La Cour de cassation a confirmé le 11 juillet 2017 la condamnation du bailleur social LOGIREP pour discrimination raciale et fichage ethnoracial des locataires. La Maison des Potes, représentée par Me Jean-Philippe Duhamel, a ainsi obtenu la confirmation de la condamnation d’un des plus gros bailleurs sociaux d’Île-de-France, à 25 000 euros d’amende.
La cour d’appel de Versailles avait condamné le bailleur social pour fichage ethnique, mais aussi pour discrimination à l’encontre d’un candidat qui s’était vu refuser un appartement au motif qu’il était noir, un délit pour lequel LOGIREP avait été relaxée en première instance à Nanterre. Il s’agissait de la deuxième condamnation pour discrimination raciale (art 225 du Cp) et fichage ethnique (226-19) d’un organisme public, après celle que nous avions obtenue contre l’OPAC de Saint-Étienne le 3 février 2009 avec Me Bertrand Patrigeon, pour des délits similaires commis entre 2003 et 2006.
Les poursuites impossibles du fichage ethnoracial avant 2004
Auparavant, toutes les procédures engagées en 2000 contre 32 organismes HLM pour fichage ethnique des locataires, et discrimination à des fins de « mixité sociale », avaient échoué parce que nous ne pouvions pas nous constituer partie civile sur les infractions de fichage que les bailleurs avaient reconnus. Le délit existait depuis 1978 mais les parquets refusaient systématiquement de prendre la responsabilité des poursuites alors même que le fichage ethnoracial des locataires était établi. Les poursuites par une association antiraciste contre les infractions visées à l’article 226-19 du CP ont été rendues possibles qu’à partir du 9 mars 2004 par la modification de l’article 2-1 du code de procédure pénale. Nous devons cette avancée au sénateur Michel Dreyfus-Schmidt (décédé en 2008) qui avait accepté de défendre notre amendement dans le cadre de la discussion de la loi PERBEN II.
Avec l’entrée en vigueur de la loi PERBEN II nous avons pu déposer une plainte avec CPC en août 2005 contre le système de discrimination fondé sur le fichage ethnique chez LOGIREP et une autre en mars 2006 contre le système de l’OPAC de Saint-Étienne.
Des quotas de noirs à ne pas dépasser dans les immeubles chez LOGIREP
L’affaire LOGIREP concernait le cas d’un agent RATP d’origine ivoirienne qui s’était vu refuser en juillet 2005 un trois-pièces dans une tour de Nanterre (Hauts-de-Seine) gérée par LOGIREP, au motif qu’il était noir. Frédéric Tieboyou, locataire d’un logement insalubre du 20e arrondissement de Paris, voulait changer d’appartement. Il fit une demande auprès de LOGIREP et, quand il appela pour savoir où en était son dossier, la conseillère lui répondit qu’il n’aurait pas le logement de Nanterre qu’il souhaitait « à cause de ses origines africaines ». Elle ajouta qu’il y avait déjà « assez de noirs » dans l’immeuble en question et qu’au nom de la loi sur la mixité sociale la commission d’attribution lui avait refusé le logement. Heureusement, cette conversation avait alors été enregistrée et cet enregistrement constituera la pièce maîtresse de la plainte que je déposais alors au nom de SOS Racisme avec Frédéric Tieboyou.
Les enquêteurs trouvèrent ensuite chez LOGIREP des fichiers qui recensent effectivement les origines des locataires, grâce aux perquisitions que nous avions réclamées démontrant un système de discrimination par quotas ou « seuil de tolérance » grâce au fichage ethnique, sous prétexte de chercher « la mixité sociale » des locataires.
Pas à pas vers la victoire totale
La Maison des Potes, aux côtés de Frédéric Tieboyou, de SOS Racisme et de la Fédération Nationale des Maisons des Potes, obtenait la mise en examen de la société LOGIREP pour discrimination raciale et fichage ethnoracial des locataires et son renvoi devant le Tribunal de Nanterre pour le 7 mars 2014.
Dans son jugement du 2 mai 2014, le tribunal correctionnel de Nanterre prononçait la relaxe de LOGIREP pour le délit de discrimination et déboutait Frédéric Tieboyou de sa demande de réparation en considérant que le bailleur n’était pas responsable du refus d’attribution du logement, décidé par la commission d’attribution de logement présidée par un élu dont les liens avec la SA HLM LOGIREP n’avaient pas été établis. La SA HLM était par contre condamnée à 20 000 € d’amende pour le délit de fichage ethnique des locataires. En outre, le bailleur social était condamné à verser 10 000 € de dommages et intérêts à SOS Racisme (représenté par Me Eric Najsztat) et à la Maison des Potes (Me Bertrand Patrigeon), reçues en leur qualité de parties civiles, et pour chacune la somme de 2 500 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale. Nous avons alors fait appel de la décision.
