Le 3 décembre 1945, Ambroise Croizat Ministre du Travail, lors de son premier discours à l’Assemblée déclare : « Il faut en finir avec la souffrance, l’indignité et l’exclusion. Désormais, nous mettrons l’homme à l’abri du besoin. Nous ferons de la retraite non plus une antichambre de la mort mais une nouvelle étape de la vie ».
La bataille des retraites engagée lors de la grande mobilisation du 19 janvier 2023 porte en elle cette conquête historique et populaire fondée sur un système de protection sociale et de solidarité nationale. Les français l’ont bien compris, en s’opposant à cette « marche forcée de la déconstruction des protections » au nom d’objectifs budgétaires, de la réforme des retraites à l’assurance chômage, en passant par la casse des services publics.
Plusieurs lois attentatoires aux libertés fondamentales viennent teinter de noir cet horizon social déjà sombre. La loi Kasbarian qui sera « de nature à augmenter le risque de sans-abrisme » et « conçue de façon à bénéficier aux groupes sociaux des autres couches sociales » comme le dénoncent le rapporteur spécial de l’ONU sur le logement convenable et le rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les droits humains. La loi d’organisation des jeux olympiques en 2024 place la France comme « le premier pays d’Europe à légaliser la surveillance biométrique » .
Oui, une déconstruction massive des protections sociales en marche.
Pour imposer ces différentes réformes, le gouvernement n’hésite pas à utiliser tout un arsenal répressif. Le SAF, aux côtés de plusieurs organisations, joue pleinement son rôle de vigie des libertés, en engageant plusieurs recours.
Contre les arrêtés d’interdiction de manifester à Paris adoptés mais non publiés, rappelant que le droit à un recours effectif n’est pas optionnel en cas de liberté fondamentale telle la liberté de manifester.
Contre les arrestations arbitraires massives, avec une centaine de plaintes pour atteinte arbitraire à la liberté individuelle et entrave à la liberté de manifester.
Contre l’absence d’identification de la police qui reste une bataille centrale pour faire cesser les violences policières.
Le ministère de l’Intérieur a persisté dans sa propagande mensongère, en croisade contre les « extrêmes gauches », « le terrorisme intellectuel » et les collectifs de défense du vivant et de l’eau, s’obstinant dans la répression des écologistes . Le Garde des Sceaux est resté silencieux, sommé de se retirer pour faire oublier ses bras d’honneur à la représentation parlementaire du 9 mars. Il réapparait subrepticement dans une dépêche le 18 pour légitimer la politique de l’intérieur, sans un seul mot sur l’utilisation abusive de la procédure pénale et des mesures particulièrement attentatoires aux libertés individuelles, telles le détournement de la garde à vue, la prise contrainte des empreintes digitales et de photographies et l’usage disproportionné de la force et des armes par les forces de l’ordre .
En attendant, les tribunaux sont toujours au bord du gouffre et la justice à l’agonie. Le grand Plan Justice qui devait apporter des réponses aux États généraux pourra attendre. Celles et ceux qui en pâtissent sont bien évidemment les justiciables et les plus vulnérables. En première ligne la justice des mineurs. Les cabinets des juges des enfants sont saturés, les juges et les greffiers totalement épuisés, les avocats éreintés. Cette situation déplorable engendre un état alarmant de la protection de l’enfant.
Ainsi, la prise en charge des mineurs isolés en danger, qui devrait être inconditionnelle, n’est plus effective. Ainsi, des placements ou renouvellement de placements qui sont décidés sans audience. Ainsi, des incidents d’audience qui se multiplient en raison de reports injustifiés, de problème d’accès aux dossiers ou de jeux de chaises musicales faute de greffiers ou de magistrats disponibles.
Le volet éducatif et préventif a pratiquement disparu pour écouler les stocks. Priorité est donnée à la réponse pénale rapide. Dans la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, une juridiction non spécialisée peut désormais placer ou maintenir en détention provisoire, dans un souci de garder la personne à la disposition de la justice, même pour quelques heures, même du soir au lendemain matin, un mineur de 13 à moins de 16 ans, alors qu’une telle mesure en matière correctionnelle n’est pas possible ab initio. Une étape de plus a été franchie .
Pourtant, nous avons des raisons d’espérer. Le Conseil d’État est venu rappeler 12 décembre 2022, la liberté fondamentale d’accès à une prise en charge globale au titre de l’aide sociale à l’enfance du jeune majeur. Une victoire collective obtenue par les avocats du SAF . La délicate question du discernement de l’enfant dans toute procédure le concernant, à la lumière de la Convention internationale des droits de l’enfant, nous donne des pistes de réflexion particulièrement intéressantes pour continuer notre combat afin d’imposer « un enfant, un avocat » .
D’où notre dossier spécial mineurs, pour lutter contre le laboratoire du pire.