Haro sur le logement !

PAR Matteo Bonaglia - SAF Paris | Antonin Sopena - SAF Marseille

Une famille de 4 personnes marche de dos dans la neige avec des bagages

Une première estocade a été discrètement portée en 2020, à l’occasion de l’adoption de la loi n°2020-1525 du 7 décembre 2020 dite « accélération et simplification de l’action publique » ou plus sobrement loi « ASAP ».

À la manœuvre le député LREM Guillaume Kasbarian, consultant en stratégie passé par Deloitte et PMP Conseil, fervent défenseur de la rente locative et des multipropriétaires. C’est notamment à lui que l’on doit la désactivation des dispositions de la loi Énergie Climat du 8 novembre 2019 qui visaient à prélever 5 % du produit de la vente d’un bien mal-isolé afin de financer sa rénovation.
Mais en cet hiver 2020, l’humeur n’est plus à la seule défense des propriétaires, il s’agit désormais d’attaquer les acquis de ceux qui ne possèdent rien, si ce n’est leur force de travail qu’ils vendent de plus en plus péniblement pour s’assurer un toit au-dessus de leur tête.
Les conditions de vie de plus en plus dégradées de ceux-là, le jeune Guillaume n’en a cure. « Assistés », « profiteurs », les quelques droits dont ils peuvent se prévaloir lorsqu’ils n’arrivent plus à payer leur loyer ou en viennent à squatter pour se protéger de la rue assèchent la rente locative, freinent la spéculation et se dressent comme autant d’obstacles à la marchandisation du logement.
Mais notre héraut du grand capital le sait mieux que quiconque, l’art de l’affrontement n’est jamais celui de l’approche directe. Aussi lui faut-il ruser et s’attirer les bonnes grâces d’une opinion publique dont il sait qu’elle est médusée par BFM-TV et prompte à s’attaquer à moins fortuné ou plus coloré.
Sa première attaque ne sera donc pas la plus clivante, ni la plus spectaculaire. Elle marque cependant une première brèche dans une législation patiemment construite au cours des quarante dernières années, dans la recherche d’un équilibre entre les droits des propriétaires et ceux des occupants et afin de prévenir les remises sèches à la rue.
En effet, par une série d’amendements très largement soutenus par la droite et l’extrême droite, le projet de loi ASAP sera augmenté de deux dispositions visant, pour la première, à multiplier par trois la pénalité attachée au délit de violation de domicile et, pour la seconde, à étendre le champ d’application et assouplir les conditions d’engagement de la procédure d’expulsion extra-judiciaire de l’article 38 de la loi DALO.
Si la première ne passera pas le filtre de la rue Montpensier, qualifiée de cavalier législatif, tel ne sera pas le cas de la seconde, faute d’examen par le Conseil.

Depuis le 7 décembre 2020
C’est ainsi que depuis le 7 décembre 2020, toute personne dont le domicile est occupé sans autorisation, qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale, peut demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de vider les lieux. Cette mise en demeure doit intervenir sous quarante-huit heures et prévoir un délai d’exécution qui, s’il ne peut être inférieur à vingt-quatre heures, n’est généralement pas de beaucoup plus.
Et si l’occupant se maintient au-delà de ces quelques heures qui lui sont laissées pour vider les lieux, de ses biens et de sa personne, il lui faudra souffrir la violence d’une remise à la rue manu militari, au su et au vu de tous, quel que soit son état de santé, la présence d’enfants, la période de l’année, la température extérieure, ses chances de trouver une solution alternative d’hébergement ou la carence de l’État à répondre à son obligation de logement ou d’hébergement.
Cette procédure expéditive, dénuée de garanties pour l’occupant qui ne dispose d’aucune voie de recours effective à son encontre, fait le bonheur d’un gouvernement toujours enclin à se saisir d’un fait divers pour flatter son électorat et brandir haut la menace du squatteur-étranger-mangeur-d’enfants.

Ollainville
À cet égard, l’affaire d’Ollainville dans l’Essonne est une triste illustration des dangers que recèle cette nouvelle procédure.
Fin mai 2022, Élodie et Laurent achètent à vil prix une maison qu’ils savent occupée par une famille avec quatre enfants, entrée de bonne foi dans les lieux après avoir été victime d’une escroquerie à la vente. N’entendant pas supporter le coût et la durée d’une procédure d’expulsion judiciaire respectueuse des intérêts de chacun, le jeune couple tente d’abord de les expulser par la force avec l’aide de quelques amis. Après avoir échoué à déloger la famille, ils contactent une certaine presse qui, sans vérification aucune, relayera leur récit. Un couple de français, empêché par des étrangers de rentrer chez eux pour jouir d’un bien qu’ils auraient acquis à la sueur de leur front, l’affaire est vue comme une aubaine médiatique pour l’exécutif dont Gérald Darmanin ne manque pas de se saisir. C’est ainsi que le 9 juin 2022, le ministre de l’Intérieur donne pour ordre à son préfet d’arrêter l’évacuation forcée du logement et qu’une famille, dont quatre enfants scolarisés, se voit contrainte dès le lendemain de vider les lieux en catastrophe.
À travers ce triste fait divers, ce sont tous les dangers que porte cette procédure d’expulsion extrajudiciaire qui sont mis en lumière. Non-respect des conditions d’engagement de la procédure, instrumentalisation politique flattant les stéréotypes xénophobes, autorité chargée d’arrêter une décision de remise à la rue dénuée de garanties d’indépendance et d’impartialité, absence de voie de recours effective, désastreux arbitrage des intérêts en présence, défense bornée du droit de propriété, ici au profit de délinquants et au préjudice d’une famille avec enfants.

