par Florian Borg
Secrétaire du CNB, SAF Lille
Le Conseil national des barreaux était saisi, en juillet 2022, d’un rapport concernant l’application des règles déontologiques de la profession à l’avocate ou l’avocat exerçant une activité commerciale accessoire en la forme d’une société commerciale distincte. L’occasion pour nous de revenir sur l’historique de cette dérogation et réaffirmer la position du Syndicat des avocats de France
Un peu d’histoire
La loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances du 6 août 2015, habituellement appelée « Loi Macron » et son décret d’application du 29 juin 2016, ont substantiellement modifié les règles d’incompatibilité d’exercice des professions réglementées, dont la profession d’avocat1.
Ces réformes ont autorisé la possibilité pour les avocates et les avocats d’exercer des activités commerciales dites accessoires, c’est-à-dire la commercialisation de biens et de services connexes à la profession et à destination des clients ou des autres avocats.
Cette dérogation s’inscrit dans un courant de pensée qui considère que les règles professionnelles sont un frein au développement de l’activité et à la croissance économique, les professions réglementées se retrouvant au même niveau que les taxis et les bus.
Une partie de la profession considère pour sa part, et de longue date, que les règles professionnelles doivent évoluer dans un sens plus permissif afin de favoriser le développement des activités des avocats dans un grand marché du droit – marché où sont en concurrence les experts comptables, les notaires, les développeurs de legaltech…
Cela n’a jamais été la position du SAF qui a pour sa part mis en garde la profession sur les risques d’une telle dérive. Considérer ainsi que nous serions actrices et acteurs d’un grand marché concurrentiel, c’est vider la fonction même de la profession d’avocat de son rôle dans la société : permettre à tous de maîtriser ses droits et de se défendre, sans être inquiété par d’autres intérêts que le sien.
Dans cette perspective, les règles déontologiques qui encadrent notre profession ne sont pas des barrières au développement de notre activité. Elles sont le support et la garantie des droits de nos clientes et nos clients : protection contre les conflits d’intérêts, secret, responsabilité professionnelle.
Le drame de Cassandre
Lors des discussions sur le projet de loi Macron, nous alertions déjà sur ce risque, y compris au sein de la profession :
« Comment demander aujourd’hui le respect du périmètre du droit et du rôle de l’avocat quand une partie de la profession court après le mythe d’un grand marché du droit où l’avocat serait tour à tour agent sportif, mandataire immobilier et juriste d’entreprise, privé de fait d’indépendance ? À force de vouloir élargir le périmètre d’intervention de l’avocat, on finit par fragiliser la profession. »2
Le drame de Cassandre est de ne pas être entendue et la question des activités commerciales accessoires a créé une faille dans ce bloc de protection déontologiques des justiciables.
Cette faille a ensuite été exploitée par la profession puisque le CNB a analysé en 2018 la possibilité d’exercer une activité accessoire commerciale comme autorisant l’avocate et l’avocat à prendre une participation dans une société commerciale pour exercer cette activité, aux côtés d’autres associés non avocats3.
Cette analyse a permis à certaines d’entre nous de développer des activités accessoires commerciales en s’associant avec des partenaires financiers, des commerciales et commerciaux, des techniciennes et techniciens numériques par exemple. L’illustration topique est celle des legaltechs.
Le débat du jour
C’est sur ce type de participation que le CNB est aujourd’hui de nouveau saisi. La question posée aux membres du CNB par un groupe de travail inter-commissions4 était de déterminer si les règles déontologiques de la profession s’appliquaient aux avocats dans le cadre de leurs activités commerciales accessoires exercées au sein d’une société commerciale distincte de sa structure d’exercice.
Le débat fut vif
entre les différents membres
de l’assemblée générale du CNB.
Les membres du collège ordinal Paris et l’ACE souhaitaient que l’assemblée ne vote pas sur une question aussi fermée arguant de la complexité du problème (mettant en avant par exemple que les questions de conflit d’intérêts ne pouvaient pas s’appliquer de la même manière dans l’exercice de la fonction d’avocat que dans sa participation à la société commerciale). La FNUJA défendait une position de droit mou, préférant appliquer les « principes essentiels de la profession » aux avocats dans le cadre de leurs activités commerciales accessoires, plutôt que les règles déontologiques.
Le collège ordinal autre que Paris et le SAF, ont défendu un principe de stricte application des règles déontologiques aux avocats dans toutes leurs activités.
Le SAF continue à mettre en garde la profession sur de telles dérives : à force d’assouplir nos règles professionnelles, d’en faire un corpus à géométrie variable, le risque est d’en faciliter la disparition.
Le secret professionnel a déjà été attaqué par les dispositions de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021, opérant une distinction entre le secret du conseil et le secret de la défense. Comment notre profession peut -elle être crédible à défendre l’unicité du secret si dans le même temps elle explique que, selon les activités exercées, la déontologie serait une science à géométrie variable ?
En outre, à vouloir utiliser le titre d’avocat dans des activités commerciales concurrentielles, pour en faire un argument commercial, sans en appliquer les règles contraignantes, on renforce les arguments de celles et ceux qui considèrent que les règles professionnelles constituent une distorsion de concurrence et devraient être supprimées pour permettre à n’importe qui de proposer des offres de conseil juridique, voir de défense, avocat ou non.
C’est pour ces raisons que nous avons défendu le principe de l’application des règles déontologiques à l’ensemble des activités d’avocat, principales ou accessoires, quelles que soient les formes d’exercice.
La position adoptée par le CNB
C’est cette position qui a finalement été adoptée par l’Assemblée générale du CNB mais avec une nuance apportée par un amendement du SAF.
Nous considérons en effet que la loi que nous rejetions a autorisé des dérogations qui s’imposent aujourd’hui à nous. De nombreuses avocates et avocats s’en saisissent sans toutefois bien comprendre les règles déontologiques à appliquer, faisant courir des risques aux justiciables. Les ordres sont parfois perdus pour guider les avocats avec des positions divergentes.
Le SAF a donc proposé que le groupe de travail poursuive ses travaux pour éclairer les avocats et les ordres dans les modalités d’application des règles déontologiques au cas par cas. Il nous paraissait en effet important, au titre de notre responsabilité de syndicat représentatif, de ne pas rester sur une position de principe mais de donner à toutes et à tous les clés de compréhension de l’application de nos règles professionnelles.