Plus de contrôle et de surveillance, moins d’accès au juge
par Fleur Pollono et Loïc Bourgeois
SAF Nantes
La mise en application du nouveau système européen d’autorisation de voyager bouleverse les conditions d’entrée sur le sol français et modifie défavorablement les règles contentieuse.
Le 12 septembre 2018 est publié dans une relative indifférence un Règlement européen n°2018/1240 qui créée un système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages (ETIAS).
Ce règlement, d’une importance majeure, sonne pourtant le glas des derniers voyageurs qui pouvaient librement entrer dans l’Union européenne sans visa ni autres demandes d’autorisations spécifiques. Si la jurisprudence de la CJUE est citée en préambule pour réaffirmer la nécessité de conserver une facilitation pour les membres de famille de ressortissants de l’Union, il n’en demeure pas moins qu’ils sont aussi soumis à cette nouvelle procédure ETIAS.
L’objectif de ce texte est clairement annoncé : palier la dernière faille en matière d’information, de surveillance et de contrôle, c’est-à-dire celle de ceux qui sont exemptés de visas pour venir sur les territoires de l’Union, sous couvert de lutte contre le terrorisme, l’immigration et les pandémies.
Si ce règlement est dans la droite ligne du « tout sécuritaire » et de la société de surveillance, il vient assurément stigmatiser encore et toujours plus l’étranger comme menace potentielle, faisant le jeu de nos dirigeants nationaux et européens dans leur hystérisation de l’immigration.
Chaque état membre doit ainsi créer une unité nationale appelée ETIAS, sous tutelle d’une unité centrale européenne et chargée d’examiner les demandes d’entrée sur les territoires. Elle décide de délivrer, refuser, annuler ou encore révoquer les autorisations de voyage. Ces unités nationales ETIAS doivent collaborer entre elles ainsi qu’avec l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol) afin d’évaluer les demandes d’autorisation et de faciliter les vérifications aux frontières extérieures.
Dès lors, ce règlement européen marque un tournant et soumet toute personne désirant voyager dans l’espace de l’UE à une autorisation préalable : plus aucun étranger ne pourra entrer sans instruction et investigation et ainsi sa demande pourra être refusée.
Il est laissé aux états membres la seule charge de définir les modalités de mise en œuvre du système ETIAS et plus précisément l’organisation de la procédure contentieuse.
Un prétexte pour restreindre l’accès au Juge dans le contentieux des visas
Le ministère de l’Intérieur a immédiatement vu dans cette nouvelle procédure contentieuse de demande d’autorisation de voyage une opportunité pour « nettoyer [les] scories» [sic] de celle des visas qu’il a qualifiée de « sclérosée ».
En effet, le Ministère explique dans une note d’intention que cet « ajustement » de l’actuelle procédure trouve sa nécessité dans l’augmentation de la demande des visas et du nombre de refus qui en a découlé générant un accroissement exponentiel des recours précontentieux (plus de 600% d’augmentation selon lui entre 2010 et 2019) et un manque de personnel pour y faire face.
Grâce à ce tour de passe-passe, le ministère de l’Intérieur modifie discrètement mais de manière conséquente toute la procédure du contentieux dit « visas », afin de réduire le nombre de recours et ce, en dépit d’un nombre de refus toujours croissant.
Hélas ! la question des moyens alloués à l’administration et à la justice administrative pour traiter les dossiers contentieux est totalement absente de la réflexion du Ministère. C’est également le cas de celle de la qualification des agents consulaires et de celle de l’(in)utilité de la Commission de recours des refus de visas – dont le taux d’annulation démontre la particulière incompétence.
Dans un monde où la mobilité est devenue essentielle, l’absence d’adaptation de notre procédure à l’augmentation naturelle de demandes de visas est révélatrice de l’absence de pensée globale ainsi que d’une réflexion sclérosée par les considérations matérielles et budgétaires.