Las, Guillaume Kasbarian n’entendait pas en rester là.
Deux ans et une mandature plus tard, il n’est plus question d’estocade mais bien de guerre totale. Conforté par ses premiers succès, acclamés par les grands acteurs de l’immobilier, Guillaume Kasbarian dépose sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi « visant à protéger les logements contre l’occupation illicite ».
Largement amendé par la droite et l’extrême droite, le texte est adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 2 décembre 2022 puis par le Sénat le 2 février 2023. Une seconde lecture est prévue pour le printemps 2023 et le texte définitif pourrait être promulgué d’ici cet été.
En l’état du texte adopté en première lecture par les deux chambres, il est prévu de faciliter et accélérer la remise à la rue des locataires en difficulté – ce sont les chapitres II et III intitulés « sécuriser les rapports locatifs » et « renforcer l’accompagnement des locataires en difficulté » – tout en développant les outils qui permettront d’en gérer les conséquences sociales – c’est le chapitre I intitulé « mieux réprimer le squat du logement ».

À cet égard, il est fondamental de rétablir cet ordre de lecture, au risque de manquer la logique sous-jacente car le locataire qui fait face, aujourd’hui à des difficultés financières est l’expulsé de demain aussi sûrement qu’il sera le squatteur d’après-demain.

Concernant les chapitres II et III, la tendance est à l’accélération et à la simplification de la procédure d’expulsion judiciaire, désormais réservée à l’occupant entré dans les lieux sous couvert d’un titre.

La mauvaise foi de l’expulsé
Pour ce faire, le législateur entend intervenir en amont, pendant et en aval de l’audience.
En amont, la clause de résiliation de plein droit pour impayé est généralisée. En outre, le délai laissé au preneur pour apurer sa dette locative après délivrance d’un commandement de payer est ramené de deux mois à six semaines et le délai de comparution entre la délivrance de l’assignation et l’audience – c’est-à-dire le délai dans lequel doivent être réalisés les diagnostics sociaux et financiers, seuls à même d’éclairer le juge sur la situation d’un ménage absent dans plus de 60 % des cas à l’audience – est lui aussi réduit et ramené de deux mois à six semaines. Au cours de l’audience, une nouvelle notion fait son entrée : « la mauvaise foi de l’expulsé ». Porte ouverte à l’arbitraire judiciaire, cette notion de mauvaise foi permet, si elle est constatée par le juge, de priver l’expulsé du bénéfice des deux mois suivant le commandement de quitter les lieux ainsi que de lui refuser le bénéfice d’un quelconque délai de grâce.
Enfin, en aval de l’audience, la durée du délai de grâce dont aurait éventuellement bénéficié le locataire expulsé est ramené de trois ans à un an maximum, quelle que soit sa situation, et l’intervention du concours de la force publique pour l’exécution forcée de la décision est facilitée.

Un homme et une femme devan leur voiture avec leurs affaires après avoir été expulsés

