Chronique de la mort annoncée des assises

PAR Stéphane Maugendre
SAF Bobigny

« Assis sur le banc des jurés, on se redit la parole du Christ : ne jugez point. »
Souvenirs de la cour d’assises, André Gide.

Sans attendre la fin de l’expérimentation prévue par la loi du 23 mars 20192, sans véritable retour d’expérience et sans prendre en considération les grandes réserves du rapport de la commission dite GETTI (janvier 2021)3, la loi du 22/12/2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire4 généralise les Cours Criminelles Départementales (CCD) à l’ensemble du territoire depuis le 1er janvier 2023 pour juger en premier ressort les personnes majeures accusées d’un crime puni de 15 à 20 ans de réclusion.

Après les Cours d’assises spécialement composées, exit encore une fois, les Jurés ! Toutefois, pour tenter de sauver la face du Garde des Sceaux, un rapport du comité d’évaluation et de suivi de la CCD5 a été déposé, fin octobre 2022, sur le bureau de ce dernier. Une lecture attentive de ce rapport6 et les retours d’expérience ne laissent pas d’inquiéter.

Une dé-correctionnalisation en trompe-l’œil
Un des buts affichés était de restituer leur véritable qualification pénale à certains crimes correctionnalisés et notamment les viols. Sur le papier, la CCD apparaissait comme la juridiction idoine pour juger les viols et les victimes pouvaient penser que cela permettrait de juger ces crimes à leur juste hauteur. Or, le rapport constate que « la création des CCD n’a pas eu d’effet sur la correctionnalisation » et surtout demande « qu’une étude soit menée à cette fin ».
Par ailleurs, on ne peut pas ignorer les effets pervers que pourrait avoir une dé-correctionnalisation ! En effet, à ce jour, 90 % des affaires jugées par les CCD sont des affaires de viols et si le mouvement de dé-correctionnalisation se réalise (car on constate, en pratique dans certaines juridictions moins de crispation face au refus de correctionnalisation), ce pourcentage risque d’atteindre la quasi-totalité des affaires jugées par celles-ci. Ainsi, la CCD va devenir un Super Tribunal du viol ou Mini-Cour d’Assises sexuelle réduisant alors le viol à un mini crime.
Notons, par ailleurs, qu’est intervenue dans le débat la question de la moindre solennité des débats devant les CCD, qui pouvait être par trop stressante pour les parties civiles. Si cela s’avère exact dans un certain nombre de cas, il convient de relever que pour certaines d’entre elles, voir leur parole reconnue par une cour d’assises composées de jurés, citoyens comme elles, représente une charge symbolique particulièrement importante pour elles mais aussi pour leurs proches ou leur entourage.
D’autre part, les tenants de cette réforme estimaient que le temps d’audience devant une CCD serait bien plus court que par-devant une Cour d’Assises et qu’ainsi les victimes pouvaient donc se réjouir de voir réduit le délai d’une audience particulièrement pesante pour elles. Or, le rapport constate que le temps d’audience devant la CCD est environ 12 % moins long que celui devant une Cour d’Assises. La réduction de la charge émotionnelle dans le temps se trouve donc résiduelle.
Enfin, le rapport constate que le taux d’appel pour les affaires jugées par les CCD est supérieur à celui pour les affaires jugées par les Cours d’Assises. Ainsi, la réduction de la charge émotionnelle est bien moins effective lorsqu’une partie civile sait qu’elle va devoir repasser devant une Cour d’Assises d’appel composée, cette fois-ci, de trois magistrats professionnels et neufs jurés.

Un gain de temps d’audiencement illusoire
L’autre but – voir le principal de la Loi – était la réduction des délais d’audiencement et d’audience, donc, le désengorgement des Cours d’Assises. Tellement sûr de lui, le législateur avait prévu un délai de six mois (renouvelable) pour un audiencement par devant la CCD contre 12 mois (renouvelable) par devant une Cour d’Assises. Les accusés et les victimes voyaient de bon augure leur calvaire judiciaire se réduire entre le moment où un Juge d’instruction ordonnait le renvoi de l’affaire devant la Cour et le jour du jugement.
Or, le rapport est loin de confirmer cela puisqu’il constate que le temps d’audience devant la CDD est environ 12 % moins long que celui devant une Cour d’Assises. Il n’a pas pu déterminer la de façon exacte la réduction effective de ce délai d’audiencement moyen devant les CCD. Il constate, même, qu’une seule CCD sur 15 a pu tenir le fameux délai de six mois et préconise d’ores et déjà porter ce délai à 9 mois. Il relève aussi que le taux d’appel contre les décisions des CCD (21 % toutes affaires confondues et 23 % pour les viols) est largement supérieur à celui concernant les Cours d’Assises. (Pour la période 2012-2015, 18 % toutes affaires confondues et 17 % pour les viols) et que cela augmente donc globalement les délais. En plus de cela, il convient de prendre en considération la potentielle augmentation du nombre d’affaires supplémentaires à juger par l’effet de la dé-correctionnalisation.
Il est fort à parier que le différentiel de délai de jugement entre les CCD et les Cours d’Assises sera à terme réduit à peau de chagrin.

Oralité et Contradictoire de façade
Beaucoup de monde s’accorde (voir notamment le rapport de l’institut des études et de la recherche droit et justice publié le 5 décembre 20227) pour dire que l’oralité des débats et le contradictoire ont été respectés au cours des audiences des Cours criminelles durant la phase expérimentale.
Toutefois, certains retours d’expérience nous rapportent que l’absence de jurés, la perte de solennité, l’« entre-soi » du monde judiciaire (avec parfois la mise à distance de l’accusé) le raccourcissement du temps de l’audience et du délibéré, parfois l’absence de témoins (y compris le responsable de l’enquête policière) ou d’experts, le désintéressement voir l’« absence », des deux juges professionnels supplémentaires (très souvent magistrats honoraires ou magistrats à titre temporaire), le « tenu pour acquis » des expertises, la présence du dossier durant le délibéré… écrasent l’oralité des débats et le contradictoire.
Il est à parier que l’expérimentation terminée, avec son cortège de moyens (juges, personnel, salle d’audience disponible…) et la volonté de bien faire de la part de l’ensemble des partenaires de justice qui était dans le collimateur des observateurs, la correctionnalisation des CCD deviendra légion.
Cela est d’autant plus certain que l’on sait, et que le président des CCD peut ne pas être un président d’assises et que compte tenu des délais et de la « pression des stocks » ces audiences ne seront plus présidées par un tel magistrat.

La révolution française, pour éviter une Justice de vengeance, a confisqué au peuple le pouvoir de juger, mais lui a donné la possibilité de participer au jugement des affaires les plus graves liant ainsi intimement le peuple et la justice. Toutefois, l’histoire des Cours d’assises depuis le 25 novembre 1941 démontre le déclin de la confiance du pouvoir judiciaire à l’égard de la population. Le coup de grâce vient d’être donné, exacerbant par les réseaux sociaux et les émissions « hanounesques », la méfiance de la population à l’égard de la justice.

Notes et références

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