Paul Bouaziz

PAR Simone Brunet

95 années de vie et près de 80 ans d’un parcours hors du commun, Paul est parti le 20 novembre 2021 rejoindre Simone disparue le 2 août 2011.

 

Adolescent, depuis Oran où il est né en 1926, il assiste à l’impensable Shoah et à la répression coloniale. Il veut croire à l’homme nouveau et adhère donc au Parti communiste algérien à vingt ans et devient avocat à vingt-quatre. En 1953 il épouse Simone Benamara, avocate elle aussi.
Ils seront très présents dans le mouvement de la Paix en Algérie aux côtés de François Chatelet philosophe et de Mac Ferro, historien. Ils vont être les premiers à défendre les activistes du FLN victimes de la répression. À eux deux ils ont représenté 50% des avocats prenant en charge la défense des « patriotes algériens » ainsi nommés sur le territoire, et quelle que soit leur obédience, FLN, communistes, syndicalistes, nationalistes algériens. Le PCA hésite devant la lutte armée.
En septembre 1956 le couple qui se trouve alors à Paris apprend qu’il est frappé d’une interdiction de séjour en Algérie. Il fut d’ailleurs par la suite condamné à vingt ans de travaux forcés par le Tribunal Permanent des forces Armées. Il va connaître la clandestinité et s’abritera ensuite à Prague où naîtra notre confrère Pierre. Paul et Simone devenus Paul et Simone Dupont collaborent là-bas à la Fédération syndicale mondiale. En 1962, lors de l’Indépendance de l’Algérie, ils retournent au barreau d’Oran.


En 1965 Boumédiène renverse Ben Bella par un coup d’état anéantissant l’idéal d’une nation algérienne mixte. La mort dans l’âme, les Bouaziz s’exilent à Paris en 1968 et organisent une défense sociale avec la CGT dans leur cabinet de la rue du Renard qui sera pendant des années le siège du SAF (dont il fut l’un des fondateurs) créé en 1972 et du conseil syndical. Il effectue des missions internationales au Paraguay et en Grèce.
On connait mieux la suite : fondateur avec Tiennot Grumbach et Michel Henry de la commission de droit social du SAF et du colloque de droit social chaque mois de décembre. Président du SAF en 1980-1981. Il quitte le PC en 1979 lors de l’invasion soviétique en Afghanistan. Il anime le front uni d’avocats et magistrats contre la Loi « Sécurité et liberté » en 1980. Il co-anime la commission ouverte de droit social du barreau de Paris pendant des années. Il anime aussi l’AFDT et en assure le secrétariat général en son temps. En 1992 il devient membre du premier CNB et président de la commission Accès au droit.
L’Algérie a rendu hommage à Paul dans Le Quotidien d’Oran (version française et arabe) et dans le quotidien Le Soir, ce qui en dit long sur sa fraternité vivante. Un ouvrage de Pierre-Jean Le Foll-Luciani historien, intitulé Les juifs algériens dans la lutte anticoloniale1 et publié en 2015 permet de suivre pas à pas sa/leur contribution à la recherche de la paix et de la construction d’une nation algérienne mixte. Nous, jeunes avocats adhérant au jeune SAF de 1974, avons ignoré la force et le parcours si douloureux de ces avocats militants déjà largement quadragénaires à ce moment-là tant ils furent particulièrement discrets.
Tout ce parcours dit peu de ce qu’il a pu transmettre à des générations d’avocats et du respect de ses contradicteurs. Michel Henry a su rappeler l’importance de l’apport de Paul au travail collectif du SAF en droit social sans désemparer2. Paul était immensément humain et généreux, avec des colères aussi vibrantes qu’injustes parfois, à la hauteur de ses convictions… Paul, séfarade, était un mensch3. Réjouissons-nous de l’avoir connu.

Notes et références

1. Les juifs algériens dans la lutte anticoloniale, Pierre-Jean Le Foll-Luciani – Presses universitaires de Rennes, 2015
2. Droit Ouvrier, décembre 2021
3. Mensch : le plus beau compliment pour un humain, même séfarade dans la culture yiddish et donc ashkénaze

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