Avocat, mais pas assez Français ?

PAR Kada Sadouni - avocat Nice – Invité

Jeune avocat pénaliste du barreau de Nice, je décide de prendre la plume pour témoigner de la présence du racisme dans l’exercice de mes fonctions, racisme qui s’exprime malgré ma robe, mes diplômes ou encore ma prestation de serment. Sincèrement je souhaite dénoncer par une parole rare, sincère et nécessaire un racisme ordinaire, insidieux, parfois institutionnel.

 

J’ai prêté serment en janvier 2022. Je suis avocat. Un avocat français, d’origine maghrébine. Et ce simple fait, dans la France de 2025, continue de peser. Pas tous les jours. Mais assez souvent pour laisser une trace. Une fatigue. Une vigilance constante.
Ce que je raconte ici n’est pas un règlement de compte. Ce ne sont pas des généralités. Ce sont des faits vécus. Et si certain·es confrère·sœurs ne les comprennent pas, ce n’est pas faute de cœur : c’est simplement qu’il·elles ne les vivront jamais.
Le premier choc m’est arrivé en tant qu’élève-avocat. Un simple document à récupérer au greffe. Le greffier me dévisage, me parle avec agressivité, évoque une « vigilance attentat » pour refuser de se déplacer. Je propose de l’accompagner : il s’emporte. Je repars, ironique. Le lendemain, je reviens. Une collègue du greffier, témoin la veille, me demande sèchement de déguerpir. Une heure plus tard, je repasse. Je redemande, poliment. Elle explose. Claque des doigts pour me faire sortir.
Je lui dis : « Je ne suis pas un chien. » Elle répond : « Je suis magistrate. Vous ne savez pas à qui vous parlez. Je vais appeler la sécurité. »
Les policiers arrivent, main sur l’arme : « Levez les mains ! » Je suis en costume trois pièces. On me fouille. Mon sac. Ma ceinture. Appel au commissariat pour vérifier mes antécédents. Je suis élève-avocat.
Finalement, le document m’est remis. Le greffier me traite de « caïd », dit que j’ai « des méthodes de voyou ». Je cite la loi. Je suis escorté hors du tribunal. Et convoqué devant le bâtonnier. Je n’avais strictement rien fait.

Depuis, les scènes de ce genre se sont multipliées. Un magistrat me confond avec un prévenu m’indiquant que je n’ai pas besoin d’interprète vu ma maitrise de la langue française. Un huissier me demande dans quelle affaire je suis mis en cause. Un policier me prend pour un gardé à vue évadé au commissariat de Nice. À la gendarmerie de la Trinité, on me dit : « En France, vous n’êtes pas chez vous. » Un policier me compare aux « bâtards qui viennent signer les contrôles judiciaires. » Un jour, un procureur évoque dans ses réquisitions un lien direct entre immigration et délinquance. Un autre jour l’administration pénitentiaire refuse de me laisser entrer en détention avec ma mallette…
Même certains clients doutent. Des Polonais. Des Arabes. Leur regard trahit une gêne : suis-je vraiment l’avocat ? Est-ce qu’ils peuvent me faire confiance ? Parfois, ils sont surpris que je sois « du bon côté de la barre » et réclament à être défendus par un « vrai » avocat.
Et mes confrère·sœurs ? Certains osent : « Pourquoi tu ne bois pas ? » « Tu ne veux pas raser cette barbe, pour faire plus propre ? » Tant de remarques déplacées auxquels je reste imperméable.
Les greffiers, eux, me posent inlassablement la même question : « Vous êtes avocat ? ». Lassé de devoir justifier ma place, je décide de faire les démarches toujours en robe.
Alors, on s’adapte. On se tient droit. On parle posément. On anticipe les doutes. On s’habille toujours en costume pour éviter les amalgames et on finit même par toujours porter la robe de manière préventive.

On porte la robe,

non comme une toge de justice,

mais comme une armure.

 

Et puis il y a cette phrase, entendue un jour d’été, dans la bouche d’un policier : « Toi t’es noir, ton avocat est un arabe. Il fait chaud, on est dimanche. Si j’ai envie de faire l’enculé, je peux bâcler ton dossier. Mais je vais pas le faire. »
Ce jour-là, j’ai compris : ne pas être raciste, pour certain·es, c’est un effort qu’ils s’accordent. Ou pas.
Les exemples pourraient être encore plus nombreux… mais la décence et la concision me poussent à synthétiser.
Je ne suis pas amer. Mais je suis fatigué. Fatigué d’être avocat, et suspect. Fatigué d’être traité comme un intrus, alors que je suis le conseil.
Mais je continue. Inlassablement. Je ne me tairai pas. Je ne m’excuserai pas.
Je suis avocat. Maghrébin. Et Français. Et si cela dérange, alors peut-être que ma simple présence est déjà un acte de résistance.
Incontestablement un racisme sociétal est bien prégnant en France qu’il soit volontaire ou ancré dans les mentalités de manière inconsciente, il perturbe des existences. Étant représentant d’une profession privilégiée, je ne saurais que trop bien imaginer les affres subies par d’autres n’ayant pas mes capacités de répliques…

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