50 ans, le SAF en mouvement

PAR Régine Barthélémy - ancienne présidente du SAF, SAF Montpellier | Simone Brunet - SAF Poitiers

Le SAF fête cette année ses 50 ans. Il est né dans la mouvance de l’union de la gauche, des réflexions, des débats, des actions qui ont agité les années de « l’après 68 ».

Emerge à ce moment-là le besoin de structurer la défense de pratiques professionnelles ancrées dans le militantisme et l’accompagnement de celui-ci. Les débuts du Syndicat de la Magistrature dès 1968 avaient montré la voie.
Pour lancer le Syndicat des Avocats de France (qui ne revendiquait pas encore ce nom) un manifeste fut publié le 8 août 1972 dans la Gazette du Palais sous le titre Pour une véritable organisation syndicale de défense de la profession d’avocat signé par 14 avocats, parisiens à l’exception de Claude Michel, membre fondateur du barreau de Seine-Saint-Denis. Ce fût le véritable acte de naissance du SAF qui partait d’un constat que nous pouvons encore partager : la Justice est en crise ! Bilan de l’encombrement des prisons, de la surcharge des tribunaux, d’un accès inégal des citoyens au droit et à la défense, d’un budget dérisoire…

 

Solidarité entre les intérêts du public et les avocats

Le Manifeste affirme que le droit d’avoir accès à un avocat indépendant est une des garanties fondamentales de la liberté des citoyens et en tire la conséquence d’une solidarité étroite entre les intérêts du public et les membres du barreau.
Il s’agit donc pour les avocats de pouvoir assurer leur mission sociale de défense sans étroitesse corporative afin de pouvoir mobiliser l’opinion publique, d’où le besoin de créer un mouvement syndical porteur de la défense de la profession dans cet esprit.
Dès mai 68 s’était créé le MAJ (mouvement d’action judiciaire) qui regroupait des militants du mouvement associatif, politique, syndical, des magistrats, des avocats, des médecins et inspecteurs du travail et se définissait comme « un mouvement de travailleurs du droit qui ont choisi de remettre en cause l’institution judiciaire ». Le MAJ sera à l’origine de la pratique des boutiques de droit et de l’indispensable pluridisciplinarité dans la réflexion. D’anciens du MAJ sont encore très présents au SAF.
La question se pose rapidement des liens entre le SAF et le MAJ qui, dès sa présentation, publie un article de Francis Jacob premier président du SAF intitulé « Pourquoi un Syndicat d’avocats ? Le SAF répond ».
Après la publication du manifeste de 1972, le comité d’initiative entame ses travaux sous le sigle de l’Organisation Syndicale des Avocats (OSA). Les premières communications de l’OSA concernent l’extension de l’aide judiciaire revendiquant des indemnités « normales » ainsi que leur exonération fiscale, texte qui marque le début d’une longue série sur l’AJ !
Commission du programme, commission pour l’élaboration des statuts et la convocation du congrès : une assemblée générale adopte les statuts et prend la dénomination de Syndicat des Avocats de France ; un programme d’action est défini, un conseil syndical est élu avec comme président Francis Jacob qui fut, avec le Bâtonnier de Paris et les représentants des principaux syndicats et associations professionnelles d’avocats, en tête de la première manifestation d’avocats en robe, du Palais de Justice de Paris à la place Vendôme, contre un projet de réforme de la Procédure civile menaçant les droits de la défense. Il fut ensuite reçu ès qualités par le Bâtonnier de Paris début Juin 1973.
Ce conseil syndical prépare le congrès fondateur qui sera celui de Grenoble en novembre 1974.

 

Défense des libertés publiques et exercice professionnel

Depuis la création du SAF, ces deux combats sont indissociables. « Ce qu’il faut, c’est arriver à un exercice nouveau de la défense » résumera quelques années plus tard Tiennot Grumbach (Bâtonnier de Versailles en 1986 et Président du SAF en 1991).
L’impérieuse nécessité de l’intervention des avocats dans le domaine des libertés implique pour ces avocats des conditions d’exercice adaptées et dignes. Les six objectifs retenus par le manifeste en attestent, qui deviendront l’article 1 des statuts :

  • l’indépendance des barreaux
  • les droits et prérogatives de la défense qu’il faut étendre
  • la défense des conditions économiques d’existence et de plein exercice des avocats : limitation des grands ensembles professionnels, services communs et équipements collectifs dans les Ordres, rémunération équitable de l’aide judiciaire, réforme de la fiscalité prenant mieux en compte les frais généraux, contribution de l’État aux caisses de retraite et de prévoyance en raison de la participation des avocats au service public de la justice.
  • une profession largement accessible avec un statut pour les collaborateurs et la participation des jeunes à la vie du barreau
  • la recherche d’une action unitaire avec les organisations des autres professions judiciaires pour une meilleure Justice
  • l’association des barreaux aux initiatives pour une Justice plus démocratique et pour que soient mieux garantis les droits et les libertés.

