Un tribunal correctionnel peut-il placer en détention provisoire un mineur de 13 à moins de 16 ans ?

PAR Carole Sulli
Co-responsable de la commission mineurs, SAF Paris

Oui, pour une durée maximale de 24 heures.
Décision du Conseil constitutionnel n°2022-1034 QPC du 10 février 2023

Le 30 novembre 2022, le Conseil constitutionnel était saisi par le Conseil d’État1, d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Posée par le syndicat de la magistrature, le syndicat des avocats de France et le GISTI, rejoints sur intervention par l’association Avocats pour la Défense des Droits des Étrangers (ADDE), InfoMIE et la Ligue des Droits de l’Homme.
Cette QPC était relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la constitution de l’article 397-2-1 du Code de procédure pénale, de l’article 55-1 alinéa 4 du CPP, des articles L.413-16 et L.413-17 du Code de la justice pénale des mineurs, dans leur rédaction issue de la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure2.
Par une décision en date du 10 février 2023, le Conseil constitutionnel a répondu, par une décision en demi-teinte.3

Le Tribunal Correctionnel peut placer en détention provisoire un mineur dès 13 ans, pour une durée maximum de 24 heures
L’article 397-2-1 du Code de procédure pénale permet à un tribunal correctionnel ou un juge des libertés et de la détention, constatant que la personne qui lui est présentée est mineure, de renvoyer le dossier au procureur de la République, et, si le mineur est âgé d’au moins 13 ans, de statuer au préalable sur son placement ou son maintien en détention provisoire, pour une durée maximale de 24 heures, jusqu’à sa comparution devant le juge des enfants ou le juge des libertés et de la détention spécialisé.
La réciproque est prévue par l’article L.423-14 du CJPM si une personne majeure comparaît devant le juge des enfants ou le juge des libertés et de la détention.

Et la spécialisation des juridictions pour mineurs ?
Les requérants soulevaient l’inconstitutionnalité de ces dispositions au regard de la spécialisation des juridictions pour mineurs, principe fondamental reconnu par les lois de la République, consacré par une importante décision du Conseil constitutionnel du 29 août 20024 et l’atteinte portée à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Ils n’ont pas été entendus.
Sur ce premier point le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10 février 2023 a rejeté ce moyen, avec une réserve, liée au fait qu’il appartient à la juridiction saisie (des majeurs) « de vérifier que, au regard des circonstances, de la situation personnelle du mineur et de la gravité des infractions qui lui sont reprochées, son placement ou maintien en détention provisoire n’excède pas la rigueur nécessaire ».
Ainsi, une juridiction non spécialisée, peut placer ou maintenir en détention provisoire, dans un souci de garder la personne à la disposition de la Justice, même pour quelques heures, même du soir au lendemain matin, un mineur de 13 à moins de 16 ans, alors que la détention provisoire en matière correctionnelle d’un mineur de 13 à 16 ans n’est pas possible ab initio.5

Prise d’empreintes digitales ou palmaires et photos sans consentement.
Non-conformité de l’opération de prise d’empreintes digitales ou palmaires ou de photographies sans consentement (article 55-1 alinéa 4 du CPP pour les majeurs, articles L.413-16 et L.413-17 CJPM pour les mineurs).

Dans le cas des auditions libres :
Ces dispositions ont été déclarées inconstitutionnelles : qu’il s’agisse des majeurs ou et des mineurs, le Conseil précise clairement « les dispositions contestées permettent de recourir à la contrainte dans le cadre du régime de l’audition libre alors que le respect des droits de la défense dans ce cadre exige que la personne intéressée soit entendue sans contrainte et en droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue ».
Somme toute de manière fort logique, il rappelle qu’on ne peut contraindre dans le cadre d’une procédure – celle de l’audition libre – par essence sans caractère contraignant.

Et dans le cas des gardes à vue ?
Le Conseil constitutionnel censure aussi partiellement ces dispositions dans le cadre de la procédure de garde à vue, précisant que les opérations d’identification (prise d’empreintes digitales, palmaires, photographies) sans consentement ne sont pas possibles sans la présence alternative soit de l’avocat (mineurs comme majeurs), soit des représentants légaux (mineurs) soit de l’adulte approprié (pour les mineurs sans représentant légal sur le territoire français), au motif tiré de la méconnaissance de la liberté individuelle et des droits de la défense.
Ces déclarations d’inconstitutionnalité sont d’application immédiate, pour toutes les procédures postérieures au 10 février 2023.
Aussi, si l’on peut saluer le rappel de l’absence de contrainte à la prise d’empreinte digitales, palmaires ou de photographies en audition libre, cette décision laisse un goût amer concernant les conditions de ces opérations dans le cadre des gardes à vue mais aussi ce qui concerne la possibilité pour une juridiction non spécialisée, de placer en détention provisoire – même pour une courte durée – des mineurs.

Notes et références

1. Portail de la question prioritaire de constitutionnalité
2. LOI n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure
3. Décision n° 2022-1034 QPC du 10 février 2023
4. Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002
5. Elle n’est possible en matière correctionnelle que sur révocation de contrôle judiciaire sous certaines conditions et en matière criminelle (art L. 334-4 CJPM)

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