« Protection des enfants » (2007), « Protection de l’enfant » (2016), « Protection des enfants » (2021) Trois textes et un constat sans appel : un accroissement du nombre et de la situation de mineurs en danger, aggravé par la crise sanitaire.
DE 2007 A 2021
2007. La loi du 5 mars 20071, texte majeur réformant la protection de l’enfance, donnant compétence exclusive aux conseils généraux, désormais départementaux, est venue couronner un processus ininterrompu de transfert de compétences de ces trente dernières années, lors desquelles l’État a confié de plus en plus de missions aux collectivités territoriales. Mais la majorité des départements n’a pas bénéficié des transferts suffisants des finances étatiques pour assumer pleinement cette charge.
Ce texte fut adopté au moment de la mise en œuvre de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP), qui a provoqué la suppression de dizaines de milliers de postes et révisé drastiquement les champs de compétences de l’État. Pour la Protection Judiciaire de la Jeunesse (service public d’éducation au ministère de la justice), il a signé la fin de son intervention au titre de l’assistance éducative et le début de sa « spécialisation » dans le champ strictement pénal, mettant fin de fait à la double compétence civile et pénale de la PJJ instituée depuis 1958. Décision lourde de conséquence, car la spécialisation de l’intervention de la PJJ en assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) auprès des adolescents suivis au pénal fut complètement perdue et les départements se sont trouvés dans l’incapacité d’assurer un vrai relais.
2016. La loi du 14 mars 20162, se voulant recentrée sur le mineur « loi sur la protection de l’enfant », n’a permis que peu d’avancées : l’on cherche toujours trop souvent dans les dossiers d’assistance éducative le projet pour l’enfant, obligatoire mais rarement présent. La PJJ n’a pas retrouvé de compétence civile sauf à la marge pour quelques situations.
2021. QUATORZE ANS PLUS TARD, UN TEXTE DE LOI DÉSORMAIS « RELATIF A LA PROTECTION DES ENFANTS »
Présenté à l’Assemblée Nationale par Adrien Taquet, Secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, début juillet 20213, son exposé des motifs est louable « mieux protéger les enfants contre les violences ; améliorer le quotidien des enfants protégés, que ce soit en termes d’accueil ou d’accompagnement ; améliorer les garanties procédurales au bénéfice des enfants ; mieux piloter la politique de prévention et de protection de l’enfance ».
Mais l’on ne peut que s’étonner, une nouvelle fois de la méthode, et s’interroger, comme le Conseil d’État4, et la Défenseure des Droits5, sur la raison du choix, à l’instar du code de la justice pénale des mineurs, de la procédure parlementaire accélérée.
Trop peu de professionnels ont été consultés, sans temps nécessaire pour soumettre d’autres propositions, avec des remontées du terrain.6
Nos deux organisations syndicales, avec d’autres, l’ont dénoncé, dans une Tribune publiée dans Libération7.
La protection de l’enfance est ainsi aujourd’hui une vaste mosaïque qui se décline différemment dans chacun des 101 départements français. Loin d’être un dispositif de soutien et d’aide aux enfants et aux familles, cohérent et efficient sur l’ensemble des territoires, elle est sujette à de multiples paradoxes et dysfonctionnements qui ont parfois des conséquences tragiques sur le devenir des enfants et des adolescents.
Ces situations ne seront pas réglées par ce nouveau texte de loi qui, s’il prévoit certaines dispositions intéressantes notamment en ses titres II (lutte contre la violence faite aux enfants), IV (amélioration du cadre des assistants familiaux) ou V (création d’un conseil national de la protection de l’enfance), n’évoque aucunement la prévention de l’enfance en danger, préoccupation pourtant majeure à la suite de la crise sanitaire, ni ne va assez loin dans la protection des intérêts des enfants.8
Il élargit en effet les possibilités de délégation d’autorité parentale à l’Aide sociale à l’enfance, réduisant de fait le contrôle du juge ; il prévoit – ce qui est positif et sollicité par tous les professionnels – l’interdiction d’hébergement hôtelier mais cette interdiction souffre d’exceptions notamment en cas de mise à l’abri.
