Isolement/contention : grand bonds après petits pas ?

PAR Pierre Bordessoule de Bellefeuille

par Pierre Bordessoule de Bellefeuille
SAF Versailles

La loi de 2011¹ créa le contrôle par le JLD des mesures de soins psychiatriques sous contrainte, mais sans mentionner – ni a fortiori définir – isolement et contention. Ce fut l’objectif de la loi de 2016² devenue l’article L3222-5-1 du CSP. Ce texte initial imparfait, après deux modifications, vient enfin d’être « stabilisé » par la loi du 22.01.2022 et un décret d’application du 23.03.2022.

 

Contention et isolement sont définis dès 2016 comme des prescriptions de « dernier recours » pour une durée limitée, en prévention d’un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui (la traçabilité de ces mesures ressort d’un registre).
Quant au pouvoir du JLD à cet égard, la Cour de Cassation avait statué en 2019 en décidant que l’isolement et la contention, procédant d’une décision médicale, ne pouvaient ressortir d’un contrôle judiciaire3. Il s’agissait pourtant à tout le moins de mesures privatives de libertés : il fallut une QPC pour le rappeler, en 20204, et une autre en 2021 pour que le contrôle judiciaire soit effectif5. Après deux modifications, l’article L.3222-5-1 en 2022 a réglé la question : désormais le JLD peut lever isolement ou contention hors du champ légal.
Ce cadre légal n’a pas modifié la notion de « dernier recours » et l’existence d’un registre. La grande nouveauté est la création d’un entrelacs de délais quant à l’intervention du JLD :

  •  l’isolement ne saurait durer plus de 12 heures, sauf maintien médical jusqu’à 48 heures, avec, en cas de renouvellement une saisine obligatoire du JLD au delà de 72 heures,
  • la contention ne saurait excéder 6 heures, sauf maintien médical jusqu’à 24 heures, avec pareillement, en cas de renouvellement, une saisine obligatoire du JLD au delà de 48 heures.

Le juge devra statuer sous 24 heures de sa saisine, à peine de mainlevée automatique (art. R3211-39 CSP). Il n‘aura plus à statuer si la mesure a pris fin entre-temps selon un avis de 2021 de la Cour de Cassation6 : ceci amoindrit l’opportunité, sinon d’un appel dans les 24 heures, du moins d’un pourvoi : partant, la jurisprudence risque d’être essentiellement « locale ».
La procédure se déroule « sans audience selon une procédure écrite » – art. L3211-12-2 III par renvoi de R3211-39 – mais, « l’audition du patient (…) peut être réalisée par tout moyen de télécommunication audiovisuelle ou, en cas d’impossibilité avérée, par communication téléphonique » (L3211-12-2 III précité). Les proches doivent être informés.

Que penser de ce nouveau texte ?
Isolement et contention découlent de la mesure de contrainte et les mêmes difficultés s’y retrouvent : toujours pas de conception « holistique » du patient, l’accès au dossier médical reste inabordé (alors qu’il pourra s’agir d’un temps fort de prise médicamenteuse), et les mineurs n’y ont guère de droits.
Mais ce nouveau texte offre quelques perspectives – retroussons les manches de nos robes.
Exemple : quelle est la différence entre contention physique et contention médicamenteuse ? Puisque la contention n’est pas légalement décrite comme étant exclusivement physique, pourra-t-on aborder la contention médicamenteuse devant un JLD ? Du reste, le mot « somatique » est visé au titre de la surveillance des mesures : est-ce là une possibilité de judiciariser l’impact des médicaments sur le somatique ?
Encore : puisque la contention ou l’isolement « ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement », quid a contrario de telles mesures en dehors de ce cadre, par exemple dans un EPHAD privé – ou dans un CRA pour telle raison de COVID ? Pourrait-on en évoquer le caractère illégal au visa du CSP – et un JLD accepterait-il sa saisine ?
Contention et isolement, d’abord oubliés en 2011 par la loi puis par le juge judicaire, objets d’un texte erratique qui s’est enfin fixé, méritent bien nos attention et imagination. Le patient en souffrance nous attend.

Notes et références

1. Loi n° 2011-803 du 5.07. 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge – modifiée par la loi n° 2013-869 du 27.09.2013
2. Loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 – art. 72
3. 1ère Civ., 7.11. 2019, pourvoi n° 19-18.262, publié, 1ère Civ., 21.11. 2019, pourvoi n° 19-20.513, publié.
4. Décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020
5. Décision n° 2021-912/913/914 QPC du 4 juin 2021
6. Avis de la Cour de cassation, 8 juillet 2021, n° 21-70.010, publié

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