Loin de calmer le jeu, les politiques soufflent sur les braises des flammes allumées par ceux qui appellent au meurtre d’avocat·es. Les inquiétudes sont grandes tant la profession est attaquée de toutes parts.
Personne n’a oublié le visage ensanglanté de Me Henri Leclerc, la chemise arrachée par les villageois de La-Motte-du-Caire le 15 juin 1989, son client, Richard Roman, bientôt acquitté, tandis que l’opinion publique voulait sa mort1.
Désormais ce sont sur les réseaux que la haine des avocat.es se crache.
En juillet 2024, un site2 d’extrême droite publiait une « liste (très partielle) d’avocats à éliminer », illustrée d’une image de guillotine. « À envoyer dans un fossé ou dans un stade, ces avocats déclarent ne pas respecter le verdict des urnes en cas de victoire du RN ». L’enquête piétine…
Très récemment, un autre media d’extrême droite diffusait une liste nominative d’une soixantaine de confrères et consœurs : « Le palmarès des avocats de clandestins »3. Jetés à la vindicte populaire sur X. Outrages et menaces dans tous les commentaires des haineux.
Les magistrat·es subissent tout autant. Les mêmes rageux insultent les juges du Tribunal Administratif de Melun pour avoir appliqué la Loi.4
Toutes ces attaques n’ont qu’un objectif : réduire l’État de Droit ; affaiblir la Justice ; étouffer ses farouches défenseurs et défenseuses.
Les responsables sont politiques. Les hommes et femmes politiques de droite. Qui ne cessent de se radicaliser. Ils n’ont eu de cesse de « clochardiser »5 la Justice. Nicolas Sarkozy, déjà, dénigrait les Magistrat·es qu’il qualifiait de « petit-pois »6.
Gérald Darmanin lui a emboîté le pas. ministre de l’Intérieur, il n’a eu de cesse d’opposer Police et Justice. « Le problème de la police c’est la justice »7, entendait-on place Beauvau. Désormais place Vendôme, quelle ironie, le même ministre relance : « Certains avocats ne travaillent pas à la défense de leur client, mais cherchent à emboliser le système ».8
La musique est évidemment toujours la même. Bruno Retailleau fraîchement nommé accuse lui aussi les avocat·es d’être « mal-intentionné·es ». Sous-entendu, complices de leurs client·es…
Persuadés de leur indépendance, certains procureurs généraux reprennent servilement la voix de leurs maîtres.
Si tous jettent les avocat·es en pâture, c’est qu’il leur faut des bouc-émissaires. C’est tellement plus facile d’accuser les avocat·es, de nous designer responsables à leur place et d’opposer avocat·es et magistrat·es.
La vérité c’est le manque de moyen de la justice,
son état de déliquescence absolue.
La Justice française est exsangue : son budget représente seulement 1,4% de celui de la France. 4 000 affaires criminelles en attente, fin 2023. Les délais de jugements sont insupportables. Ils confinent au déni de Justice. Il faudrait 20 000 magistrat·es, ils sont 9 500 actuellement.9
La justice n’est pas réparée, elle est submergée. Noyée par ces politiques qui n’en veulent plus. Car c’est bien le projet annoncé de la droite extrême : « l’État de droit, ça n’est pas intangible ni sacré »10. Bruno Retailleau illustre parfaitement la finalité : faire taire la profession d’avocat·e, sa raison d’être et son rôle fondamental dans notre démocratie.
À dessein, les attaques envers les avocat·es mettent en péril l’État de droit. Elles ont déjà des conséquences graves. Il y a, bien sûr, les menaces évoquées ci-dessus. Mais il y a aussi les violences « légitimées ». En 2015, Me Émilie Dewaele, avocate lilloise, était frappée par un policier au cours d’une manifestation. En 2024, Me Raphaël Kempf, avocat parisien, était convoqué par la police après une plainte inique de l’administration pénitentiaire.11
Restrictions légales, intimidations, harcèlement, agressions… Qui nous protégera quand un fasciste sortira son arme ?
Le 24 janvier 1977, à Madrid, des activistes d’extrême droite assassinaient 5 personnes dont 4 avocats du fait de leur profession. Depuis 2009, la journée de l’avocat·e en danger se tient dans le monde entier, le jour de ce « massacre d’ATOCHA ».
La question se pose de savoir « si » ou « quand » cette journée sera-t-elle dédiée aux avocats français.
Notes et références
1. Dauphiné libéré le 17 juin 1989 et article le 1er septembre 2024 en ligne : Affaire Richard Roman : quand l’avocat Henri Leclerc était violemment pris à partie lors de la reconstitution
2. Réseau libre – Le Réseau des patriotes – Un site d’ultradroite appelle à « éliminer » des avocats signataires d’une tribune contre le RN, le parquet saisi, Le Monde
3. Invasion migratoire: ONG Avocats Juges Journalistes Passeurs: Les coupables, Frontières Hors-Série #1 – Janvier 2025
4. Annulation de l’OQTF de « Doualemn » : enquête ouverte après des menaces visant le tribunal administratif de Melun, Le Monde – 13/02/2025
Influenceur algérien Doualemn : une enquête ouverte après les menaces reçues par le tribunal administratif de Melun, qui a annulé son expulsion, Libération – 12/02/2025
5. «L’institution judiciaire est en voie de clochardisation», déplore Jean-Jacques Urvoas, RTL.fr – 18/04/2016
6. Nicolas Sarkozy, les juges et les petits pois, Le Monde – 10/10/2007
7. Manifestation des policiers : « Le problème de la police, c’est la justice ! », Public Senat – 19/05/2021
Des milliers de policiers manifestent devant l’Assemblée nationale : « Le problème de la police, c’est la justice », Le Monde – 19/05/2021
Sur l’embolisation du système: Darmanin sur RTL le 6 janvier 2025
8. Les 4 vérités Bruno Retailleau France 2
9. « La justice, loin d’être réparée, ne rend plus les services que sont en droit d’attendre les Français », Le Monde – 10/02/2025
10. Bruno Retailleau au JDD : «Il faut renverser la table en mémoire de Philippine», 28/09/2024
11. Un policier (de nouveau) condamné pour violences sur avocate, La voix du Nord
L’avocat Raphaël Kempf convoqué par la police après une plainte de l’administration pénitentiaire, Le Monde – 05/12/2024