Désobéir pour construire un avenir vivable

PAR Claire Dujardin - SAF Toulouse | Clémence Durand - SAF Toulouse

« La défense des droits de l’homme se veut non-violente.  Mais, les droits de l’homme bafoués peuvent engendrer de la violence. C’est là que la notion de respect intervient ». Dans son opuscule de 2010, Stéphane Hessel invitait les jeunes générations à s’indigner. Résister, s’indigner, désobéir, agir, lutter, se soulever, démanteler…Les actions de désobéissance se multiplient partout en France et l’État y répond par la force et le déni.

 

Au fil des années et de la multiplication de ces actions collectives, la réponse politico-policière s’est faite de plus en plus radicale.
Après avoir réprimé violemment les ZAD, de Notre-Dame-des-Landes à Sivens, après avoir mis les militant.es sous surveillance à Bure et avoir perquisitionné un de nos confrères, Étienne Ambroselli, après avoir encore inondé la foule de grenades à Sainte-Soline, les autorités ont tenté de dissoudre les Soulèvements de la Terre (dissolution annulée par le Conseil d’État le 9 novembre 2023. Un certain répit pour les mouvements climats).
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin n’avait pas hésité à parler d’« éco-terrorisme », terme outrancier et sans fondement juridique, pour qualifier les participant.es à la manifestation de Sainte-Soline du 29 octobre 2022. L’usage de ce terme particulièrement chargé n’est pas anodin et devient récurrent pour disqualifier les mouvements écologistes.
Les manifestations écologistes sont désormais la cible d’un véritable arsenal législatif et réglementaire répressif : arrêtés d’interdiction de manifester, déploiement de drones, contrôles policiers massifs, usage des armes, interpellations, garde à vues, fichages.
Selon le rapporteur spécial des Nations Unies, Michel Forst, « La France est le pire pays d’Europe concernant la répression policière des militants environnementaux. La violence des forces de l’ordre est hors catégorie1 » La France vient d’ailleurs d’être condamnée par la CEDH le 27 février 2025 concernant la mort de Rémi Fraisse.
Dans son rapport de février 2024, le rapporteur spécial alerte : « les États créent un climat de peur et d’intimidation pour les défenseurs de l’environnement, en violation de leurs obligations internationales, notamment de la Convention d’Aarhus et du droit international en matière de droits humains. Ces mesures de répression à l’encontre des défenseurs de l’environnement ont un effet concret et dissuasif sur l’exercice des droits fondamentaux, sur la société civile et la démocratie et, en fin de compte, sur la capacité de la société à faire face à la crise environnementale avec l’urgence requise »2.

Dans ce marasme politique et policier, les parquetiers agissent
comme de bons petits soldats au service de la politique pénale
menée par les Ministères de l’Intérieur et de la Justice.

 

Le 7 septembre 2023, le garde des Sceaux était entendu par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les groupuscules violents lors de manifestations. Il déclarait qu’il en avait marre d’entendre cette petite musique sur la désobéissance, et précisait : « On a le droit, selon certains, quand on est porteur d’une cause que l’on estime légitime, de ne plus obéir à la loi. C’est infernal. Rien n’est plus liberticide que cela ». La confusion est totale et volontaire.
On ne compte plus le nombre de circulaires de la Chancellerie qui enjoignent aux magistrat·es de faire preuve de fermeté et de rapidité dans la réponse pénale.
Les poursuites sont, de fait, nombreuses et quasi-systématiques. La coordination anti-répression autour des opposant·es au projet d’autoroute A69 dans le Tarn, a dénombré des centaines de gardes à vue, 130 personnes poursuivies, 60 procès passés et à venir, 7 personnes placées en détention, 44 personnes sous contrôle judiciaire et 27 privées de territoire après quelques mois d’occupation du terrain.
Les parquetiers n’hésitent pas à mener des enquêtes préliminaires tentaculaires, usant de tous les moyens mis à disposition par le Code de procédure pénale, pour surveiller, géolocaliser, tracer les militant·es écologistes, et mobiliser les services de la sous-direction antiterroriste (SDAT).

En réponse à la désobéissance civile climatique,
les tribunaux judiciaires font parfois preuve de courage.

 

Les tribunaux ont d’abord écarté l’état de nécessité climatique tiré de l’application de l’article 122-7 du Code pénal au profit du fait justificatif fondé sur la liberté d’expression. Le jugement en date du 16 septembre 2019 rendu par le tribunal correctionnel de Lyon était alors l’exception au principe, malgré sa motivation particulièrement audacieuse et séduisante.3
Par deux arrêts du 22 septembre 2021 sur les décrocheurs de portraits présidentiels, confirmés par la suite par d’autres arrêts, la Cour de cassation a ouvert la voie au fait justificatif d’origine prétorienne (et apporté une sorte de modus operandi devant servir aux juges du fond pour l’apprécier) d’atteinte à la liberté d’expression protégée par l’article 10 de la CEDSH.4
Elle souligne que l’incrimination peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l’exercice d’un droit, notamment la liberté d’expression et invite à examiner les circonstances des faits, la gravité du dommage ou du trouble causé pour vérifier la proportionnalité de l’atteinte. Des relaxes sont désormais prononcées pour avoir bloqué des routes, jeté de la peinture sur des bâtiments ou des tableaux de peinture, pour être monté sur des arbres afin d’en empêcher leur abattage.
Pourtant et en parallèle, la jurisprudence sur l’état de nécessité climatique s’étoffe. Par un jugement du 23 avril 2024, le tribunal correctionnel de La Rochelle a relaxé neuf militants d’Extinction Rébellion qui s’étaient introduits dans le port de la ville et avaient accroché des banderoles sur les silos à grains du groupe Soufflet-Socomac. Le tribunal de police a relaxé le 26 septembre dernier des Scientifiques en rébellion pour leur action dans le Muséum national d’Histoire naturelle.
Les actions de désobéissance sont devenues une nécessité face à l’inaction des pouvoirs publics, l’inexécution des décisions de justice administrative, l’absence de démocratie environnementale, le passage en force des projets écocidaires.
Les autorisations environnementales dans le projet d’A69 viennent d’être annulées par le tribunal administratif de Toulouse, tout juste avant le bétonnage des terres, grâce à l’action des écureuils et des militants sur le terrain.
Comme le dit si bien Geneviève Azam, économiste, « Dans la démarche de l’autonomie qui émerge là-bas comme ici, lutter contre et œuvrer pour sont indissociables. Construire sans résister serait aussi vain que résister sans construire serait stérile ».

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