Il prévoit une modification procédurale importante en assistance éducative, permettant au juge des enfants de renvoyer une affaire, « lorsque sa particulière complexité le justifie », devant une formation collégiale. Mais cette disposition souffre d’incertitudes : quelle définition de la « particulière complexité » ? Quelle mise en œuvre avec quels moyens humains ? Et comment l’enfant sera-t-il entendu ?
Ce texte manque aussi l’occasion de consacrer la présence obligatoire de l’avocat aux côtés du mineur en assistance éducative, votée par le Conseil National des Barreaux le 4 juin dernier….9
Enfin, ce texte inquiète grandement concernant les mineurs non accompagnés.
Il envisage un plus grand contrôle lors des évaluations, selon un dispositif s’éloignant du cadre commun de la protection de l’enfance, et s’orientant vers le renforcement du contrôle. Au risque majeur de discrimination entre les mineurs en danger. Il est ainsi prévu de rendre obligatoire, pour tous les départements, le recours au fichier d’aide à l’évaluation de la minorité (AEM), le recours aux fichiers VISABIO et AGDREF et la possibilité pour les départements de solliciter l’analyse de documents d’état civil (alors que jusqu’à présent, seul le juge des enfants avait cette compétence). Ces dispositions, vont conduire à ne plus garantir à ces mineurs, pourtant parmi les plus vulnérables, la protection à laquelle ils ont droit, et risquent de les mettre encore plus en danger qu’ils ne le sont actuellement.
L’INTÉRÊT SUPÉRIEUR DES ENFANTS : UNE CONSIDÉRATION PRIMORDIALE.
Cherchons le cadre commun, pour rappeler que tous les enfants, au civil, au pénal, isolés ou non, sont d’abord des êtres en devenir qui ont droit à la meilleure des protections. Et que leur intérêt supérieur est une considération primordiale pour chacun (art 3.1 CIDE).
Cela passe par un dispositif législatif efficient, mais également et surtout par des moyens humains suffisants.
Les professionnels de l’éducation et du social que ce soit pour le secteur public ou associatif, sont au quotidien soumis à des conditions de travail et d’action qui ont un impact sur la qualité de la prise en charge. La logique qui prévaut est celle de la politique du résultat qui prend le pas sur celle des moyens, rendant impossible d’accompagner et aider efficacement les jeunes et les familles. Dans cette logique, les départements mettent de plus en plus en concurrence les associations entre elles ou procèdent à des appels d’offres qui mettent trop souvent l’accent sur le moins coûteux et non sur la qualité du projet éducatif.
En matière civile, au-delà la compétence des départements, il est indispensable de redonner – effectivement – un champ de compétence civil à la PJJ afin qu’elle puisse agir de nouveau au titre de l’action éducative et de la prévention.
Cela permettrait d’aider les départements notamment dans le suivi des jeunes les plus en difficultés et pour lesquels l’approche judiciaire conjuguée au civil peut apporter un plus à leurs prises en charges. Car tous les enfants sont d’abord des enfants en danger.
Par ailleurs, pour ramener l’action des associations et des services de l’ASE dans un contexte plus serein, il doit être mis fin aux dispositifs de mise en concurrence et rétablir une intervention fondée sur l’obligation de moyens et non de résultats. Et cela pour tous les mineurs, suivis au pénal, au civil, qu’ils soient isolés ou non.
Il est urgent de retrouver un sens et une philosophie de la protection de l’enfance, fondée, non sur la gestion des flux et des situations, mais sur l’aide et l’accompagnement. Pour permettre de garantir pleinement la protection et l’intérêt des enfants.
Notes et références
1. Loi n°2007-293 du 05/03/2007 « réformant la protection de l’enfance »
2. Loi n° LOI n° 2016-297 du 14 mars 2016 « relative à la protection de l’enfant »
3. https ://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4264_projet-loi#D_Article_7
4. CE, Avis du 10/06/2021
5. DDD avis du 25/06/2021 (n°21-08)
6.Observations sur le projet de loi relatif à la protection des enfants 26/06/2021, Syndicat de la magistrature
7. http ://snpespjj.fsu.fr/Projet-de-loi-sur-la-protection-de-l-enfance-Nous-exigeons-un-debat-pour.html
8. Voir note de la commission mineurs sur PJL : espace adhérents
9. https ://www.cnb.avocat.fr/sites/default/files/documents/07.cnb-re_2021-06 04_ldh_presence_systematique_avocats_denfants_en_aefinal-p.pdf