Entretien avec Jean-Jacques Gandini, ancien président du SAF et auteur de Le procès Papon aux éditions Le passager clandestin.
SAF : Qu’est-ce qui t’a poussé à assister à l’intégralité du procès Papon ?
JJG : Étudiant à l’Institut d’Études Politiques de Grenoble en 1971, j’avais au programme de mon cursus un séminaire en histoire et parmi les sujets proposés, celui du professeur Gustav Peiser sur l’accession d’Hitler au pouvoir en Allemagne en janvier 1933 a suscité mon intérêt. D’origine allemande, il avait fui en France en 1939 à l’âge de dix ans avec sa famille compte tenu des persécutions dont les juif·ves faisaient l’objet. Et contrairement aux idées reçues selon lesquelles le chef du Parti National Socialiste Ouvrier Allemand – le NSDAP – serait arrivé légalement au pouvoir selon le verdict des urnes, il nous fit la démonstration, en s’appuyant sur les archives allemandes auxquelles il avait eu accès, que les élites politico-économiques conservatrices firent pression sur le président de la République, le maréchal Hindenburg, pour faire nommer Hitler chancelier, persuadées de le manœuvrer d’autant que les nazis étaient très minoritaires au sein du gouvernement, alors qu’ il ne lui fallut pas plus de six mois pour faire totale place nette et se comporter en maître absolu.
Je n’ai eu de cesse par la suite de continuer à me documenter sur le phénomène nazi, et après avoir attentivement suivi les procès Barbie en 1987 et Touvier en 1994, j’ai décidé en 1997 de me dégager un temps de mes obligations professionnelles pour suivre le procès Papon, ce « haut fonctionnaire au-dessus de tout soupçon », en tant qu’observateur pour la Ligue des Droits de l’Homme dont je suis membre depuis 1977.
SAF : Ton livre est sorti en 1999. Pourquoi cette réédition en 2025 agrémentée d’une préface de Chapoutot et d’une postface d’Alimi ?
JJG : Si j’ai ressenti l’envie, pour ne pas dire la nécessité, vingt-cinq ans après la première publication, d’en proposer une version à la fois augmentée et actualisée, c’est pour ne pas oublier devant la montée en puissance et la banalisation des idées d’une extrême-droite qui n’a de cesse de réécrire l’Histoire, ce qui s’est passé entre 1940 et 1945 et rappeler qu’elle était sur le devant de la scène collaborationniste.
C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité l’agrémenter tant d’une préface d’historien, en l’espèce Johann Chapoutot, un des meilleurs connaisseurs du phénomène nazi et dont le dernier ouvrage Les irresponsables entre en résonance avec le séminaire de Gustave Peiser, et d’une postface d’un juriste engagé dans la défense des droits de l’Homme, qui plus est sensibilisé par cette période compte tenu de ses origines juives, Arié Alimi.
SAF : Ton livre montre que l’obéissance bureaucratique peut devenir complice du pire. Vois-tu aujourd’hui des situations où ce mécanisme apparaît ?
JJG : Oui, l’obéissance bureaucratique pour Papon a consisté à signer dans le silence feutré de son bureau les ordres de réquisition en visant des listes de noms. Seul l’usage du langage administratif abstrait permet ainsi de filtrer l’horreur : 1 juif = 1 chose. Papon a accompli son devoir de technicien, de « spécialiste » : il a fourni les moyens, la fin ne le regardait pas. Au nom des ordres reçus, il ignorait l’inhumanité des actes commis. Bref, il a géré sa carrière.
Aujourd’hui l’interprétation « étroite » par voie de circulaires de la législation de plus en plus restrictive en matière de droit des étrangers par les fonctionnaires des préfectures, au regard des droits fondamentaux tels qu’ils figurent dans la CEDH dont la France est partie prenante, en est l’éclatante démonstration… sachant que les avocat.es du SAF font le maximum pour en prendre le contre-pied !