1973 ouvre une ère nouvelle pour la profession d’avocat qui vient de fusionner avec celle d’avoué de première instance, élargissant ainsi ses prérogatives.
L’accès à la profession, la garantie des droits professionnels des jeunes avocats, l’extension du rôle social des avocats sont autant de questions abordées par le SAF qui empruntera beaucoup aux réflexions menées à Lyon autour de Paul Bouchet et d’Ugo Ianucci, futurs Bâtonniers de leur Ordre.
Le SAF empruntera aussi au cabinet « Ornano » créé par Henri Leclerc afin de mieux répondre au besoin de conseil et de défense par une normalisation des honoraires grâce à la recherche du coût du dossier et la définition d’un tarif plancher/plafond, pour une offre de consultation fournie à un tarif déterminé.
Au début de l’année 1974, le SAF demande la grâce de Puig Antich jeune ouvrier anarchiste, condamné à mort en Espagne franquiste (qui sera exécuté le 2 mars suivant, dernier condamné exécuté par garrot), publie une résolution sur les flagrants délits, organise une assemblée-débat sur la réforme du divorce… tandis qu’une section se constitue à Lyon.
Le mouvement est lancé ! En novembre 1974 se tient le premier congrès à Grenoble, selon un participant : « Ce furent trois jours d’assemblée générale et de fête » !

Échanges de pratiques : commissions et colloques du SAF

Le SAF s’est fondé et développé sur les échanges de pratiques professionnelles. Il fallait « ouvrir la boîte à outils », échanger et avancer.
Droit social. En décembre 1976, la commission de droit social, animée par Paul Bouaziz, organisait le premier colloque de droit social à l’université Dauphine à Paris « Du droit de licencier au droit au maintien à l’emploi », premier d’une série ininterrompue à ce jour, réunissant avocats, syndicalistes, conseillers prud’hommaux, magistrats, formidable machine à penser et à construire !
Droit pénal. La commission pénale, animée par Philippe Vouland, est créée en décembre 1979, qui organisera les 26 et 27 avril 1980 le premier colloque de droit pénal à Marseille « La défense bâillonnée », nouvel espace essentiel d’échanges de pratiques, et de fêtes toujours en pleine activité !
Droit de la consommation, droit de la famille suivront.
Droit des étrangers. À partir de 1993, à Lille, à l’initiative de Didier Liger, qui venait de créer la commission, la mise en place du colloque de droits des étrangers sera un élément moteur dans le développement de la défense en la matière.

 

Le SAF dans les institutions de la profession

Les militants du SAF étaient souvent déjà investis dans les Ordres. Si la participation aux conseils de l’Ordre fit l’objet de quelques débats, majoritairement, cet investissement se développa.
À la suite de Ugo Iannucci et Claude Michel, d’autres, jusqu’à Catherine Glon aujourd’hui, devinrent des Bâtonniers revendiquant leur appartenance syndicale et développèrent dans leurs barreaux des pratiques en lien avec les objectifs du SAF.
Après la réforme de l’aide juridictionnelle en 1991 (sur la base des travaux de la commission Bouchet), c’est le barreau de Bobigny qui fut moteur dans l’élaboration et la mise en place des « protocoles article 91 » destinés à mieux organiser et financer les permanences pénales. D’autres barreaux, souvent à l’initiative de bâtonniers et de militants du SAF (Lille avec Jean-Louis Brochen, président du SAF en 1981 et Bâtonnier de Lille en 1992 par exemple) lui emboîtèrent le pas.
Le SAF va s’investir aussi au sein du Conseil National des Barreaux : fruit de la réforme de 1991, cette institution a enfin permis aux syndicats d’être présents au sein de l’institution représentative de la profession, alors que jusque-là cette représentation était exclusivement ordinale (barreau de Paris et Conférence des Bâtonniers). Le SAF a toujours été présent au CNB, au sein du bureau ainsi qu’à la présidence de différentes commissions, en particulier depuis 2003 et de façon ininterrompue, de la commission Libertés et droits de l’Homme.

 

Le SAF aujourd’hui et demain

La création du SAF il y a un demi-siècle répondait à un immense besoin qui perdure et s’est même considérablement amplifié au regard d’une profession marquée par deux, voire trois vitesses.
Le nombre d’avocats a été multiplié par 5 et demi (de 14 000 à 76 273). Au 1er janvier 1992 les conseils juridiques et les avocats ont fusionné.
Le pourcentage des femmes est passé de 2 à 60 %. Les carrières étaient stables alors que désormais 22 % des avocats quittent la profession avant dix années d’exercice.
Les écoles d’avocats forment maintenant plus de 4000 avocats chaque année.
Toutes évolutions qui remettent en réflexion les modes d’exercice et de financement des cabinets, la gestion de la CNBF et la prospective du CNB.
Certains contentieux ont explosé tel celui des étrangers, du droit pénal où l’avocat est désormais présent dans toute la chaîne de traitement. D’autres ont émergé comme le droit pénitentiaire, de l’hospitalisation sous contrainte, de l’environnement, lequel va considérablement croître puisqu’irrigant la totalité de la vie des personnes et des entreprises. Les mutations des moyens de communication interne à l’institution judiciaire, les effets du surgissement de l’intelligence artificielle, de la justice prédictive, de la multiplication des MARD, de la diminution des lieux d’échanges et de débats dans les palais de justice, impactent une profession en mutation et profondément affectée dans ses capacités de résistance, de lutte dans le champ des droits et des libertés, faute de moyens.
C’est dire si la vigueur et l’énergie et la créativité du SAF sont essentielles pour protéger le public et les avocats. Le SAF marche depuis toujours sur deux jambes et doit de ce fait continuer à irriguer les ordres, la conférence des Bâtonniers et le CNB de sa particularité et de sa vitalité. Cela présuppose un travail constant des commissions, du conseil syndical, des sections locales, dans une atmosphère de débats vifs et fraternels et de fêtes qui construisent les amitiés et l’avenir.
Histoire du SAF/ Espoir du SAF. On continue !

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