Loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale ou la responsabilisation
pénale des personnes atteintes de troubles mentaux
Ce gouvernement n’aura pas résisté à l’appel du « un fait divers / une loi ». L’arrêt de la Cour de cassation du 14 avril 2021 (meurtre de Sarah Halimi) fut considéré par certains comme un appel du pied au législateur. La loi, en réformant l’irresponsabilité pénale, entame encore un peu plus ce principe fondamental. Responsabilisons les malades mentaux, ils l’ont finalement bien cherché.
La modification de l’esprit du principe d’irresponsabilité pénale : une réponse politicienne au « besoin » de procès
L’affaire Halimi/Traoré a suscité une profonde émotion dans l’opinion publique. Pour mémoire, plusieurs collèges d’experts avaient conclu à une abolition du discernement en raison d’une bouffée délirante. Les requérants soutenaient que la consommation de stupéfiants était un comportement fautif, devant exclure l’application de l’article 122-1 du code pénal. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi et a indiqué dans son communiqué « la loi sur l’irresponsabilité pénale ne distingue pas selon l’origine du trouble mental qui a fait perdre à l’auteur la conscience de ses actes. Or, le juge ne peut distinguer là où le législateur a choisi de ne pas distinguer »1.
Ce qui était un rappel inédit et clair de la législation en vigueur et une interprétation stricte de la loi pénale fut compris comme un appel à une modification législative. Réformons, puisque la décision déplaît. Le gouvernement ne s’en est pas caché puisqu’il indique dans l’exposé des motifs du projet de loi « Compte tenu de l’incompréhension que cette décision a provoquée dans une partie de l’opinion publique, une clarification de la loi apparaît nécessaire ».
Le gouvernement a fait fi des conclusions du rapport qu’il avait lui-même commandé, réunissant l’expertise de juristes, psychiatres et parlementaires, sur la question. Si ce rapport2 proposait de nombreuses recommandations (notamment relatives à l’articulation entre instruction et procédure d’hospitalisation sans consentement), il précisait sans aucune forme d’ambiguïté qu’il ne fallait pas modifier l’article 122-1 du code pénal, jugeant la réforme du 25 février 2008 perfectible mais suffisante. Ne pas modifier l’article 122-1 du code pénal ? Le gouvernement ne le modifie pas, certes, mais ajoute les articles 122-1-1 et 122-1-2 du code pénal qui en modifient l’essence.
Il a pu être lu à la suite de cet arrêt que les victimes sont en droit d’attendre un vrai procès, que l’accès même au prétoire devait être réformé. C’est ce même « besoin de procès » qui avait dicté la réforme du 25 février 2008. C’est oublier que le procès doit être le jugement d’un individu discernant. C’est détourner la raison d’être du procès et de la fonction judiciaire : « la finalité thérapeutique du procès des irresponsables pénaux ne peut s’entendre que de l’acceptation de leur rabaissement, dans le cadre de l’audience de jugement, au rang d’instrument de la catharsis populaire »3.
Le principe d’irresponsabilité pénale : il ne peut y avoir de responsabilité sans libre arbitre.
Serge Portelli a pu écrire que « le « fou » est assez puni par sa maladie, il en est même victime, il doit par conséquent être protégé, notamment contre les décisions irréfléchies de la justice »⁴. C’est cet esprit qui a pu commander les différents textes relatifs à l’irresponsabilité pénale depuis le droit romain.
Ce principe d’irresponsabilité pénale a été repris par l’article 122-1 du code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». La notion d’imputabilité, au cœur de notre système de responsabilité pénale, est indissociable de la notion de libre arbitre. Pour qu’il soit possible d’imputer une infraction à son auteur, ce dernier doit avoir agi avec libre arbitre, avoir été en capacité de comprendre son acte et sa portée.
Le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi5 avait pu rappeler qu’« il ne peut y avoir de responsabilité sans libre arbitre. Par suite, le législateur ne saurait ni écarter ce principe, ni l’altérer dans une mesure qui le dénaturerait ».
C’est pourtant chose faite avec la loi du 24 janvier relative à la responsabilité pénale et la sécurité intérieure, et le Conseil constitutionnel n’a pas souhaité se saisir des moyens d’inconstitutionnalité soulevés par les organisations syndicales du monde judiciaire. Un nouvel article 122-1-1 du code pénal dispose désormais « Le premier alinéa de l’article 122-1 n’est pas applicable si l’abolition temporaire du discernement de la personne ou du contrôle de ses actes au moment de la commission d’un crime ou d’un délit résulte de ce que, dans un temps très voisin de l’action, la personne a volontairement consommé des substances psychoactives dans le dessein de commettre l’infraction ou une infraction de même nature ou d’en faciliter la commission ». Il s’agit bien ici non pas simplement d’altérer ni de dénaturer le principe même, mais bel et bien de l’écarter.
Le nouvel article 122-1-2 du code pénal prévoit quant à lui l’inapplicabilité du principe de diminution de peine en cas d’altération du discernement « lorsque cette altération résulte d’une consommation volontaire, de façon illicite ou manifestement excessive, de substances psychoactives ». Plus de référence ici à une prise de toxique dans le dessein de commettre une infraction.
Une pénalisation de la maladie mentale inopportune et dangereuse
L’abolition du discernement exclut par principe l’existence d’une intention criminelle ou délictuelle. Or, l’ajout de l’article 122-1-1 du code pénal opère un changement inédit de paradigme. Il s’agit d’écarter le principe de l’irresponsabilité pénale en cas d’abolition du discernement au moment des faits, considérant que le fait que l’individu ait disposé de son libre arbitre, et donc d’une forme d’intentionnalité, avant la commission des faits, suffit à retenir sa responsabilité.
Il s’agit ici d’introduire une notion d’ « intention glissante », qui, présente avant la commission des faits, s’étendrait à la commission de ceux-ci et ce malgré l’abolition du discernement au moment des faits. C’est ici, par un artifice contra-legem, considérer que tous les éléments légaux de l’infraction commise avec un discernement aboli seraient finalement réunis. Par ailleurs, l’article 122-1-1 mentionne « le dessein de commettre l’infraction ou une infraction de même nature ». Nul donc besoin que l’infraction commise sous un discernement aboli soit différente de celle envisagée en amont.
Peut-on toujours parler de procès équitable lorsque l’on cherche par tout moyen à placer le malade mental sur le banc des prévenus pour répondre à un « besoin de procès » ? Le procès remplit-il sa fonction judiciaire lorsqu’il s’agit de juger un homme dépourvu de libre arbitre au moment des faits au nom d’une prétendue valeur cathartique du procès pénal ? Si une réforme de la responsabilité pouvait s’envisager notamment à l’aune des recommandations du rapport Houillon/Raimbourg, elle aurait mérité d’être extraite de toutes velléités politiciennes.
Notes et références
1. Cass. crim 14 avril 2021 n°20-80.135
2. Mission sur l’irresponsabilité pénale, rapport Houillon/Raimbourg du 19 février 2021, rapport commandé par Nicole Belloubet
3. La dangerosité comme éclipse de l’imputabilité et de la dignité – Pierre-Jérôme Delage, RSC 2007. 797
4. AOC, Justice, Irresponsabilité : un projet de loi irresponsable – Serge Portelli, 13 mai 2021
5. Avis sur le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure NOR : JUSX2116059L/Verte-1, N° 402975