Le 14 décembre 2024, le cyclone Chido s’abat sur le 101e département français. Au lieu d’inciter l’exécutif à infléchir la politique brutale qu’il mène depuis des décennies à l’endroit de ses habitant·es, cette catastrophe humanitaire va servir de prétexte à une accélération de l’agenda politique. Depuis lors, à Mayotte comme sur l’ensemble du territoire national, il n’est plus question que de submersion migratoire. Face à une population en désarroi, le chef de l’État, le 19 décembre 2024 devant la presse, a tout de suite fait savoir qu’il ne tolérerait pas la moindre critique à l’égard de la France : « vous êtes content d’être en France […] Parce que si c’était pas la France, vous seriez 10 000 fois plus dans la merde. Il n’y a pas un endroit de l’océan Indien où on aide autant les gens ! »1. Le seul et unique responsable des maux de l’île : l’étranger. D’ailleurs, « quiconque prétendrait qu’il n’y a pas de problème d’immigration brûlant à Mayotte est irresponsable », ajoute le premier ministre François Bayrou lors de sa venue sur place le 30 décembre 2024.2
Le message adressé aux habitant·es de Mayotte est on ne peut plus clair : avant de songer à l’égalité, il faudra chasser l’étranger de vos terres.
Tandis que la population réclame de l’eau, des vivres et des soins urgents, « l’État et les pouvoirs publics locaux s’accordent pour interdire et empêcher la reconstruction des bidonvilles »3 sur une île où quatre habitations sur dix sont en tôle. Sans prise avec la réalité, le 3 janvier 2025, le préfet publie un arrêté portant réglementation de la vente des tôles pour gêner la reconstruction presque achevée des bidonvilles dans un contexte où le parc immobilier déjà sous-dimensionné et à présent totalement dégradé n’offre aucune alternative. Alors qu’il devrait être question de solidarité et de reconstruction, par un arrêté en date du 7 février 2025, le préfet ordonne l’évacuation et la destruction de 70 cases bâties illicitement dans le quartier Hacomba à Dzoumogné dans le nord de l’île en application de la procédure accélérée offerte par l’article 197 de la loi ELAN.4 Avec un parc d’hébergement d’urgence saturé, il est peu probable que des offres de relogement aient été faites à l’ensemble des familles comme le prévoit la loi. Mais sans un garde-fou, ici comme en Guyane, tout est permis.
La catastrophe humanitaire causée par le cyclone Chido serait elle une aubaine pour l’État, déjà engagé dans des offensives de nature xénophobe contre les étranger·es et plus généralement les plus vulnérables et paupérisé·es lors des opérations annuelles nommées Wuambushu ?
Depuis le 1er janvier 2025, les services de police et gendarmerie quadrillent l’île. Qu’importe si les personnes dont l’identité est contrôlée ont tout perdu pendant le cyclone, à commencer par les preuves de la régularité de leur séjour ou de leur nationalité. Une seule obsession : faire du chiffre. Le chef de l’État a promis de doubler le nombre de mesures d’éloignements. Rien de plus simple. À l’absence de recours suspensif contre une mesure d’éloignement est venu s’ajouter le droit pour les forces de l’ordre de contrôler l’identité de toute personne sur l’ensemble du territoire sans le moindre motif5. La réserve énoncée par le conseil constitutionnel selon laquelle la mise en œuvre de ces contrôles ne saurait s’opérer « qu’en se fondant sur des critères excluant, dans le strict respect des principes et règles de valeur constitutionnelle, toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes »6 sonne comme une coquille vide. En refusant d’encadrer les pouvoirs de la police, le législateur rend impossible la démonstration d’une discrimination.
