Pas d’impunité pour la haine sexiste et raciste la Cour de Cassation donne une portée effective au droit des victimes de discrimination

PAR Lorraine Questiaux - SAF Paris

Dans un arrêt du 14 mai 2025 la Cour de cassation (P 25-81.509 F-D) reconnait la dimension sexiste, raciste et classiste des viols dans la pornographie et cingle la tolérance et de déni de la cour d’appel de Paris.

 

Des éléments de contexte

Depuis la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, le code pénal prévoit des circonstances aggravantes générales – à savoir applicables à l’ensemble des crimes ou des délits punis d’une peine d’emprisonnement – de racisme, d’homophobie et de sexisme.
Aux termes des articles 132-76 et 132-77 du code pénal, ces circonstances sont caractérisées par des propos précédant, accompagnant ou suivant les actes poursuivis, qui portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime en raison de son sexe ou en raison de son appartenance vraie ou supposée à une prétendue race, à une ethnie ou une nation, ou qui établissent que les faits ont été commis sur la victime pour ces raisons.

Ce conquis progressiste – fruit de longues luttes sociales contre la haine du dominé en tant qu’instrument d’oppression symbolique (et tout particulièrement s’agissant de la circonstance aggravante de sexisme qui, avant la loi de 2017 n’avait aucune existence légale) – peine toutefois à être mise en œuvre par les autorités judiciaires (tant le ministère public que les magistrat·es du siège).
Ainsi, rappelons-nous par exemple des conclusions de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement en 2022 qui relevaient, par les trois principales défaillances de l’instruction, la « tardiveté de l’introduction de la circonstance aggravante d’antisémitisme » alors que les éléments constitutifs étaient caractérisés.¹
C’est alors qu’en avril 2024 la CEDH a condamné la France en raison de l’abstention d’une juridiction pénale d’aggraver les poursuites contre l’auteur de menaces à caractère antisémite, alors même que les instruments le permettant existent dans le droit national et que le caractère antisémite des propos tenus ressort des constatations des juges.
La Cour estime que cette omission emporte violation des articles 8 et 14 de la Convention (CEDH, 11 avril 2024, n° 81249/17, Allouche c. France, § 49 et s.), rappelant que l’aggravation tirée du caractère antisémite entraînait un quantum de peine plus important, a ajouté que « la requalification en des faits plus graves aurait permis de reconnaître la qualité de victime touchée en raison de sa judéité, et aurait nécessairement entraîné la possibilité pour la requérante, en sa qualité de partie civile, de former une demande pécuniaire de réparation de son préjudice nettement plus élevée » (ibid., § 60).
La CEDH a critiqué la juridiction d’appel de n’avoir « usé d’aucune possibilité légale permettant de donner une réponse juridique appropriée aux infractions teintées par l’antisémitisme, tout en assurant les droits de la défense » et de n’avoir « pas fait droit, comme elle le pouvait au regard du droit interne, à la demande de la requérante tendant à la requalification », de sorte que « la cour d’appel n’a tiré aucune conséquence juridique de ses propres constatations » (ibid., §§ 61-62).
En réaction immédiate à cette condamnation, le garde des Sceaux a pris une circulaire dès le 29 avril invitant les parquets à mobiliser les qualifications pénales adaptées réprimant les infractions commises à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance à une religion et à mobiliser la circonstance aggravante générale prévue par l’article 132-76 du CP à chaque fois que cela est possible.
Pour autant, la CNCDH dans son rapport annuel (2025) – portant sur l’évaluation des politiques publiques visant à lutter contre la haine – soulignait les carences des autorités judiciaires (notamment au stade du dépôt de plainte) à identifier la dimension discriminatoire des crimes et délits et, par suite, à retenir les circonstances aggravantes dès l’ouverture de l’enquête.
Du reste, ni le rapport de la CNCDH ni aucun autre rapport ne mentionne l’absence totale de répression des crimes sexistes. La lutte contre la haine misogyne est donc indiscutablement l’angle mort de la politique pénale, ce qui n’est pas surprenant si l’on sait à quel point la misogynie est hégémonique et donc intériorisée par toutes et tous.
Force est de constater qu’en 2025, les institutions et les professions juridiques, en dépit des obligations de formation qui leur incombent, peinent encore à comprendre et reconnaître que les violences sexuelles sont une discrimination et trouvent leur origine dans une idéologie patriarcale. (Depuis les années 70, cette réalité sociologique est pourtant entérinée par des très nombreux instruments juridiques contraignants : cf. la Convention CEDAW de 1979² ou, plus récemment la Directive VSS N° 2024/1385, de 2024³).
Pour réprimer le sexisme encore faut-il savoir le reconnaître, ou même vouloir…. Il en est de même pour le racisme.
Le chronique contentieuse objet de cet article en est la parfaite illustration.

