Notre consœur Ebru Timtik est décédée à la suite de sa grève de la faim en détention, le 27 août 2020. Une fois l’émotion passée, les affiches placardées sur nos maisons
des avocats, les déclarations de nos différentes organisations professionnelles, il reste seulement le silence, le silence qui se fait dans les cellules de nos confrères toujours enfermés en Turquie pour avoir simplement exercé leur profession.
L’État turc ne semble pourtant toujours pas accorder la moindre importance aux condamnations internationales du sort de nos confrères. Les procès se poursuivent, les détentions provisoires déjà excessives se prolongent encore et les avocats prévenus seront littéralement oubliés si les barreaux ne continuent pas à parler d’eux, de leurs combats et de l’absence d’État de droit et de procès équitable en Turquie.
Ce qui se joue en réalité c’est la place de l’avocat dans un pays autoritaire. Le cas des confrères turcs doit alerter sur la dérive possible dans d’autres États qui tentent de réguler notre profession. Les excès normatifs tendent de plus en plus souvent à assimiler l’avocat à ses clients, portent atteinte à l’indépendance de l’avocat, à son secret professionnel et font des régimes juridiques d’exception la norme de gouvernance.
Dès le 18 janvier 2013, des opérations de police sont engagées contre des avocats membres de ÇHD (Association des avocats progressistes appartenant à l’AED comme le SAF). Le 21 janvier 2013, plusieurs avocats, dont Selçuk Kozagaçlı, Ebru Timtik et Barkın Timtik sont placés en détention et accusés d’adhésion à une organisation terroriste.
Depuis leur incarcération La Cour Suprême turque a affirmé que « l’avocat représente librement une défense indépendante qui est l’un des éléments fondateurs de la justice ». Toutefois elle a ajouté une nuance d’importance en indiquant « tout type d’affaire qui est en contradiction avec la dignité professionnelle ne peut être reliée à la profession d’avocat ».
La justice turque a ainsi précisé les actions des avocats qu’elle estime se situer au-delà du cadre de leur activité et qui correspondent à une action criminelle telles que : « dissimuler des informations sur les organisations politiques ou syndicales ciblés – détourner l’attention de l’accusation et encourager la résistance – rendre compte d’événements judiciaires et assister aux audiences – assister aux funérailles, réunions et rassemblements, comme les défilés du 1er mai ou le 8 mars – participer à des conférences à l’étranger en tant qu’orateur ou spectateur qui sont organisées dans le cadre de l’activité de l’organisation ».
Ainsi des avocats sont poursuivis pour avoir exercé leur mission, simplement pour avoir défendu des opposants au régime.
Ce choix de clients a entraîné le décès en détention de Ebru Timtik et plus de huit années de détention provisoire et une succession de procès, qui ne sont en réalité que des parodies de justice pour Selçuk Kozagaçlı et Barkın Timtik.
Lors de leur dernière audience en janvier 2022, où se trouvait notamment une délégation du SAF, Selçuk Kozagaçlı et Barkın Timtik étaient représentés par plus de 200 confrères et consœurs turcs, une trentaine d’avocats étrangers représentants différents pays qui étaient également présents dans une salle d’audience plus proche d’un stade que d’une enceinte judiciaire, et entourés de nombreux policiers exerçant une pression muette mais non dissimulée sur ces observateurs extérieurs.
L’irrévérence des confrères turcs lors de cette audience scandant le nom de leurs confrères incarcérés, applaudissant leur arrivée dans une solidarité unanime et refusant de se lever ostensiblement à l’arrivée de la Cour, signifiait à cette justice, qu’ils n’entendaient pas la respecter tant qu’elle ne respectera pas l’ét
at de droit.
L’émotion des prévenus était palpable ; ils se présentaient devant la Cour avant tout comme avocats. Ils profiteront de ce procès (qui fera d’ailleurs de nouveau l’objet d’un renvoi) pour plaider avec force et vigueur les dérives procédurales, les atteintes aux droits de la défense et la durée excessive de leurs détentions arbitraires, avec un engagement à peine entamé par des années de détention abusive.
La présence de plusieurs avocats et bâtonniers turcs, de confrères issus des différents barreaux étrangers lors de leur procès, permet à chaque fois d’assurer les confrères détenus d’un soutien évident et unanime de la profession. C’est également un moyen d’indiquer à l’État turc que le reste du monde assiste à la maltraitance des avocats en Turquie.
Notre Confrère Selcuk Kozagaçli a énoncé avec émotion lors de l’audience du 5 janvier : « Je me sens exceptionnel car je suis défendu par un grand nombre d’avocats, je me sens en sécurité, je les remercie. »
Porter la même robe que ces confrères et consœurs nous oblige et doit nous engager dans leur défense !