Mayotte, décembre 2024. Le cyclone Chido vient de dévaster le département le plus pauvre de France. Tout manque à la population sachant que la plupart des services publics sont hors service comme l’électricité, la distribution d’eau… L’État met un certain temps à réagir mais il a déjà désigné le coupable. Le changement climatique, la pauvreté et le délaissement par l’État de l’archipel ? Non, la faute c’est l’immigration !
Cela fait déjà des décennies que la thématique migratoire est mise en avant par les pouvoirs publics pour expliquer les maux de notre société. De fait les logiques économiques et capitalistes ne sont pointées qu’accessoirement, le péril essentiel serait le fait de tel ou tel groupe, pourtant minoritaire et peu influent qu’il s’agit de stigmatiser. Éviter de déplaire au capital. L’insécurité n’est jamais abordée sous l’angle de la violence sociale mais au travers de l’image du trouble « à l’ordre public » pour justifier une nouvelle loi liberticide. La dimension sociale est réduite bien souvent à la figure du « cas soc », vivant « en vacances et aux crochets de la société ». Il est souvent chômeur ou chômeuse, la population « assistée » par excellence qui « ne veut pas travailler et qu’il faut désinciter à se tourner les pouces et vivre des aides sociales ». C’est le sens même de la loi Kasbarian qui punit d’amende les locataires en difficulté de paiement de leurs loyers. Loi qui évidemment ne dit pas un mot sur la pénurie de logements sociaux. Pourtant la population assistée existe bel et bien, elle est même située à l’opposé de l’échelle sociale, pour preuve les 160 milliards d’euros d’aides publiques dont bénéficient chaque année le patronat et les grandes entreprises.
Trop de fonctionnaires ?
Voilà un pognon de dingue qui échappe justement à la solidarité nationale. Et en premier lieu aux services publics, de plus en plus incapables de satisfaire les besoins sociaux. Mais la logique qui prévaut depuis plusieurs décennies de néolibéralisme a fait de la maîtrise des finances publiques l’alpha et l’oméga des gouvernements de droite comme de gauche. Avec une obsession, réduire les dépenses publiques et donc le nombre de fonctionnaires (pas l’assistanat au grand patronat). À l’exception de fonctions régaliennes comme la police, l’État est réputé coûter trop cher. Quand parallèlement ces mêmes gouvernements n’ont cessé de réduire les recettes, en baissant ou supprimant des impôts (comme l’ISF) ou par des exonérations de cotisations sociales. La question fiscale et la plus juste répartition des richesses sont au cœur de la démocratie sociale car réduire le poids des budgets publics, c’est empêcher les services publics essentiels comme la santé de fonctionner. Elle sont pourtant totalement escamotées « au profit » de l’image du fonctionnaire surnuméraire.
L’immigration c’est mal ?
Pour éviter les véritables enjeux sociaux (et environnementaux), les pouvoirs publics procèdent donc par écrans de fumée. L’immigration est ainsi une thème régulièrement convoqué, l’inflation législative répressive des deux dernières décennies ne l’illustrant que trop bien. L’année 2023 l’a encore illustré : elle a débuté par une mobilisation sociale inédite depuis 50 ans et terminé par une loi « asile et immigration » parmi les plus attentatoires aux droits et libertés des personnes immigrées. La mobilisation de millions de personnes en grève et dans la rue contre une nouvelle réforme des retraites avait posé pourtant la question de la réalité du travail et du partage des richesses produites. Autant de thématiques insupportables pour le pouvoir. Comme pour l’extrême droite, d’autant plus que celle-ci a été largement invisibilisée par le mouvement social.
À la question de la justice sociale, le gouvernement de Mme Borne aura répondu par le passage en force du 49-3 et imposé à l’automne une loi portant fortement atteinte aux droits des personnes immigrées espérant ainsi stopper leur arrivée. Comme si les déséquilibres économiques et sociaux étaient leur faute : au contraire sans elles et eux, notre économie serait au plus mal. En occupant les emplois les plus mal payés et délaissés par les travailleur·ses (dont ceux considérés comme en tension par le patronat), elles permettent à la société de fonctionner. Ce n’est pas l’Italie de Georgia Meloni qui bien qu’élue sur un programme anti immigration n’a jamais autant régularisé de travailleur·ses sans papiers dira le contraire. Et pourtant la réponse de Borne et Darmanin, aujourd’hui de Retailleau abrogeant la circulaire Valls pourtant peu satisfaisante, fut à l’inverse sécuritaire et raciste. Dans l’attente donc d’une nouvelle loi mais en ayant au passage légitimé et remis au centre de la scène une extrême droite qui n’en demandait pas tant.
Le/la chômeur·se, le problème ?
Avec 603 euros par mois pour une personne seule, le quotidien d’un·e allocataire du RSA se résume à survivre. Si il ou elle trouve un emploi, il s’agira la plupart du temps de petits boulots mal payés pour permettre de maintenir la tête hors de l’eau. Une vie où le loisir est un luxe et les vacances un rêve inaccessible. Loin des Bahamas aux frais de la collectivité comme l’image entretenue par l’extrême droite (et autres). Le RSA n’est pas non plus cette manne qui inciterait à immigrer chez nous : en 2023, 30 % des RSA n’ont pas trouvé preneur, en raison principalement de la honte ressentie à le solliciter. Pourtant rendre son accès encore plus difficile est l’un des motifs de la loi dite du « plein emploi » proposée par le gouvernement d’Élisabeth Borne. En vigueur partout depuis le 1er janvier 2025, celle-ci impose à l’allocataire du RSA (et son ou sa conjoint·e) de prouver sa bonne foi pour accéder à l’emploi sous peine de perte de l’allocation. Lutter contre le chômage c’est donc fournir au patronat une main d’œuvre gratuite. Ou combattre le chômage en fliquant le·la chômeur·se. Plutôt que partager le temps de travail, d’en améliorer les conditions, le gouvernement presse le·la chômeur·se d’accepter n’importe quoi. Résultat ? Selon les premières expérimentations, seuls 3,6 % des allocataires du RSA ont trouvé à ce jour un emploi stable. Il y a pourtant cette réalité fort simple : 500 000 emplois disponibles au mieux par an… pour plus de 5 millions de chômeur·ses ! Soit 1 emploi pour 10 chômeur·ses.
En résumé l’inaction des pouvoirs publics est un leurre. Ils s’emploient au contraire à porter atteinte aux droits fondamentaux, aux libertés individuelles et collectives, à casser les services publics et la protection sociale tout en pointant en parallèle de faux responsables. C’est l’inverse de la lutte pour la justice sociale contre les véritables maux politiques et sociaux qui sont laissés de côté. Ne pas satisfaire les besoins fondamentaux des classes populaires pour plaire au capitalisme et légitimer l’arrivée de ses pires défenseurs, l’extrême droite. On peut difficilement faire pire.