Le raisonnement particulièrement contestable de la Cour d’appel de Paris, illustration des biais sexistes et racistes qui contaminent encore l’institution judiciaire

Pour rappel, l’affaire d’espèce concerne des viols et des tortures sexuelles commises contre une cinquantaine de femmes lors de tournages pornographique en France. Précisons que les acteurs, réalisateurs et producteurs sont tous mis en accusation pour viols en réunion et certains pour proxénétisme et traite des êtres humains.
Ces viols (et tortures sexuelles) ont tous été perpétrés selon des scénarii où les femmes étaient humiliées car femmes, car racisées ou parce que d’origine prolétaire.
Alors que les viols étaient presque tous filmés et accompagnés d’injures sexistes, racistes ou classistes, et que le parquet et le juge d’instruction avaient pu consulter ces vidéos, les autorités judiciaires n’ont pas retenu, au stade de l’information, les circonstances aggravantes sanctionnant le mobile discriminatoire et ce en dépit des demandes des parties civiles.
Les parties civiles ont donc été contraintes de saisir la chambre de l’instruction pour critiquer l’ordonnance de règlement, car l’aggravation ou non des crimes de viols allait déterminer la compétence de la juridiction criminelle : cour d’assises ou cour criminelle.
La Cour d’appel de Paris allait rendre un arrêt à la motivation aberrante, vraisemblablement dicté par une tolérance inacceptable vis-à-vis de la dimension haineuse des viols. Tout en caractérisant l’existence de propos haineux, la Cour d’appel, sans doute incapable de remettre en cause sa vision biaisée de la pornographie (en dépit des données scientifiques et des faits du dossier) a inventé une « exception » à l’application des dispositions du code pénal : l’exception pornographique.

La Chambre de l’instruction raisonne ainsi :

« En l’espèce, sont visés des propos insultants tels que salope, pute ou vide-couilles ou les désignant par leur supposée appartenance communautaire ou ethnique, tenus envers les actrices victimes et mettant en cause leur féminité, leurs attributs sexuels, l’usage débridé qu’elles en feraient avec une appétence sans limite pour le sexe masculin et la sexualité en général, ainsi que, pour certaines d’entre elles, la couleur de leur peau ou, notamment, leur appartenance à la communauté maghrébine ou musulmane.
Ces propos comportent des expressions outrageantes, des invectives et des termes de mépris. Toutefois, ces propos ne comportent en eux-mêmes, aucune allégation ni aucune imputation d’un quelconque fait et n’ont pu porter atteinte à l’honneur ou à la considération des plaignantes. Ces circonstances ne peuvent être retenues à ce premier titre.
Par ailleurs ces propos n’établissent pas, au sens des articles susvisés que les faits commis à l’encontre des victimes l’auraient été, en l’occurrence, en raison de leur sexe féminin ni de leur appartenance ou supposée appartenance à une prétendue ethnie ou race.
En effet, il y a lieu de considérer que les actes comis sur les actrices participent de la réalisation d’œuvres de l’esprit, malgré les réserves que peut, évidemment, susciter cette classification ne serait-ce que du fait de l’absence d’écriture préalable d’un scénario.
Il doit toutefois être admis que les propos litigieux (articles 132-76 et 132-77 du code pénal), ont été tenus à raison de l’objet de l’œuvre, à savoir l’excitation sexuelle de spectateurs par la mise en scène de femmes présentées comme entièrement disponibles sexuellement pour leurs partenaires qui les traitent comme des objets sexuels. Ces propos participent d’une mise en scène caractéristiques des productions de M. Pascal Ollitrault dont les acteurs ont déclaré qu’il exigeait d’eux de la grossièreté, non pas pour leur plaisir mais pour celui des spectateurs.
Il ne peut donc être considéré comme suffisamment établi que les propos litigieux auraient été tenus à raison du sexe des actrices en lui-même ni de leur appartenance ou supposée appartenance à une prétendue ethnie, religion ou race.
Ces différentes circonstances ne seront donc pas retenues. »
Sans surprise, la Cour de cassation, saisie par les parties civiles a, le 14 mai dernier, censuré le raisonnement fallacieux et aberrant de la Cour d’appel de Paris en rappelant qu’il ne saurait exister d’immunité sous prétexte que les crimes ont été commis à l’occasion de la production d’un tournage ou d’une œuvre culturelle.
Ainsi la haute juridiction rappelle que l’« existence de propos sexistes et racistes tenus par les personnes mises en examen avant, pendant ou après la commission des viols » entraîne l’applicabilité des articles 132-76 et 132-77 du cp.

Un arrêt qui invite à un changement de paradigme et une meilleure répression du sexisme et de racisme

Il n’est plus possible aujourd’hui de nier que la pornographie est en grande majorité assortie une violence symbolique à l’intersection de la haine sexiste, raciste et classiste et non une œuvre artistique.
Depuis fort longtemps les autorités ont déconstruit ce mythe.
À titre d’exemple, dès 1993 le Parlement européen reconnaissait que « la pornographie constitue une pratique systématique d’exploitation et subordination fondée sur le sexe, qui porte préjudice aux femmes dans une mesure disproportionnée, qu’elle contribue à l’inégalité entre les sexes et accentue le déséquilibre des forces dans la société, l’assujettissement des femmes et la domination des hommes, (résolution de décembre 1993 sur la pornographie).
Au reste, de nombreux rapports en France et en Europe établissent cette réalité (le Rapport du Sénat de 2021 ou le rapport du HCE de 2023 ou la résolution de la Rapporteure spéciale des Nations Unies de 2024⁴ qui lui-même se fonde sur des travaux universitaires ou des analyses d’expert·es).⁵
Pour donner à cet arrêt toute sa portée, les acteurs et actrices judiciaires (avocat·es, magistrat·es et expert·es) devront elles et eux aussi participer à lutter contre la haine sexiste et raciste en œuvrant pour que la dimension discriminatoire des VSS et plus largement la culture du viol soit effectivement reconnue et sanctionnée.

Partager