Pénalisation
Concernant le chapitre I, la tendance est à la déjudiciarisation du contentieux de l’occupation sans droit ni titre et à la criminalisation des plus précaires. Plusieurs nouveaux délits sont créés tandis que les conditions d’engagement de la procédure d’expulsion extrajudiciaire de l’article 38 de la loi DALO sont encore assouplies. Et si par extraordinaire l’occupant sans titre réussi à accéder au juge judiciaire, ce dont on peut sérieusement douter, il est privé du bénéfice des délais protecteurs et son expulsion manu militari accélérée. Quant au propriétaire, une nouvelle cause d’irresponsabilité est créée en cas d’occupation sans droit ni titre qui le libère de son obligation d’entretien du bien et transfert la responsabilité d’un dommage à un tiers sur l’occupant.
Quand on sait la difficulté que rencontrent les victimes de marchands de sommeil à justifier d’un bail verbal et du règlement en liquide exigé pour leur loyer, on devine aisément les effets catastrophiques que cette disposition entraînera en matière de lutte contre l’habitat indigne et de poursuite des marchands de sommeil.
Ainsi, il est créé un nouveau délit d’occupation frauduleuse d’un local à usage d’habitation ou à usage économique qui réprime de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende l’introduction, comme le maintien, dans un local à usage d’habitation ou à usage économique à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte. Il est à craindre que la création de ce nouveau délit ne vienne conforter une pratique policière jusqu’ici illégale – quoique jamais sanctionnée – qui consistait à interpeller et placer en garde à vue les occupants, le temps pour le propriétaire de récupérer et sécuriser son bien. Si jusqu’à présent les faits étaient souvent requalifiés en dégradations de bien privé pour justifier le recours à la procédure pénale mais les poursuites rarement déclenchées, il est à craindre qu’à l’avenir, non seulement les occupants ne soient évacués sous couvert d’une enquête de police judiciaire mais qu’en outre, ils soient effectivement poursuivis, condamnés et incarcérés pour avoir voulu se protéger des violences de la rue ou de la rigueur de l’hiver dans un bâtiment souvent vide et inutilisé.

On notera par ailleurs que la répression de « l’occupation frauduleuse d’un local à usage économique » inquiète légitimement divers syndicats de travailleurs et associations quant à sa possible application à des piquets de grève ou à des actions d’occupation de locaux d’activités.

À ce nouveau délit s’ajoute celui de maintien dans un local à usage d’habitation en violation d’une décision d’expulsion définitive et exécutoire ayant donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux depuis plus de deux mois. Cette nouvelle infraction entend punir de 7 500 euros d’amende le locataire définitivement expulsé qui ne se jetterait pas de lui-même à la rue à l’issue des éventuels délais dont il aurait pu bénéficier. Si le texte prévoit quelques dérogations – il est ainsi inapplicable aussi longtemps qu’un juge de l’exécution saisi d’une demande de délais de grâce n’a pas rejeté la demande du locataire ou jusqu’à l’issue des rares délais qui peuvent parfois lui être attribués, il est également inapplicable aux expulsés du parc locatif public – reste que l’idée de punir des ménages précaires qui ne réussissent plus à payer leur loyer et rechignent à se jeter d’eux même à la rue, avec leurs enfants, dit beaucoup de l’esprit de cette proposition de loi. On rappellera ainsi qu’au sortir de l’Assemblée nationale, les députés avaient non seulement prévu une peine d’amende mais également une peine de six mois d’emprisonnement, finalement supprimée grâce à la mobilisation des associations.
Par ailleurs, la propagande ou la publicité de méthodes visant à faciliter ou à inciter à la commission des délits de violation de domicile ou d’occupation frauduleuse d’un local à usage d’habitation ou à usage économique sera réprimée de 7 500 euros d’amende. Le risque tient ici à ce que les associations agissant en faveur du logement ou en défense des travailleurs ne finissent par être l’objet de poursuites pour l’aide et le conseil apportés à celles et ceux des personnes en situation de rue ou de conflit avec leur employeur.
Enfin, les conditions d’engagement de la procédure d’expulsion extrajudiciaire de l’article 38 de la loi DALO sont assouplies et étendues à l’occupation de tout local à usage d’habitation, qu’il soit ou non constitutif du domicile d’autrui, les délais sont raccourcis et les formalités allégées pour les propriétaires qui pourront obtenir du préfet l’évacuation forcée d’un occupant sans titre en tout juste quarante-huit heures.
Si tant est, enfin, que l’occupant sans titre ne soit pas évacué de force dans le cadre d’une opération de police judiciaire ou sur la base d’un arrêté d’évacuation adopté par le préfet sur le fondement de l’article 38 de la loi DALO, et qu’il accède au juge naturel de l’expulsion, il ne pourra plus bénéficier des délais prévus par les dispositions du code des procédures civiles d’exécution et le concours de la force publique à l’exécution forcée de la décision d’expulsion devra intervenir sous sept jours.
Sous les oripeaux populistes de la défense des petits propriétaires – dont on rappellera qu’ils ne détiennent qu’un tiers du parc locatif, on reconnaît ce double mouvement bien connu des politiques ultra-libérales qui s’apprêtent à toucher le droit du logement, entendu largement et sous toutes ses formes. Vers le haut, plus de laisser-faire pour les possédants et moins de contrainte à la valorisation de leur capital foncier et immobilier. Vers le bas, un encadrement normatif toujours plus complexe et contraignant doublé d’une répression accrue afin de gérer les dramatiques conséquences qui en résulteront pour les plus précaires, pour tous les exclus de la valorisation du capital et du procès de reproduction capitaliste de la société dans son ensemble.
Il est encore temps de se mobiliser et d’appeler, partout, à l’abandon de cette proposition de loi qui ne fera qu’accroître le ressentiment et l’injustice d’une société de plus en plus divisée.

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