uni etc.) devraient demeurer possible puisque la France permet aussi ce mode d’établissement dès la naissance avec la reconnaissance conjointe, de sorte que le « renvoi » à la loi française ne devrait pas poser de difficultés, dans ce cas.

Notes et références

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