Collaboration, pas uberisation !

PAR David van der Vlist - SAF Paris

Voté le 9 octobre 2020 par le CNB, le contrôle a posteriori des contrats de collaboration commence à être mis en œuvre dans la plupart des barreaux. Ses modalités restent bien timides et doivent être renforcées.

Un constat alarmant
L’enquête collaboration réalisée par le CNB en 2022 aurait dû être un coup de tonnerre pour la profession. Alors que la collaboration libérale se caractérise par la possibilité de développer une clientèle personnelle, la réalité est toute autre.
Elle révèle qu’à l’échelle nationale :


  • 36,9 % des collaborateurs indiquent être dans l’impossibilité d’y parvenir.
  • 18,9 % des collaborateurs ayant la possibilité de le faire n’ont traité qu’un dossier dans l’année, soit 48,8 % de collaborateurs ayant moins de 2 dossiers par an.
  • 10,5 % des collaborateurs ayant la possibilité de le faire n’ont traité que 2 dossiers dans l’année, soit 55,4 % de collaborateurs ayant moins de 3 dossiers par an. Ainsi, à supposer que 3 dossiers par an constituent une clientèle substantielle (ce qui n’est pas le cas dans la plupart des domaines d’activités), une majorité des collaborateurs libéraux est dans l’incapacité d’en développer.
  • 83,8 % des collaborateurs libéraux indiquent ne pas pouvoir développer par manque de temps (surcharge de dossiers du cabinet), 32,1 % précisent même que le développement d’une clientèle personnelle « n’est pas la politique du cabinet ».
  • Ce en dépit du fait que 61 % considèrent que le développement d’une clientèle personnelle est décisif pour leur parcours professionnel.

La situation parisienne est encore plus grave :

  • 47,2 % des collaborateurs parisiens n’ont pas du tout la possibilité de développer une clientèle personnelle
  • 31,2 % des collaborateurs ayant la possibilité de le faire n’ont traité qu’un dossier dans l’année (soit 65 % de collaborateurs parisiens ayant moins de 2 dossiers par an).
  • 16,2 % des collaborateurs ayant la possibilité de le faire n’ont traité que 2 dossiers dans l’année, (soit 74,2 % de collaborateurs ayant moins de 3 dossiers par an).
    Ainsi, une majorité des collaborations libérales sont en réalité… des collaborations salariées.

Cette situation est grave
En premier lieu, pour les collaborateurs : l’absence de clientèle personnelle limite leurs ressources mais bouleverse également l’équilibre du statut. La clientèle personnelle est la sécurité du collaborateur face à un contrat pouvant être rompu sans motif, sans assurance chômage.
C’est aussi un gage d’indépendance, face au cabinet et la première pierre en vue d’une installation ou association ultérieure.
En second lieu, pour la collaboration libérale elle-même. Lorsqu’un statut juridique est aussi massivement violé, c’est sa pérennité qui est en jeu. À terme, la poursuite de ces dérives risque de venir à bout de ce statut, en dépit de son compagnonnage auquel le SAF est viscéralement attaché.

En légalisant la rémunération de l’apport d’affaires, le risque d’une aggravation est patent.

En dépit de cette situation, des organisations syndicales défendent la possibilité de rémunérer l’apport d’affaires dans le cadre d’une collaboration libérale. Cette proposition est particulièrement dangereuse : outre le risque d’une généralisation à l’ensemble de la profession, cela risque d’accroître cette dérive. Le collaborateur susceptible d’être rémunéré pour céder sa clientèle personnelle, risque de cesser de se battre pour bénéficier du temps et des moyens pour la gérer.
En parallèle, si le cabinet peut tirer profit de la clientèle potentielle de son collaborateur, moyennant le versement d’un prime, il sera encore plus incité à l’empêcher de la traiter personnellement.

