Le juge des référés du Conseil d’État a, par une décision du 12 décembre 2022 , consacré une nouvelle liberté fondamentale tenant au droit à une prise charge globale du jeune majeur relevant de l’aide sociale à l’enfance au sens des dispositions de l’article L.222-5 du code de l’action sociale et des familles.
La loi TAQUET
Le 7 février 2022, le droit de la protection de l’enfance a été réformé par la loi dite « Taquet » qui a notamment modifié la rédaction de l’article L.222-5 du Code de l’action sociale et des familles listant les personnes éligibles à une protection au titre de l’aide sociale à l’enfance.
La rédaction antérieure prévoyait quatre catégories de bénéficiaires d’un droit à une prise en charge inconditionnelle au titre de l’aide sociale à l’enfance pour les mineurs en danger, les femmes enceintes et les mères isolées avec enfants de moins de trois ans et une simple faculté de prise en charge pour les mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans éprouvant des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisant.
Dans sa nouvelle rédaction issue de la réforme Taquet a été intégré un cinquième cas de prise en charge de plein droit pour les majeurs de moins de vingt et un ans et les mineurs émancipés qui ne bénéficient pas de ressources ou d’un soutien familial suffisant, lorsqu’ils ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance avant leur majorité.
Pour les jeunes majeurs qui n’ont pas été confiés à l’aide sociale à l’enfance durant leur minorité, leur prise en charge reste une faculté du conseil départemental sous le contrôle restreint du juge administratif.
Un référé liberté
À l’automne 2022, le Conseil d’État a été saisi en référé liberté de plusieurs situations de jeunes majeurs confiés à l’aide sociale à l’enfance durant leur minorité ayant fait l’objet de refus de poursuite de leur prise en charge après leurs dix-huit ans.
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 12 décembre 2022, le président du conseil départemental de l’Ariège avait refusé le renouvellement de l’accompagnement jeune majeur d’un ressortissant guinéen confié à l’aide sociale à l’enfance durant sa minorité, en raison de son isolement sur le territoire français, au motif que celui-ci venait de faire l’objet d’un refus d’admission au séjour et d’une obligation de quitter le territoire français par la préfète de l’Ariège.
Pour la petite histoire, le refus de séjour avec obligation de quitter le territoire français était principalement fondé sur l’absence de légalisation de ses documents d’état civil, le dossier de demande de titre de séjour de l’intéressé ayant été déposé par les services du conseil départemental durant la minorité du jeune sans qu’il ne soit procédé à la légalisation des actes.
Alors que la notification de ces décisions rendait ce jeune majeur particulièrement vulnérable et le privait de la possibilité de poursuivre sa formation de maçonnerie en apprentissage en effet soumise à la régularité de son séjour en France et à l’attribution d’une autorisation de travail, le conseil départemental de l’Ariège mettait un terme à sa prise en charge et le sommait de quitter son lieu d’hébergement, sans aucune autre solution d’accompagnement.
Saisi d’un référé liberté, le tribunal administratif de Toulouse rejetait la requête du jeune majeur, préférant faire application de la jurisprudence du Conseil d’État antérieure à la réforme du 7 février 2022 qui elle, reconnaissait un large pouvoir d’appréciation au président du conseil départemental dans le maintien d’une prise en charge après les dix-huit ans, au lieu des nouvelles dispositions ayant étendu leur droit à une prise en charge à leur majorité.
Le jeune majeur faisait appel de cette ordonnance devant le Conseil d’État, soutenu par le Défenseur des droits, ainsi que les associations Gisti, InfoMIE, ADDE et Adjam qui se portaient intervenants volontaires à la procédure.
D’une part, dans la lignée de deux précédentes décisions des 15 et 28 novembre 2022 , le Conseil d’État confirmait l’existence du droit à une prise en charge des jeunes majeurs de moins de vingt et un ans ayant été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance avant leur majorité qui ne disposent pas de ressources ou d’un soutien familial suffisant.
D’autre part, via une application combinée des dispositions de l’article L.222-5 du CASF avec celles de l’article L.222-5-1 du même code définissant le projet d’accès à l’autonomie élaboré par le président du conseil départemental avec le mineur, le Conseil d’État dressait la liste des besoins essentiels devant être couverts par l’accompagnement jeune majeur, soit des mesures d’hébergement, d’aide financière, d’accompagnement administratif, notamment afin de faire authentifier des documents d’état civil et l’accompagnement à la formation professionnelle.
Plus, le Conseil d’État précisait de façon très nette que la circonstance que l’autorité préfectorale ait refusé de délivrer un titre de séjour au requérant et lui ait fait obligation de quitter le territoire français ne faisait pas obstacle au maintien de cette prise en charge globale du jeune majeur.
Dans sa précédente ordonnance du 28 novembre 2022, le Conseil d’État avait déjà jugé que le refus de titre de séjour, qui pouvait être pris en compte dans le cadre du large pouvoir d’appréciation dont disposait auparavant le président du conseil départemental pour accorder ou maintenir une prise en charge jeune majeur, ne pouvait plus fonder une décision mettant un terme à cette prise en charge en application des dispositions du 5° de l’article L.222-5 issues de la loi du 7 février 2022.
Surtout, dans son ordonnance du 12 décembre 2022, le Conseil d’État est allé plus loin en consacrant une nouvelle liberté fondamentale au sens de l’article L.521-2 du code de justice administrative, liberté fondamentale d’accès à une prise en charge globale au titre de l’aide sociale à l’enfance du jeune majeur remplissant les conditions de l’article L.222-5 du code de l’action sociale et des familles.