Alors que l’accroissement des demandes de visas était encouragé et félicité il y a une dizaine d’années, il est devenu un prétexte pour entériner une vision toujours plus stigmatisante des étrangers à travers les multiples et incessantes réformes. Pour l’Administration, la solution est simple : il suffit de restreindre l’accès au juge pour diminuer le contentieux.
Ainsi, le ministère, tout en prétendant conserver « l’économie générale de la procédure existante », a proposé de l’adapter : d’une part en instituant un régime de recours différencié pour les nouvelles autorisations ETIAS, qu’il qualifie abusivement de simplifié et sur lequel serait désormais aligné celui des visas court séjour (et non l’inverse, ce qui relevait du bon sens), d’autre part en maintenant, avec des aménagements, le régime des visas long séjour.
Enthousiaste à l’idée de fermer toujours plus l’accès au juge, le ministère avait proposé une ébauche de décret suscitant un certain émoi, notamment chez certains syndicats de juges administratifs (comme le SJA et l’USMA). Devant certaines difficultés, inhérentes à la nature-même de ce projet, le ministère a été contraint de « légèrement » revoir sa copie en publiant deux décrets (N° 2022-963 & 962) le 29 juin 2022 relatifs aux modalités de contestation des refus d’autorisation des refus d’autorisations de voyage et des refus de visas d’entrée et de séjour en France.
Une réforme qui pénalise le justiciable
Ces deux décrets précisent à la fois la procédure contentieuse pour les recours contre les refus ETIAS (y compris les abrogations d’autorisation et les retraits d’autorisation) et ses fameux « aménagements nécessaires » notamment par :
La création d’un régime différencié d’examen du RAPO (recours préalable obligatoire) selon qu’il s’agit :
- d’un refus de visa long séjour (la commission de recours des refus de visas reste compétente)
- d’un visa court séjour ou une autorisation de voyage ETIAS. Le RAPO doit alors être porté devant le sous-directeur des visas au sein du ministère de l’Intérieur.
Jusque-là, les recours contre les refus de visas court séjour étaient portés devant la CRRV, soit une commission administrative paritaire comprenant notamment un membre de la juridiction administrative. Ces recours ne seront donc plus examinés que par une personne sans aucune indépendance ni impartialité.
La réduction à 30 jours (au lieu de 2 mois) des délais de saisine de l’autorité compétente pour le RAPO, ce qui constitue une exception au droit commun du contentieux administratif.
Il convient de rappeler que la CRRV est inaccessible autrement que par courrier recommandé et que la réduction du délai va nécessairement engendrer du contentieux sur les modalités de saisine depuis l’étranger.
Suppression du délai de distance pour la saisine de la juridiction administrative pour tous les visas (2 mois – droit commun – au lieu de 4 mois). Notons que cette suppression ne se justifie qu’afin de rendre le recours encore plus inaccessible. En effet, tous les résidents à l’étranger en bénéficient, ce qui s’explique par les contraintes inhérentes à l’éloignement.
Compétence du Tribunal Administratif de NANTES pour tous les contentieux (autorisation ETIAS + contentieux visa) ;
Absence de voie d’appel possible pour les autorisations ETIAS et suppression du délai d’appel pour les visas courts séjours : c’est donc une évidence que ce contentieux sans enjeux ne mérite pas un double degré de juridiction ! ! !
Au jour de la rédaction de cet article, un recours contentieux a été initié notamment par le SAF pour contester les points les plus attentatoires au justiciable.
Rappelons-le, l’entrée en vigueur de la procédure dite ETIAS ne nécessitait en aucune manière une refonte de la procédure pour les visas. C’est pourquoi, nous ne pouvons que regretter que ces modifications soient uniquement mues par des considérations budgétaires et qu’elles n’aient pour objectif que d’empêcher l’accès effectif au juge. Pour le dire sans barguigner, l’administration réduit encore et toujours les droits acquis. Or, tant qu’elle règlera ses propres problématiques en diminuant toujours ces droits, le sentiment croissant de mépris et de désintérêt vécu par les étrangers ne pourra qu’accroitre une incompréhension réciproque. Et ce qui vaut pour un étranger vaut pour tous.