Adopté à bas bruits, le récent dispositif de modification des règles de l’assurance chômage¹ est un puissant outil de régression sociale. Complément des dispositifs antérieurs de recul constant de la couverture des privés d’emploi², il précède et prépare la réforme des retraites.
Il participe d’une même logique de mise à mal des protections sociales au nom d’objectifs budgétaires et d’une responsabilisation croissante des individus désignés comme seule main d’œuvre utile au système productif. Méprisant l’indispensable réflexion sur la qualité des emplois qui émerge dans la société, les dispositions nouvelles sont le choix d’une brutalité gestionnaire et idéologique qui impose une réduction drastique de la durée d’indemnisation au chômage et ferme même les possibilités d’y prétendre.
Historiquement adossé au droit à l’emploi et à son corollaire la protection sociale, le régime d’assurance chômage opère depuis une quinzaine d’années une mutation profonde pour répondre à une mise au pas des travailleurs, sommés de travailler. Les caractéristiques communes des réformes ainsi entreprises sont la reprise en main par l’État au détriment des acteurs de terrain pour définir et gérer le système, la primauté d’un système punitif, notamment par le recours massif à l’instrument de la radiation3 et une baisse des droits de toutes parts (accès, niveau, durée).
Modulation de la durée d’assurance chômage : un durcissement de principe, un retour à la normale illusoire.
Après avoir durci les conditions d’accès et réduit le montant des allocations versées4, le gouvernement s’attaque désormais à la durée d’indemnisation via le dispositif de la modulation, résumé comme suit par Olivier Dussopt : « Quand ça va bien, on durcit les règles et, quand ça va mal, on les assouplit ».
En réalité, l’assouplissement est illusoire puisque le décret est venu réduire, par principe, la durée d’indemnisation de 25 % par rapport aux règles applicables antérieurement. C’est donc bien entre un durcissement de principe et un hypothétique retour à la normale que se joue la modulation.
Depuis le 1er février 2023, toutes les personnes qui s’inscriront à Pôle emploi voient ainsi leur capital de droits amputé de 25 %, avec un plancher de six mois d’indemnisation, au motif que le taux de chômage serait sous la barre des 9 % (il est actuellement à 7,3 %). À titre d’exemple, une personne ayant droit à la durée maximum de versements, bénéficiera de dix-huit mois d’allocations-chômage au lieu de vingt-quatre.
Le mécanisme de protection, constituant le prétendu assouplissement, prend la forme de compléments de droits en cas de mauvaise conjoncture. Ainsi lorsque les demandeurs d’emploi arriveront en fin de droits, si l’état du marché du travail est repassé au rouge – un taux de chômage au-dessus de 9 % ou en progression de 0,8 point sur un trimestre – leur durée d’indemnisation sera raugmentée. Si, pendant trois trimestres de suite le taux de chômage revient sous les 9 % et ne connaît pas de progression supérieure à 0,8 point, la situation repassera au « vert » et la durée d’indemnisation sera de nouveau réduite de 25 %. À nouveau la philosophie de la réforme est claire : les demandeurs d’emploi sont responsables de leur situation. En les privant de leurs allocations, on les oblige à redevenir actifs. « Je traverse la rue et je vous trouve un travail. »
Cette réforme, jugée inacceptable par tous les syndicats de salariés, confirme la reprise en main par l’exécutif de la gestion de l’assurance-chômage. Le gouvernement poursuit sa stratégie de contournement des partenaires sociaux, qu’il renvoie à une simple concertation. Pour s’en convaincre, il faut rappeler que le 23 décembre 2022, l’exécutif a créé la surprise en dévoilant dans son projet de décret, la veille de Noël, une réduction de 40 % de la durée d’indemnisation si le taux de chômage passe en dessous de 6 % de la population active. Cette disposition, jamais évoquée lors des concertations avec les partenaires sociaux, a provoqué leur indignation légitime. Opérant le 3 janvier 2023 un recul tactique sur ce point, la Première ministre, Élisabeth Borne a annoncé le report de cette réduction à 2024, renvoyant le sujet à la prochaine négociation des partenaires sociaux sur les règles d’indemnisation. Parallèlement, le gouvernement a tranquillement pu maintenir l’entrée en vigueur au 1er février 2023, de la réduction de 25 %.
Jouant sur l’image populiste du chômeur paresseux, profiteur du système, le gouvernement s’approprie l’assurance-chômage pour en faire une source de financement de sa politique.
C’est ainsi que l’UNEDIC a annoncé le 21 février que les deux réformes de l’assurance-chômage, applicables depuis octobre 2021 et depuis le 1er février 2023, permettront au régime d’économiser 6,7 milliards d’euros en 2027, du seul fait de la moindre indemnisation des chômeurs qu’elles impliquent5. Le chômeur devient ainsi financeur du budget de l’État.