La nécessité d’un véritable contrôle a posteriori
Face à cette situation, la mise en place et le développement du contrôle a posteriori exercé par les ordres est une cruciale nécessité.
En pratique, sa mise en place est variable. La plupart des barreaux se limitent à l’envoi périodique d’un questionnaire nominatif aux collaborateurs. D’autres décident d’un contrôle plus poussé. Outre ce questionnaire, le Bâtonnier du barreau de Cherbourg a appelé chaque collaborateur.
À Dijon, le Bâtonnier organise un contrôle in situ chaque année pour les collaborateurs ayant moins de 3 ans d’ancienneté. Les contrôleurs vérifient notamment les inscriptions sur les listes de permanence, le nombre de dossiers personnels ouverts sur l’année / depuis la prestation de serment, le nombre d’heures de formation effectuées, les prises de congés de toutes sortes (repos rémunérés, maternité, paternité, maladie, adoption), les dates et modalités de règlement des rétrocessions et des frais exposés pour le cabinet, les conditions matérielles de travail (bureau ? ligne téléphonique ? accès au secrétariat ?…).
Si les pratiques doivent nécessairement s’adapter à la taille des barreaux, il est indispensable d’organiser de manière semi-aléatoire des contrôles in situ dans les cabinets.
Une partie des contrôles doit être purement aléatoire, ne serait-ce que pour éviter que les contrôles ne soient associés à une alerte émanant d’un collaborateur.
En parallèle, des indicateurs doivent être mis en place pour permettre des contrôles plus ciblés.
À titre d’exemple :

  • Les barreaux peuvent, à l’instar du barreau de Paris, imposer une déclaration des ruptures de collaborations. Cela peut permettre de contrôler le turnover qui est un indice important de comportements anormaux ;
  • Ils peuvent demander aux collaborateurs, lors de leur déclaration de revenus pour les cotisations, de déclarer leur chiffre d’affaires personnel. Sa faiblesse peut être un indice d’une collaboration sans possibilité de développer une clientèle personnelle ;
  • Doivent être également pris en compte, l’absence d’inscription des collaborateurs aux listes de permanence, le non-respect des obligations de formation…
  • Une meilleure coopération doit être assurée avec les écoles d’avocats (mauvais traitement des stagiaires par exemple), avec les associations et syndicats et une veille sur les réseaux sociaux doit être mise en place pour recueillir d’éventuels signalements.
  • Si chacun de ces indices n’est pas, en soi, la preuve de dysfonctionnements, cela doit pouvoir donner lieu à un contrôle plus approfondi.

En outre, la mise à disposition des collaborateurs de référents ou tuteurs peut les aider à identifier des situations anormales, les conseiller pour tenter d’y remédier avec leur collaborant et, le cas échéant, les accompagner pour saisir les institutions ordinales.

Des formations à renforcer
En parallèle, de nombreux collaborants s’estiment insuffisamment formés sur le recours à la collaboration libérale. En effet, dans le cadre d’un parcours professionnel, le recrutement du premier collaborateur se fait souvent pour faire face à un surcroît de travail, sans véritable formation sur ce qu’implique ce contrat.
Le collaborant va ainsi souvent reproduire sa propre expérience de la collaboration libérale, y compris dans ses dysfonctionnements.
La profession doit proposer aux futurs ou actuels collaborants des formations et cadre d’échange pour en améliorer les conditions.

Des procédures disciplinaires à réinvestir
La violation des règles relatives à la collaboration libérale reste trop souvent cantonnée à la sphère du règlement des litiges entre avocats soumis à la conciliation puis l’arbitrage du Bâtonnier.
Il est pourtant nécessaire d’apprécier également ces manquements à l’aune de nos obligations déontologiques et, le cas échéant, d’ouvrir des procédures disciplinaires.
À cet égard, la circonstance qu’un accord ait pu être trouvé dans un dossier ne libère pas la profession de son devoir de veiller au respect de nos principes essentiels et d’en sanctionner les manquements.
Il est donc primordial que les manquements graves donnent lieu à une instruction disciplinaire.

Interdiction de recrutement
Dans ce cadre, le CNB a voté la création d’une sanction d’interdiction de recrutement et d’encadrement d’un collaborateur ou d’un stagiaire. Il sera nécessaire que la profession s’en saisisse pour qu’elle soit effectivement prononcée.
Le SAF souhaite également que cette sanction puisse être prononcée à l’encontre de structures d’exercice, en cas de responsabilité particulière de celle-ci.

 

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