Cette obsession du chiffre, impulsée sous la présidence de Sarkozy en 2007, ne s’est jamais calmée. De 2019 à 2024, 140 000 personnes ont fait l’objet d’une mesure d’éloignement et une quarantaine de quartiers informels ont été détruits en application de l’article 197 de la loi ELAN, mettant à la rue, sans alternative, près de 15 000 personnes. Ce harcèlement policier n’a pas eu l’effet escompté : la part des populations venues des autres îles de l’archipel des Comores ne cesse d’augmenter atteignant 48 % du total selon le dernier recensement, la démographie n’a pas baissé et quant au problème de l’insalubrité des lieux de vie rien n’a été entrepris. Impassible, l’État français persiste à « croire » qu’il suffirait de diminuer l’attractivité du territoire pour que des personnes en relation de parenté ou d’alliance avec des ressortissant·es français·es, originaires d’une des quatre îles de l’archipel des Comores, rebroussent chemin.
L’épisode cyclonique aura permis de relancer le débat sur un nouveau durcissement des conditions d’accès à la nationalité française pour les enfants nés de parents étrangers. Cas d’école ou laboratoire du pire, les politiques se lâchent quand il s’agit de brutaliser les habitant·es de Mayotte. Le 6 février 2025, profitant de sa niche parlementaire, le groupe Les Républicains déposait une proposition de loi adoptée sans délai par l’assemblée nationale. La limitation du droit du sol, avant sa suppression définitive, n’est pas seulement une revendication abstraite, un marqueur politique de la droite extrême qui a déjà contaminé sur sa gauche jusqu’au centre, elle marque le destin d’enfants nés en France en les frappant de relégation dans leur pays natal. Devenu·es des mahorais·es sans papiers, iels se font interpeller aux abords des lycées et renvoyer le jour même vers l’île comorienne d’Anjouan dont leurs parents sont peut-être originaires. Iels reviennent, au péril de leurs vies et des naufrages pour tenter d’obtenir leurs diplômes et de poursuivre leur vie là où iels sont né·es.
Si le durcissement des conditions d’accès à la nationalité française des enfants ne suffit pas, l’autorité administrative mettra tout en œuvre pour limiter drastiquement le nombre de titres de séjour délivrés, elle qui depuis bientôt deux ans laisse des activistes xénophobes bloquer régulièrement l’accès au service des étrangers de la préfecture et ainsi empêcher la délivrance et le renouvellement des titres de séjour. La loi du 26 janvier 20247 vient à point en ce qu’elle permet désormais aux préfets de refuser la délivrance, le renouvellement et même procéder au retrait d’un titre de séjour à qui aurait produit au soutien de sa demande un « faux ». S’il existe bel et bien un droit à la domiciliation pour les personnes étrangères en situation irrégulière, les mairies mahoraises font mine de l’ignorer. Pour leurs démarches administratives, les habitant·es des bidonvilles – soit un tiers de la population de l’île – ont recours à des attestations d’hébergement apocryphes. Si l’autorité administrative opte pour une politique de retraits massifs des titres de séjour pour ce seul motif lié à la précarité de la personne, alors l’enfant né à Mayotte qui aurait acquis la nationalité française en application des articles 21-7 et 21-11 du code civil pourrait la perdre.
L’État peut-il se donner les moyens de procéder à un grand déplacement de tous ses indésirables vers l’île voisine, et l’État voisin obtempérer sans broncher ?
Notes et références
1. www.liberation.fr/politique/si-cetait-pas-la-france-vous-seriez-10-000-fois-plus-dans-la-merde-les-propos-de-macron-a-mayotte-ne-passent-pas-20241220_TFRN3C54CJA6VE36Q7BO6MG7II/
2. www.bfmtv.com/outre-mer/mayotte/mayotte-bayrou-affirme-que-l-immigration-incontrolee-n-est-pas-acceptable-et-promet-des-reconduites_AV-202412310297.html
3. www.linfodurable.fr/mayotte-letat-et-les-pouvoirs-publics-locaux-sengagent-empecher-la-recontruction-des-bidonvilles-0
4. la1ere.francetvinfo.fr/mayotte/une-operation-de-demolition-de-70-cases-prevue-a-dzoumogne-pour-la-construction-d-une-ecole-1560310.html
5. Article 78-2 2°) du code de procédure pénale tel qu’issu de la loi du 10 septembre 2018
6. Décision n° 2022-1025 QPC du 25 novembre 2022
7. Articles L. 432-1-1 2°) et L. 432-5-1 du CESEDA tels qu’issu de la loi du 26 janvier 2024