Il est toujours difficile d’écrire à contre-temps.
Une élection présidentielle, une guerre, un virus viennent s’immiscer dans le calendrier.
Nous pourrions aller aux quatre vents du Monde. Pourtant, il est un fait incontournable et qui nous a profondément attristé : Mireille Delmas-Marty nous a quittés.
Les sujets sur lesquels elle travaillait, semblent s’être donnés rendez-vous pour lui rendre un dernier hommage, se concentrant dans cet espace-temps si court et si particulier, avant-gout d’un monde sans fin : la question des frontières, l’accueil digne des réfugiés, le glissement de l’État de droit vers l’exception et le répressif… et l’importance de construire une « mondialité » apaisée.Professeure de droit, juriste et activiste, elle n’avait de cesse de rappeler que le droit devait être au cœur des réflexions de nos sociétés et qu’il ne pouvait être une variable d’ajustement, qu’il fallait utiliser les « forces imaginantes du droit » pour faire avancer la société. Infatigablement, elle alertait sur les dérives autoritaires de notre société : « Tout l’arsenal transforme nos États de droit en États policiers et nos sociétés ouvertes en sociétés de la peur où la suspicion suspend la fraternité et fait de l’hospitalité un délit pénal ».
L’intelligence de cette grande femme ne semble pas avoir effleuré la conscience de nos gouvernants.
Le bilan de la mandature fait froid dans le dos : cinq années de surveillance et de censure, répression sans précédent des mouvements sociaux, traque des personnes indésirables à coups d’amendements, loi séparatisme, contrat d’engagement républicain et dissolutions d’associations, état d’urgence sanitaire, code de justice pénale des mineurs, lois populistes en réaction en chaîne aux faits divers, reniement sur les pesticides, création de la cellule de gendarmerie Demeter, mise en place du CSE, télétravail, loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, augmentation de la violence envers les personnes – n’en déplaise à monsieur Darmanin que l’on invite à rester calme – gouvernance autoritaire, passage en force et en procédure accélérée…
Le ministère de la Justice n’est pas en reste. Notre garde des Sceaux qui devait faire des miracles pour restaurer la confiance des citoyens envers la Justice, a accouché d’une souris. Face à l’arrogance de ce ministre qui pensait la Justice désormais réparée et qui ne craignait pas les conflits d’intérêt, l’ensemble des professionnels de Justice ont crié leur colère et leur mal-être. Notre service public est à l’agonie mais, tel un solipsiste, le ministre continue sa marche forcée, et répète comme un mantra que « l’on peut débattre de tout sauf des chiffres ». Personne n’est dupe.
La prochaine mandature devra être exemplaire pour faire fonctionner dignement ce service public essentiel, au cœur de la démocratie. Car sans justice, sans avocat, sans défense, il ne peut y avoir de démocratie. Ce que vivent nos confrères et consœurs turcs doit être sans cesse rappelé pour nous maintenir en alerte.
Nous resterons donc vigilants.
Dans le cadre des élections présidentielle et législatives, le SAF a souhaité mettre sur le papier ses nombreuses propositions, au travers de son livret Justice et rappelle avec force que la Justice a besoin avant tout de moyens pour fonctionner et « Face à ces vents contraires, on ne va pas choisir entre l’un ou l’autre, nous sommes obligés de naviguer avec l’un et l’autre ».