Devant la cour d’appel de Versailles, le 5 février 2016, nous avons démontré qu’une commission d’attribution n’est pas distincte de son bailleur, mais nous avons dû affronter le ministère public qui a demandé la relaxe de la société LOGIREP pour le délit de discrimination raciale en prétextant que la preuve par l’enregistrement donnant la justification du refus « à cause de la couleur de peau du locataire » avait été donnée postérieurement à la décision de la commission d’attribution de logement.
Nous avons obtenu le 18 mars 2016 la condamnation de la SA HLM LOGIREP pour le délit de discrimination raciale et fait confirmer sa condamnation pour le délit de fichage ethnoracial. La cour d’appel a fixé le montant de l’amende à 25 000 euros.
Une jurisprudence précieuse
Les juges de la cour d’appel de Versailles ont bien motivé leur décision en rappelant que « La cour a pu, s’assurer par l’écoute de l’enregistrement de la conversation téléphonique du 19 juillet 2005 que Safia Z… s’était alors exprimée clairement, posément, sans qu’à aucun moment sa volonté de rapporter fidèlement la décision de la commission d’attribution puisse être mise en doute. »
Les juges ont surtout écrit que LOGIREP avait bien commis une discrimination raciale en prétendant abusivement rechercher à rétablir de la « mixité sociale » dans un immeuble : « S’agissant de la mise en œuvre du principe de mixité sociale, aucun des représentants de LOGIREP ni aucun des membres de la commission d’attribution n’a justifié l’utilisation de ce motif de rejet par le niveau social, l’emploi, les revenus du candidat locataire ou tout élément de son dossier susceptible de se rattacher à la notion communément admise de mixité sociale, ce qui aurait supposé de mettre en relation ces données avec la situation existant dans la tour ou le quartier dans lequel se situait le logement. »
Cette victoire, obtenue de longue haleine devant la cour d’appel de Versailles et confirmée par la Cour de cassation le 11 juillet 2017, est bien motivée de telle sorte qu’elle peut aisément être utilisée par les avocats des victimes de discriminations raciales, qui sont très souvent discriminées au nom de la théorie du « seuil de tolérance », rebaptisée par d’autres « le dosage de diversité ».
La contre-attaque des bailleurs sociaux
C’est une victoire très importante pour les Maisons des Potes et SOS Racisme confrontés à un très puissant organisme HLM qui n’a eu de cesse de contre-attaquer en nous accusant d’atteinte à la présomption d’innocence. Ainsi, tandis qu’elle était mise en examen suite à nos poursuites, la Société LOGIREP nous avait poursuivis pour atteinte à la présomption d’innocence parce que j’avais mentionné dans un rapport remis au Premier ministre intitulé « Le fichage ethnoracial = un outil de discrimination » que le bailleur LOGIREP était mis en examen pour fichage ethnique et discrimination raciale. L’action judiciaire engagée par LOGIREP avait l’unique but de nous faire taire pour empêcher toute publicité sur l’action judiciaire que nous avions engagée et avait dans un premier temps abouti à notre condamnation en 2011. Avec Me Bertrand Patrigeon nous avons heureusement été en appel et obtenu en 2014 que la cour d’appel de Paris déclare irrecevable l’action engagée contre Samuel Thomas et la Fédération Nationale de la Maison des Potes par la Société LOGIREP et la condamne à nous verser chacun la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile. Avec Me Jean-Philippe Duhamel nous obtenions ensuite confirmation de cette décision par la Cour de cassation le 12 novembre 2015.
La stratégie de LOGIREP était similaire à celle de l’OPAC de Saint-Étienne qui nous avait poursuivis pour diffamation pour avoir porté plainte et avoir accusé, dans un tract de SOS Racisme adressé aux locataires, le bailleur social d’avoir mis en place un système de fichage ethnique et de discrimination. Cette poursuite en diffamation avait abouti à un procès et notre relaxe le 18 décembre 2008 au matin, tandis que le procès de l’organisme HLM pour discrimination et fichage ethnique se tenait l’après-midi même et aboutissait à sa condamnation deux mois plus tard à 20 000 € d’amende avec sursis.
Notre victoire a donc été totale contre les deux puissants bailleurs ! Cela renforce la détermination de la Maison des Potes et de ses avocats !