Droits de l’enfant : la France doit faire plus et mieux !

PAR Nawel Oumer
Élue CNB, SAF Paris

La France a signé la Convention Internationale des Droits de l’Enfants (CIDE) le 26 janvier 1990. Le suivi de sa mise en œuvre par les États signataires fait l’objet d’un examen périodique par le Comité des Droits de l’Enfant (CDE) de l’ONU. Le dernier examen concernant la France s’est déroulé les 9 et 10 mai 2023 et les observations finales du CDE ont été publiées le 2 juin suivant1.

 

S’il relève les progrès de la France2 (la politique des 1000 premiers jours, la Délégation aux droits de l’enfant à l’Assemblée Nationale, le Secrétariat d’État chargé de l’enfance, le Pacte pour l’enfance de 2019), le CDE pointe néanmoins les marges dont elle bénéficie encore en la matière.
Il est ainsi recommandé à la France d’avoir une approche intégrée, interdisciplinaire et globale des droits de l’enfant3, et, sans surprise, d’allouer des moyens correspondant aux besoins, en particulier en faveur des enfants les plus fragilisés4.
Concernant l’application de l’article 12 de la CIDE (respect de l’opinion et de l’expression de l’enfant), la France est invitée à garantir la mise en œuvre effective du droit des enfants à être entendus dans les procédures qui les concernent notamment par la création de systèmes pour que les travailleurs sociaux et les tribunaux respectent ce droit5.

Assistance éducative
Cette recommandation n’étonnera pas, spécialement en matière d’assistance éducative, tant l’effectivité des droits de l’enfant est mise à mal par la disparité des pratiques de convocation et d’audition d’une juridiction à l’autre et par la diversité d’appréciation de la notion de discernement6.

Enfants placés
Le ton change pour les enfants placés, au sujet desquels le CDE regrette l’insuffisance des mesures prises et se dit très préoccupé : délais d’exécution excessifs des mesures de protection, changements de famille d’accueil trop fréquents, absence de réalisation du projet pour l’enfant, absence de système de signalements des violences subies par les enfants lorsqu’ils sont pris en charge7.

Enfants demandeurs d’asile et migrants
On perçoit une particulière sévérité en ce qui les concerne : le Comité « prie instamment » la France d’immédiatement supprimer les tests d’âge osseux, d’appliquer la présomption de minorité, de cesser toute détention de ces enfants8.

Enfants poursuivis au pénal
Le Comité « exhorte » la France, à relever l’âge minimum de la responsabilité pénale à 14 ans au moins, à promouvoir des mesures non judiciaires et chaque fois que possible, le recours à des mesures non privatives de liberté, à veiller à ce que la détention soit utilisée en dernier ressort, à fusionner l’ensemble des législations dans un code de l’enfance9.
Les préconisations du Comité des droits de l’enfant rejoignent nombre de celles formulées par la société civile et les professionnels engagés pour la défense et la promotion des droits de l’enfant.
Dans les Conseils de l’Ordre où il est représenté, au Conseil National des Barreaux, dans les collectifs, dont le Collectif Justice des enfants10, le Syndicat des Avocats de France, grâce aux travaux de sa Commission Droit des mineurs11, réclame notamment :

  • la fixation d’un âge de responsabilité pénale
  • la création d’un Code de l’enfance,
  • la présence obligatoire d’un avocat aux côtés de l’enfant en assistance éducative,
  • la dotation de moyens à hauteur des besoins tant en matière civile (assistance éducative) qu’en matière pénale afin que les mesures ordonnées soient effectivement exécutées et dans des délais raisonnables.

C’est en atteignant ces objectifs concrets que nous pourrons affirmer que notre système juridique et judiciaire respecte les droits de l’enfant, ce justiciable à part entière et entièrement à part.
Dès publication des observations du CDE, le gouvernement s’est empressé de s’adresser un satisfécit12 omettant les points de vigilance précités.
Les évènements survenus sur le territoire national quelques semaines plus tard auraient pu être l’occasion de mettre en œuvre les préconisations du Comité mais le gouvernement a choisi une autre voie.

Le test des violences urbaines
À la suite de la mort d’un garçon de 17 ans le 27 juin 2023, tué par un policier lors d’un contrôle routier, des violentes atteintes aux personnes ainsi qu’aux biens, privés et publics, ont été commises dans toute la France entraînant l’interpellation de mineurs parfois très jeunes et souvent totalement inconnus de la justice.
En réaction, le garde des Sceaux a adressé deux circulaires aux procureurs généraux et aux procureurs de la République pour communiquer ses souhaits quant au traitement des « violences urbaines ».

