La technologie à l’appui du discours sécuritaire : vidéosurveillance algorithmique, drones et fichiers de police
Dans le domaine de la sécurité comme dans d’autres, la technologie est mise en avant comme l’outil privilégié pour assurer la sécurité publique, sans se soucier des coups portés au droit à la vie privée et aux libertés publique. La presse s’est faite l’écho en début d’année 2025 d’un usage massif des drones et d’une prolongation annoncée de l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique.
Jugeant les quelques 90 000 caméras dédiées à la vidéosurveillance de l’espace public sur le territoire français insuffisantes, le législateur a autorisé, par la loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure du 24 janvier 2022, le recours à des drones équipées de caméras afin d’assurer notamment la surveillance des frontières et celle des rassemblements de personnes, incluant les manifestations et mouvements de protestation.1
Il faut mesurer l’ampleur des moyens déployés : au mois de janvier 2025, le journal Le Monde recensait 1 800 arrêtés préfectoraux d’autorisations de survol de drones destinés aux policiers, gendarmes et douanes.2
Fervent défenseur de la « nouvelle technologie » en matière de sécurité, l’actuel ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau continue d’encourager son déploiement et ne manque pas de jeter l’opprobre sur les maires qu’il juge rétifs au développement de la vidéoprotection, encourageant également le déploiement de la vidéosurveillance algorithmique (VSA) sans se soucier des risques générés par cette dernière.
Le rapport du comité d’évaluation de l’usage de la VSA pendant les JO vient pourtant d’être remis et en tire un bilan peu élogieux.3
Peu importe les résultats pour le Ministre4, qui souhaite dans tous les cas une prolongation de l’expérimentation jusqu’en 2027 et un élargissement des hypothèses de recours à cette technologie.
Il fait donc peu de doute que la vidéosurveillance algorithmique sera déployée à terme sur les caméras équipant les drones ou sur les réseaux de vidéosurveillance des communes.
Le contentieux devra alors être mené localement contre chacun des arrêtés qui autorisera leur usage, comme le SAF et ses partenaires l’ont déjà fait à plusieurs reprises.
Pour rappel, le Conseil Constitutionnel, s’il a validé l’usage des drones, a posé la condition suivante : l’autorité administrative ne peut autoriser l’usage des drones qu’après s’être assuré que le service ne peut employer d’autres moyens moins intrusifs au regard du droit à la vie privée ou que l’utilisation de ces autres moyens serait susceptible d’entraîner des menaces graves pour l’intégrité physique des agents5 et pour les finalités prévues par l’article L.242-5 du CSI.
Dans un contentieux d’urgence, souvent en référé-liberté, les avocates et avocats du SAF avec l’appui d’associations (ADELICO, LDH…) et organisations partenaires (Syndicat de la Magistrature) ont ainsi mené de nombreux contentieux sur tout le territoire, constatant que les décisions préfectorales choisissent leur cible : mouvements sociaux et écologistes, quartiers populaires subissant les effets du trafic de stupéfiants, mouvements de protestation contre la montée de l’extrême droite…
En Ille-et-Vilaine, la motivation des arrêtés préfectoraux reflète ainsi l’obsession gouvernementale contre l’« ultra-gauche », laquelle semble justifier un déploiement systématique des drones.
Cependant, au mois de février 2024 le tribunal administratif de Rennes va suspendre une première fois l’autorisation de survol – motivée par la seule venue du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin – du centre-ville de Rennes alors que le Préfet est dans l’incapacité d’établir un quelconque risque pour l’ordre public.6
Le 22 juin 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes suspend à nouveau un arrêté du Préfet d’Ille-et-Vilaine autorisant cette fois la surveillance par drones de tout « rassemblement contre les idées d’extrême droite », en pleine période électorale.
Dans un autre contexte, le Conseil d’État a quant à lui validé la suspension de l’arrêté du Préfet des Pyrénées-Atlantique autorisant la surveillance de la frontière franco-espagnole pendant plus d’un mois celle-ci étant injustifiée et disproportionnée7 alors que le discours sur l’augmentation des « flux migratoires » n’est pas démontré par la préfecture.
Au mois de juillet 2024, le tribunal administratif de Poitiers a suspendu partiellement l’autorisation de survol du Village de l’Eau dans le secteur de Melle dans le cadre des manifestations contre les méga-bassines.8
Le tribunal administratif de Grenoble a quant à lui sanctionné l’usage sans autorisation préfectorale d’un drone pour surveiller une manifestation contre le racisme et les violences policières et ordonné sous astreinte la destruction des données illégalement collectées lors de cette manifestation du 5 juillet 2023 devant le Palais de Justice à Grenoble.9
À Rennes, le Préfet d’Ille-et-Vilaine a lui aussi été contraint de s’expliquer devant le tribunal administratif pour un survol d’une manifestation contre les idées d’extrême droite par un drone non autorisé par le préfet, même si l’on ne manquera pas de regretter la légèreté du contrôle opéré par les juges en la matière.
Nous devons, collectivement, être intransigeant·es sur la collecte des données personnelles ainsi opérée et sur leur usage, celles-ci risquant de venir nourrir des fichiers de police toujours plus nombreux, créés et consultés parfois en dehors de tout cadre légal.
Rappelons qu’au mois de mai 2023, la presse s’était faite l’écho d’une politique de fichage sauvage des manifestants par le Parquet de Lille.
Ce fichage ayant été sanctionné par la justice10, le gouvernement a accouru pour créer le fichier SiSPoPP (Système informatisé de suivi de politiques pénales prioritaires) par décret n°2023-935 du 10 octobre 2023, qui autorise désormais la collecte des données relatives aux opinions politiques, à l’appartenance syndicale, les données relatives aux convictions religieuses…
Ce contexte sécuritaire doit nous conduire collectivement à faire respecter le droit des données personnelles partout où il doit l’être, lequel devient le dernier rempart face au déploiement des technologies de surveillance.
Notes et références
1. L.242-5 du code de la sécurité intérieure.
2. Comment la surveillance par drone s’est généralisée en 2024 : plus de 1 800 autorisations dans toute la France, Le Monde, 13 janvier 2025, par Arthur Carpentier et Léa Sanchez
3. www.interieur.gouv.fr/actualites/actualites-du-ministere/experimentation-en-temps-reel-de-cameras-augmentees
4. www.vie-publique.fr/discours/295993-bruno-retailleau-22102024-budget-2025-du-ministere-de-linterieur
5. www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2021-834-dc-du-20-janvier-2022-communique-de-presse
6. rennes.tribunal-administratif.fr/publications/jurisprudence-du-tribunal/decisions-marquantes/janvier-fevrier-2024-les-decisions-marquantes
7. www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2023-07-25/476151
8. www.francebleu.fr/infos/environnement/anti-bassines-des-organisations-attaquent-en-justice-l-arrete-autorisant-l-usage-de-drones-5147694
9. grenoble.tribunal-administratif.fr/decisions-de-justice/dernieres-decisions/manifestation-du-5-juillet-2023-le-tribunal-ordonne-au-prefet-de-l-isere-de-detruire-des-enregistrements-illegalement-recueillis-par-drone
10. france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/nord-0/lille/retraites-le-parquet-de-lille-condamne-pour-avoir-fiche-des-manifestants-2776866.html