Entretien avec Catherine Glon, Bâtonnière en exercice, SAF Rennes
Tu es entrée en fonction le 1er janvier 2023 et le 2 janvier tu t’es rendue avec une sénatrice et un député à la prison de Rennes Vezin. Pourquoi ce choix ?
Je souhaitais que la visite des lieux de privation de liberté soit affichée sans ambiguïté comme une priorité de mon mandat.
Le 2 janvier prenait donc une dimension symbolique forte en même temps que la création recherchée de l’effet de surprise.
La loi nous a donné un droit mais elle nous a surtout imposé un devoir.
Il est absurde de dénoncer sans doute que la prison est un lieu clos, mais cette évidence engendre secret, contrôle, et la plupart du temps souffrances. Notre rôle avec d’autres consiste donc à les constater, les rendre visibles et les dénoncer pour tenter de transformer la condition carcérale. Se rendre dans les lieux de privation de liberté avec les élus de la République renforce considérablement le champ d’influence. Ils ont d’ailleurs été formidables de disponibilité et d’intérêt. Et bien entendu il ne faut pas ignorer l’attrait renforcé de cette démarche commune auprès des médias présents tout au long de la visite.
Qu’avez-vous constaté ?
La surpopulation endémique évidemment. La présence de matelas par terre dans les cellules, des matelas si peu épais que les lombalgies sont systématiques ainsi que nous l’ont expliqué les médecins qui ont accepté de nous rencontrer.
L’administration pénitentiaire indique d’ailleurs qu’elle n’en a plus, qu’elle n’a pas davantage de budget et dès lors aucune solution directe. Nous avons appris avec stupéfaction la réduction drastique des effectifs de surveillants pénitentiaires pour la période de nuit. Les moyens n’existent pas dans l’indifférence manifeste des pouvoirs publics qui entendent pourtant les demandes récurrentes de l’administration pénitentiaire à cet égard.
Nous étions extrêmement inquiets de la situation de santé des personnes détenues et les circonstances dans lesquelles plusieurs suicides sont intervenus en 2022 ainsi que l’agonie et la mort d’un jeune homme laissé sans secours dans sa cellule avec pour seule présence celle de son codétenu, qui l’a vu mourir, impuissant et a subi lui-même un traumatisme majeur. Nous avons rencontré cet homme. D’où l’importance pour le bâtonnier de disposer d’informations avant sa visite dans toute la mesure du possible.
Nous connaissons les conséquences souvent irréversibles de l’enfermement sur le corps et l’esprit. Nous avons vraiment eu l’impression que les services soignants faisaient le maximum, eux-mêmes quasi désespérés par la situation.
Comment avez-vous été accueillis par les détenus ? Et par le personnel pénitentiaire ?
Le personnel de l’administration pénitentiaire a paru nous répondre sans réticence et le directeur adjoint qui nous accompagnait a fait droit à toutes nos demandes. À aucun moment et malgré des sollicitations très précises un refus ne nous fut opposé.
En concertation avec les élus de la République, j’avais conçu préalablement des demandes concertées, ce qui s’impose à mon avis : visiter le quartier isolement, le quartier disciplinaire, examiner les conditions sanitaires (douche, aération, cour de promenade…), rencontrer les médecins, s’entretenir aussi avec le personnel pénitentiaire. Toutes ces demandes ont été acceptées.
Les personnes détenues en isolement pour la plupart n’ont pas souhaité nous rencontrer.
Nous avons pu par contre échanger, seuls, en dehors de la présence de la presse et de celle de l’administration pénitentiaire, avec des personnes en quartier disciplinaire. Sans doute ne faut-il pas être naïf, puisque les détenus sont sollicités par le personnel pénitentiaire et sans doute choisis en fonction de leur profil ou de ce qu’ils sauront exprimer et taire. Mais les entretiens ont été assez longs et nous ont permis d’avoir l’effrayante confirmation qu’aller en disciplinaire était parfois la seule voie pour être isolé et échapper à la promiscuité. Toutefois, je crains que les détenus ne soient désabusés et n’attendent plus grand-chose de qui que ce soit, y compris du bâtonnier et des parlementaires qui leur rendent visite.
Cette situation est-elle récente ? Avait-elle été documentée par la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté ?
Le centre pénitentiaire de Rennes Vezin avait déjà fait l’objet de visite de contrôles qui avaient souligné il y a quelques années l’existence de brutalités et de violences exercées par des surveillants pénitentiaires et l’un d’entre eux en particulier, qui depuis semble avoir été muté. Ma question est restée assez sans réponse si ce n’est d’avoir la confirmation que la quasi intégralité de l’équipe de direction avait été renouvelée. Les rapports du contrôleur général des lieux de privation de liberté sont importants, les connaître, communiquer sur leur contenu tout autant. Le rapport que je dois moi-même rédiger notamment à son attention n’est pas encore achevée, à ma grande honte…
Pour les sénateur et député qui étaient présents, leur attention était d’autant plus mobilisée qu’ils avaient conscience à court terme de la réforme annoncée après les États généraux justice et la construction vaine de nouvelles places de prison.
Cette prison est-elle dotée d’un SMPR¹ ?
Rennes Vezin dispose effectivement un SMPR que nous n’avons pas eu le temps de visiter puisque nous sommes restés plus de trois heures sur les lieux et en particulier au moins 45 minutes avec le service médical. Je ne peux donc pas vraiment m’exprimer autrement que par la représentation et les informations que nous avons déjà tous et toutes en particulier grâce à l’OIP.
Ce droit de visite est-il à ta connaissance, investi par les bâtonniers ?
J’ai la certitude qu’il le sera en tout cas de plus en plus et que nous passerons de relations institutionnelles laissant supposer aux barreaux qu’il faut avoir la courtoisie de prévenir les directions pénitentiaires de la venue du bâtonnier, à l’exercice véritable de contrôles. Le Conseil National des Barreaux a conçu un guide extrêmement précis et très précieux. La Conférence des bâtonniers s’empare désormais du sujet avec une journée nationale le 15 mars 2023.
Les avocats sont des vigiles j’ai la conviction qu’à force de peser, d’insister, de s’imposer s’il le faut, nous pourrons contribuer à changer les choses.
La première conférence des bâtonniers des 28 et 29 janvier 2023 avait invité Dominique Simonnot, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Cette dernière a par ailleurs été désignée marraine de la promotion 2023 composée de 2500 élèves avocats de l’EFB.
Est-ce que le regard des représentants des avocats est en mutation sur cette question ?
J’ai très peu d’expérience en qualité de représentant de la profession et j’entame modestement la fonction de bâtonnier évidemment. Mais j’entends tous mes homologues exprimer leur détermination à s’emparer désormais des pouvoirs que leur confère la loi. La vie subie par les personnes détenues relève de l’insupportable pour les avocats toutes générations confondues. Nous ne sommes que des passeurs sans pouvoir prétendre s’approprier une souffrance que nous ne subirons jamais directement. Mais notre rôle demeure essentiel. Il faut donc le dire et le redire, se documenter, en parler effectivement dès l’école.
En tout cas, il faut y aller !
Propos recueillis par Simone Brunet
Notes et références
1. SMPR : Service Médico-Psychologique Régional