Fermeture du droit à l’assurance chômage : la sanction des mauvais contributeurs au devoir de travailler
Rajouté à l’arsenal gouvernemental par amendement d’un député6 qui s’insurgeait contre le droit à la paresse, le mécanisme dit de la présomption de démission en cas d’abandon de poste fait son entrée dans le droit positif7. Il s’agit de supprimer l’accès à l’assurance chômage au salarié qui, après mise en demeure de son employeur, ne reprendrait pas le travail. Alors que le phénomène des abandons de poste n’a fait l’objet d’aucune documentation préalable et qu’il est même démenti par une somme d’études8, ce dispositif pris au nom d’une responsabilisation des salariés qui quittent leur emploi et d’une volonté de simplifier les démarches des entreprises, conduit corrélativement à déresponsabiliser l’employeur de son devoir d’assumer ses attributs comme celui de licencier.
Contraire au principe posé de manière constante par la Cour de cassation selon lequel la démission ne se présume pas, il dissimule les véritables raisons pour lesquelles les salariés changent d’emploi (conditions de travail délabrées, atteintes à la santé, discriminations, blocage du salaire et de la qualification…) et aura pour effet de générer des situations de précarité pour des personnes déjà fragilisées. Il oblige en effet le salarié qui souhaite contester la qualification présumée de démission et donc pouvoir prétendre au chômage, à prendre l’initiative d’une saisine prud’homale devant théoriquement donner lieu à une audience dans le mois (directement devant le bureau de jugement), procédure accélérée rendue illusoire par la réalité des délais exorbitants dans lesquels est rendue la justice du travail.
Autre cas de fermeture des droits introduit par les sénateurs, celui du salarié en contrat court qui refuse un CDI conforme à son « profil ». Sont visés les salariés en poste en CDD ou intérim qui refuseront deux fois sur une période d’un an un CDI pour occuper le même emploi ou un emploi équivalent à la rémunération et la durée de travail équivalentes (C.trav., art. L1243-11-1 et L1251-33-1). L’employeur désignera les fauteurs auprès de Pôle emploi qui devra vérifier la compatibilité des refus avec les critères définis dans le projet d’accès personnalisé à l’emploi défini avec le conseiller Pôle emploi (C.trav., art. L5422-1)9. Une mesure qui revient à contraindre encore plus les possibilités du salarié de choisir son employeur et de discuter des critères qualitatifs et de l’évolution de son emploi.
Combinée à la réforme des retraites, la casse sociale est majeure
Derrière un discours populiste et stigmatisant, présentant les demandeurs d’emploi comme des paresseux, profiteurs du système, l’exécutif modifie en profondeur le modèle social français, pour financer sa politique ultra-libérale. En ajoutant les économies chiffrées par l’UNEDIC à celles de la réforme des retraites, c’est 17 milliards d’euros de coupes dans le modèle social qui sont opérées10. Parallèlement l’UNEDIC a publié le 1er mars une étude11 révélant qu’à 60 et 61 ans, plus d’une personne sur quatre est inactive ou au chômage. Les femmes, peu diplômées, ayant des revenus modestes, ou en mauvaise santé sont particulièrement surreprésentées. Ainsi, le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans est susceptible de créer un surcoût pour l’assurance chômage chiffré par la DARES à 1,3 milliard d’euros12.
La perspective d’un rééquilibrage ne repose donc que sur l’espérance, quasi religieuse, que le relèvement de l’âge de la retraite aura un impact psychologique sur l’employabilité des seniors et sur une hypothétique conjoncture économique favorable.
Beaucoup de vœux pieux, pour une casse sociale majeure, dont l’effet certain et immédiat est la fragilisation des plus précaires. Sans revenu, le demandeur d’emploi n’aura d’autre choix que d’accepter un travail sous-qualifié, et sous-payé, à supposer qu’on lui en propose. Le travailleur est le grand perdant de cette destruction de l’assurance chômage qui n’a d’autre objectif que l’affichage d’un plein emploi fictif.
Notes et références
1. Loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi et décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023 relatif au régime d’assurance chômage.
2. Voir nos communiqués du 18 juillet 2019, Réforme de l’assurance-chômage : une reprise en main de fer par l’État conduisant à une précarisation inacceptable des plus fragiles et du 12 octobre 2022, Nouvelle réforme de l’assurance chômage : quand le contournement des syndicats conduit à la démagogie.
3. Chiffres de la DARES publiés le 25 janvier 2023 qui révèlent que derrière la communication gouvernementale sur la réduction des chiffres du chômage, il convient de prendre en considération la part grandissante des radiations.
4. Étude d’impact UNEDIC de l’évolution des règles d’assurance chômage au 1er juillet 2021
5. Médiapart, 21 février 2023, Près de 7 milliards d’euros : ce que le gouvernement va économiser sur le dos des chômeurs, Mathias Thépot
6. Député Les Républicains Jean-Louis Thiériot
7. Sa mise en œuvre effective est pour l’heure suspendue à la parution d’un décret d’application.
8. Voir notamment les différentes études de la DARES sur le non-recours à l’assurance chômage, la recherche d’emploi et le phénomène dit des grandes démissions.
9. Décret d’application non encore paru.
10. Médiapart, 21 février 2023, Près de 7 milliards d’euros : ce que le gouvernement va économiser sur le dos des chômeurs, Mathias Thépot
11. Articulation entre assurance chômage et retraites
12. Estimation des dépenses d’ARE/AREF supplémentaires suite à un relèvement de l’âge d’ouverture des droits (AOD)