Combattre les discriminations dans la profession d’avocat·e : l’engagement n’est plus une option

PAR Nawel Oumer - Présidente de la commission Égalité du CNB, SAF Paris

En France, la profession d’avocat·e s’est historiquement construite autour de principes fondamentaux (indépendance, probité, dignité et humanité) et d’un costume professionnel symbole d’égalité, faisant primer la fonction sur l’individu. Mais, de tradition conservatrice, uniforme et unigenre, son ouverture à la diversité des profils et des modes d’exercice est très récente, voire balbutiante. En miroir, les discriminations sont une réalité ancienne et tenace dans la profession.

 

Le constat

Bien que nous ne disposions d’aucune statistique sur le sujet, les résultats de l’enquête « Conditions de travail et expériences des discriminations dans la profession d’avocat.e en France » menée par le Défenseur des droit en 20181 ont marqué les esprits. Parmi les plus notables : le genre demeure le 1er facteur de discrimination (tous domaines confondus : rémunérations, modalités d’exercice, matières pratiquées), les avocat·es perçu·es comme noir·es ou arabes ainsi que les avocat·es de religion musulmane sont particulièrement exposé.es aux discriminations (respectivement 66 % et 74 %). Autre résultat notable de cette enquête : à peine 5 % des confrères et consœurs discriminé.es ont entamé des démarches pour faire valoir leurs droits. Ainsi, dans 95 % des cas la personne avertie, formée et sans aucune barrière d’accès au droit et à la justice qu’est un·e avocat·e renonce à faire constater, condamner et réparer la discrimination subie. Les raisons : des preuves insuffisantes, la crainte des représailles, la conviction qu’un recours sera vain.
7 ans après cette enquête, le phénomène semble inchangé comme le rappellent les témoignages de consœurs et confrères dans la presse.2
Et pourtant, la déontologie nous l’impose, la loi nous l’ordonne : aucune discrimination raciale n’a sa place dans nos cabinets, nos barreaux, nos prétoires.

Le chemin

D’un point de vue institutionnel, la profession s’est saisie du problème avec la création d’une commission permanente au sein du Conseil National des Barreaux3 en 2015 dédiée aux questions d’égalité, de parité, de diversité et de lutte contre le harcèlement et les discriminations.
Les engagements pris depuis 10 ans sont nombreux4 : signature du pacte pour l’égalité dans les professions libérales réglementées, signature de la convention d’engagement pour la communication sans stéréotype de sexes, partenariat avec le Défenseur des droits, charte de responsabilité sociétale des cabinets d’avocat·es⁵, modification du règlement intérieur national pour intégrer l’égalité et la non-discrimination au rang des principes essentiels de la profession, féminisation des termes « avocat », « bâtonnier » et « vice-bâtonnier », grenelle Droit et Handicap, charte de lutte contre les discriminations et le harcèlement dans la profession d’avocat·e, création d’un réseau de référents « harcèlement & discrimination » dans les barreaux et les écoles d’avocat·e, édition d’un guide de traitement des situations de harcèlement et de discrimination6, formation initiale et continue des avocat·es, commissions ordinales de lutte contre les discriminations.
Les outils sont là, à disposition des consœurs et confrères, des cabinets, des ordres. Encore faut-il avoir la volonté de s’en saisir.

La volonté

Les discriminations, le racisme en particulier, qu’il soit direct ou systémique, ne sont pas de simples « questions de société » qui nous seraient extérieures. Le reconnaître est le premier pas. Chaque remarque, chaque exclusion, chaque biais qui se glisse dans une décision professionnelle contribue à exclure des consœurs et confrères, à fragiliser la confiance dans la justice et à salir les principes essentiels de notre profession. Nous devons être exemplaires, le prouver, tous les jours, dans nos pratiques individuelles et collectives. Il serait illusoire et parfaitement injuste de considérer que ce combat doit être mené par les victimes et qu’on ne peut rien faire sans elles. Le respect de l’égalité et de la dignité humaine doit être vécu au quotidien, dans le recrutement, la collaboration, la relation client·e et la relation avec les confrères et consœurs. Notre profession peut se contenter d’appliquer la loi de manière minimale, ou faire de la lutte contre les discriminations et le racisme un engagement proactif et visible. Les initiatives récentes montrent que le mouvement est lancé. Il appartient désormais à chaque avocat·e, individuellement et collectivement, à chaque bâtonnier·e, à chaque Ordre, de garantir que nos principes essentiels s’appliquent à tous ; à nous, syndicats, d’en faire le rappel aux instances de poursuites et de sanction et de rendre visible ce combat.

Notes et références

1. www.defenseurdesdroits.fr/etude-conditions-de-travail-et-experiences-des-discriminations-dans-la-profession-davocate-en
2. https://www.streetpress.com/sujet/1729521703-avocats-denoncent-tabou-racisme-profession-discrimination-barreau-tribunal-bobigny-paris-juge-magistrat-maitre in Steetpress 23 oct. 2024
https://www.lemonde.fr/campus/article/2025/04/29/pour-les-jeunes-issus-de-la-diversite-le-difficile-acces-aux-metiers-de-la-justice-j-etais-naif-persuade-qu-en-etant-bosseur-les-portes-s-ouvriraient_6601156_4401467.html in Le Monde 29 avril 2025
3. https://www.cnb.avocat.fr/fr/commission-egalite
4. Cf. « plan d’actions Diversité & Inclusion » du CNB voté le 13 déc. 2024 www.cnb.avocat.fr/fr/actualites/diversite-et-inclusion-le-plan-daction-du-cnb
5. www.cnb.avocat.fr/fr/actualites/responsabilite-societale-des-cabinets-davocats-publication-dune-charte-et-dun-outil-dautodiagnostic
6. encyclopedie.avocat.fr/Record.htm?idlist=3&record=19225978124910431509

Partager