Un jeune menotté et entouré de policiersLa circulaire commise le 30 juin 202313 a, sans surprise, demandé un renfort des équipes des parquets pour permettre d’absorber l’augmentation des affaires poursuivies, ainsi que la plus grande fermeté de la réponse pénale qui y serait apportée. La sévérité appelée par le ministre de la Justice concernait tous les auteurs présumés, majeurs comme mineurs, mais aussi les représentants légaux des mineurs poursuivis.
Le garde des Sceaux a précisé ses intentions concernant les mineurs et leurs parents dans une seconde circulaire le 5 juillet 202314. Pour obtenir la fermeté exigée, le Ministre a proposé une réponse exclusivement répressive à l’égard des mineurs : déferrement y compris pour des mineurs inconnus de la justice, audience unique et détention provisoire, placement en centre éducatif fermé sous contrôle judiciaire, recherche active (avec expertise psychiatrique le cas échéant) des éléments de discernement des mineurs de moins de 13 ans pourtant présumés non discernant.
Même tonalité concernant les parents de ces mineurs dont le Ministre a demandé la poursuite pour le fait de s’être soustrait à leurs obligations parentales au point de compromettre la santé, la moralité, la sécurité ou l’éducation de l’enfant.
Nul besoin d’être fin connaisseur du code de la justice pénale des mineurs pour comprendre que ces instructions n’auront eu pour seul effet que celui de donner au gouvernement l’image supposément attendue de la fermeté. Le nombre de mineurs déférés n’a finalement pas été aussi important qu’annoncé par les médias (à Paris et à Lyon notamment)15, et parmi eux, une partie a fait l’objet de mesures alternatives aux poursuites.
Cette séquence révèle à quel point la position des pouvoirs publics à l’égard des enfants et de leurs droits est fragile. Les orientations exprimées par le ministre de la Justice dans les circulaires précitées traduisent le choix du tout répressif sans égard pour l’éducatif, contrairement à ce que prévoit pourtant le CJPM16.

Ce serait compter sans les avocats
Les observations du Comité des droits de l’enfant n’en sont que plus fondées. Il est nécessaire qu’elles soient entendues et mises en œuvre d’ici les quelques années qui nous séparent d’un nouvel examen de l’application de la CIDE par la France. Dans l’attente, elles devront être utilement intégrées par les avocats à la défense des mineurs.

Notes et références

1. Observations finales du CDE
2. Cf. §3 des observations finales précitées
3. Cf. §8 des observations finales précitées
4. Cf. §10 des observations finales précitées, avec la proposition de création d’un fonds national de péréquation des dépenses de la protection de l’enfance. Ce fonds pourrait permettre de corriger les inégalités territoriales en protection de l’enfance dues à la décentralisation de cette compétence au profit des conseils départementaux.
5. Cf. §19 des observations finales précitées
6. En finir avec la condition du discernement, Philippe Lafaye in La Lettre, revue du Syndicat des Avocats de France Avril 2023
7. Cf. §32 et 33 des observations finales précitées
8. Cf. §45 des observations finales précitées
9. Cf. §47 des observations finales précitées
8. Lettre ouverte du SAF aux candidats des élections législatives de 2022
9. lesaf.org/thematique/?term=mineurs
10. France diplomatie
11. Circulaire relative au traitement judiciaire des violences urbaines du 30 juin 2023, n° CRIM 2023 – 8 / E1 – 30/06/2023
12. Circulaire relative au traitement des infractions commises par les mineurs dans le cadre des violences urbaines et aux conditions d’engagement de la responsabilité de leurs parents du 5 juillet 2023, n° CRIM 2023 – 10 / E1 – 05/07/2023
13. Circulaire relative au traitement des infractions commises par les mineurs dans le cadre des violences urbaines et aux conditions d’engagement de la responsabilité de leurs parents du 5 juillet 2023, n° CRIM 2023 – 10 / E1 – 05/07/2023
14. Émeutes urbaines pour les mineurs ayant participé aux violences : une justice qui s’est voulue rapide – Le Monde 8 juillet 2023
15.Articles préliminaire, L11-2 et L11-3 du Code de justice pénale des mineurs

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