Retour sur une pratique inédite et préoccupante : la convocation par le préfet du Bas-Rhin des parents étrangers de mineur·es interpellé·es

PAR Gabriella Carraud - SAF Strasbourg | David Poinsignon - SAF Strasbourg

Comme chaque fin d’année, lors du réveillon de la Saint-Sylvestre, des incidents et des dégradations sont à observer à Strasbourg. Les fêtes de fin d’année 2024 ont été marquées par une différence notable avec les années précédentes : l’action préfectorale.
Le préfet du Bas-Rhin, arrivé à Strasbourg à la fin du mois d’octobre 2024, a fait savoir par voie de presse, qu’il convoquerait les parents étrangers des mineur·es interpellé·es en vue du réexamen de leur droit au séjour. Dans le même temps, il invitait les parents français à s’adresser aux services sociaux afin d’y solliciter de l’aide.
Au début de l’année 2025, des parents ont été effectivement convoqués par les services préfectoraux.
Faisant fi de principes fondamentaux tels que la séparation des pouvoirs et discriminant les ressortissant·es étranger·es en situation régulière vivant notamment dans les quartiers populaires, ces convocations inquiètent à plus d’un titre.
Retour sur une pratique inédite, qui en dit long sur l’extrême-droitisation de l’exercice du pouvoir.

Les droits des mineur·es méconnus

En convoquant de la sorte, le préfet met à mal le principe de la présomption d’innocence et interroge sur la manière dont l’autorité préfectorale a eu accès à l’identité des jeunes interpellé·es qui est une information couverte par le secret de l’enquête.
La très grande majorité des mineur·es interpellé·es dans la nuit du nouvel an est ressortie de garde à vue sans aucune poursuite. Une telle absence de poursuite pénale n’a toutefois pas empêché le préfet de convoquer leurs parents.
En outre, s’agissant des jeunes ayant fait l’objet de poursuites pénales, le préfet a pris l’initiative de convoquer leurs parents avant même que l’autorité judiciaire, à laquelle le pouvoir exécutif ne saurait se substituer, n’ait statué sur la culpabilité des mineur·es en question.
Ces convocations incarnent une ingérence manifeste du préfet dans les pouvoirs du parquet et du juge des enfants. Le préfet semble ainsi aussi peu sensible au principe de la présomption d’innocence, qu’à celui de la séparation des pouvoirs.
À ces méconnaissances s’ajoutent celle de la spécificité de la justice pénale des mineur·es. Le Conseil constitutionnel a élevé la justice pénale des mineur·es au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République, et en particulier « la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées » (décision du Conseil constitutionnel n°2002- 461 DC du 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice).
L’action du préfet, dans son esprit, est très éloignée de cette ambition républicaine, qui en tout état de cause ne saurait relever de sa compétence.
Le préfet utilise l’arme de la convocation et du chantage au droit au séjour pour sanctionner – au moins symboliquement – des mineur·es qui n’ont parfois rien à se reprocher. Une telle initiative de l’autorité préfectorale conduit à faire peser une culpabilité qui ne dit pas son nom sur les épaules de mineur·es en méconnaissance des principes fondamentaux.

Une convocation et une menace en dehors de tout cadre légal

Le préfet détient certes des pouvoirs en matière de police des étranger·es, mais encore faut-il que l’exercice de ces pouvoirs s’inscrive dans un cadre légal et dans le respect des droits fondamentaux. C’est ce qui est attendu dans un État de droit.
Or, la menace du retrait du titre de séjour des parents étrangers à raison de faits dans lesquels leurs enfants mineur·es seraient mis en cause, ne s’inscrit dans aucun cadre légal. À ce jour, aucune disposition du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ni aucun autre texte, ne permet d’opposer aux parents des faits délictuels commis par leurs enfants mineur·es pour retirer leur droit au séjour.
La situation est d’autant plus ubuesque pour les ressortissant·es étranger·es parents d’enfants français. Plusieurs familles dans une telle situation ont fait l’objet de ces fameuses convocations.
L’une des mères concernées témoigne de la remise de la convocation à son domicile par quatre agents de police en uniforme. Son fils de seize ans, français, n’a fait l’objet d’aucune poursuite. Accompagnée par son conseil lors de l’entretien préfectoral, ce dernier est mené sur le ton de la remontrance. Cette mère, parent d’enfants français, qui réside depuis plus de treize ans en France, et ce toujours en situation régulière, craint désormais pour son avenir sur le territoire.

Une discrimination certaine

La volonté affichée du préfet de « responsabiliser » les parents des enfants interpellés, empreinte d’un paternalisme suranné, se combine à une discrimination entre français et étrangers. Il propose ainsi aux parents français de l’aide et un accompagnement social et, dans le même temps, menace les parents étrangers d’une remise en cause du droit au séjour.
Ces parents se voient menacés d’expulsion en dehors de tout cadre légal et stigmatisés par une pratique discriminatoire.
Le préfet ne cherche pas à construire une action qui permettrait d’endiguer les dégradations et les incidents du 31 décembre. Il cherche seulement à réaliser une opération de communication à l’encontre des étrangers, et notamment les résident·es des quartiers populaires, à promouvoir l’action musclée contre ces derniers.
Cette action préfectorale semble matérialiser les discours tenus par les responsables politiques hostiles à l’État de droit et promouvant des discriminations fondées sur la nationalité.
Si cette pratique préfectorale s’inscrit directement dans l’extrême-droitisation à l’œuvre, pour l’heure aucun parent n’a vu son droit au séjour retiré. Restons vigilant·es !

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