Avocats menacés

PAR Raana Habibi, consœur afghane et Ehsan Hosseinzade, confrère iranien

En protégeant les droits de leurs clients et en promouvant la cause de la justice, les avocats sont, comme le rappelle les principes de base des Nations Unies relatifs au rôle du barreau dits Principes de La Havane, les acteurs du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La Journée de l’avocat en danger qui se tient le 24 janvier est l’occasion de convaincre du rôle essentiel des avocats dans nos sociétés et de prendre conscience des menaces auxquelles ils sont confrontés dans l’exercice de leur profession dans la défense de l’État de droit.
Il n’existe pas aujourd’hui de véritable chiffre officiel du nombre d’avocats gravement en danger dans le monde. Pourtant, chaque jour ou presque, des avocats sont assassinés, menacés, arrêtés, torturés, poursuivis – ou disparaissent tout simplement – pour le simple fait d’accomplir leur travail.
À l’occasion de la 8ème journée de l’avocat menacé organisée par le SAF Montpellier le 27 janvier dernier, nous avons rencontré Raana Habibi, avocate afghane engagée pour la défense des droits des femmes et Ehsan Hosseinzadeh, avocat iranien, membre du collectif Iran of the World.

Quelle est la situation des avocat.e.s dans votre pays aujourd’hui ?
RH : Avant que les talibans ne prennent le contrôle de l’Afghanistan, nous avions une constitution, une loi civile, une loi interdisant la violence à l’égard des femmes, des lois pénales et un corpus législatif utilisé par les juges et les avocats pour faire respecter les droits de l’homme. Les femmes avaient le droit de travailler et d’être actives, le droit d’étudier et de choisir leur domaine d’études, le droit de choisir un conjoint, de porter plainte pour harcèlement et de devenir avocate. Dans l’ensemble, la situation des avocates en Afghanistan était globalement correcte et les avocates des parties civiles étaient soutenues et respectées par les juges et les citoyens.
Depuis leur arrivée au pouvoir, les talibans ont détruit le système judiciaire, déclaré invalides les lois en vigueur, démis de leurs fonctions les juges, les avocats et tout le personnel judiciaire, principalement les femmes. Ils ont considéré que personne n’avait besoin d’avocat et ont imposé leur conception de la charia, seule base sur laquelle est désormais rendue la justice.
Les tribunaux sont dirigés par les talibans qui estiment que les juges, la police, les avocats qui ont travaillé dans la période antérieure sont désormais des ennemis du nouveau pouvoir. En effet, un grand nombre de talibans ont été emprisonnés sur la base des décisions rendues par les juridictions mises en place par le précédent gouvernement.
Aujourd’hui, le droit n’existe plus en Afghanistan car les talibans élaborent seuls leurs propres règles pour administrer la justice.
Pour les talibans, les personnes inculpées ne bénéficient pas de la présomption d’innocence et ne peuvent prétendre donc à la défense par un avocat. Aujourd’hui, les avocats sont en grande précarité financière. Ils n’ont plus de ressources financières alors qu’ils ont fait des études et disposent d’une grande expérience professionnelle.
De façon similaire, tous les juges et auxiliaires de justice notamment les femmes ont été démis de leurs fonctions et ont sombré dans la pauvreté.
Les talibans ont saisi tous les actifs du Barreau Afghan et ont fermé les différentes représentations dans toutes les villes du pays. Ils ont pillé les archives du Barreau et récupéré ainsi tous les documents confidentiels concernant les avocats.

EH : L’indépendance du pouvoir judiciaire et des avocats est menacée en Iran pour les raisons suivantes :
Selon l’article 12 de la constitution iranienne, la religion officielle du pays étant l’islam chiite, le recrutement des juges est discriminatoire car l’accès aux professions juridiques est fondé sur la religion des personnes.
Selon l’article 110 de la constitution iranienne, le chef du pouvoir judiciaire est désigné d’une manière non démocratique par décret direct du guide suprême qui est un clerc religieux.
Les tribunaux révolutionnaires islamiques sont sous influence directe des Gardiens de la Révolution et du ministère du renseignement qui est aujourd’hui clairement responsable de la répression des militants et défenseurs des droits.
Les aptitudes nécessaires à l’exercice de la profession d’avocat : la demande des candidats qui ont agi contre le régime est nécessairement rejetée. La demande des avocats de devenir membres du conseil de l’ordre, sera pré-examinée par le pouvoir judiciaire afin de vérifier que les demandeurs n’ont pas agi contre le régime.
Après le début des manifestations en septembre 2022 et jusqu’à ce jour plus de 50 avocats ont été arrêtés pour trois raisons principales : la défense les prisonniers politiques, la participation à la manifestation pacifique contre le régime, la prise de position dans les médias pour défendre les droits de l’homme.
Plus de 200 avocats ont été menacés par téléphone par le service de renseignements. Même si la plupart des avocats ont été libérés sous caution, ils sont sous pression et contrôle permanent du pouvoir judiciaire et des gardiens de la révolution.

Comment pouvons-nous vous aider pour la défense de nos consœurs et confrères ?
RH : Aujourd’hui, les avocats en Afghanistan sont clairement déçus par l’absence de réaction des pays européens. Aucun pays n’a apporté un soutien décisif aux avocats afghans, très peu d’avocats sont parvenus dans des pays sûrs. Les avocats afghans expriment plusieurs demandes à la communauté internationale que je résumerai ainsi :
1. Nous voulons une pression politique sur les talibans de la part de la communauté internationale.
2. Nous voulons pouvoir exercer pleinement et librement notre activité d’avocat.
3. Nous voulons que les pays européens permettent aux avocats afghans d’obtenir le droit d’asile ou de les aider à gagner des pays sûrs.
4. Nous demandons à ce qu’aucun pays ne reconnaisse le régime des talibans.

EH : Le combat des avocats iraniens est un combat qui doit être universel. La voix des avocats iraniens n’est pas entendue par la société civile européenne. Les travaux de recherche et d’enquête des ONG sont nécessaires. Lorsque l’Iran sort de l’attention des médias européens, les avocats iraniens sont encore plus menacés. Les pays occidentaux devraient aider les ONG iraniennes qui travaillent sur la question des avocats iraniens car la documentation, la création des contenus audiovisuels, la rédaction des articles, l’organisation des conférences sur la violation de l’indépendance des avocats en Iran, la médiatisation des exactions contre les avocats (…) sont nécessaires maintenant et nous attendons votre soutien notamment financier. C’est comme ça que les pays européens peuvent nous soutenir dans le combat pour l’indépendance des barreaux et de la profession.
La situation n’est pas comparable en France. Mais les évènements récents en Hongrie, Pologne ou Israël démontrent bien que les sociétés dites démocratiques ne sont pas à l’abri de tentations totalitaires avec comme cible commune l’indépendance de la justice et le statut des avocats.

Conscient de ce dangereux glissement, le Conseil de l’Europe travaille actuellement sur l’élaboration d’une convention sur la profession d’avocat1. Cette convention aura pour but de renforcer l’état de droit et, par là même, la protection de l’avocat dont la mission est fondamentale dans l’administration de la justice et la sauvegarde des droits fondamentaux.

Le SAF par l’intermédiaire de l’AED et des membres élus au CNB participera activement à l’adoption d’un premier instrument juridiquement contraignant sur la profession d’avocat.

Propos recueillis par Juan Prosper, SAF Paris

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