Désormais Henri nous oblige

PAR Simone Brunet - SAF Poitiers

La pluie d’hommages sans réserve t’a été rendue, de la une de Libération dont tu fus l’avocat dès 1973 au Figaro en passant par l’Huma le soir même de ton grand départ ce 31 août. Hommage aussi aux 20 heures de TF1 et de France 2, ainsi que sur tous les réseaux sociaux. C’est la preuve que l’intégrité et le respect de l’autre, justiciable, contradicteur, juge, est un gage d’autorité légitime de l’avocat. Tout de toi a été dit dans la presse, les tribunes et ton livre La Parole et l’action.

 

Tu n’appartiens à personne

Toi, identifié par ton seul prénom. Henri. Toi, dont l’Ordre des avocats de Paris a souhaité de ton vivant, et tant mieux, baptiser de ton nom sa salle du conseil de l’Ordre. Tu nous y avais conviés, nous tes compagnons de toujours.
Bien sûr il y avait ta voix d’une tessiture unique, ton regard vif et attentif, ton sourire, ta gigantesque culture littéraire, historique, sociologique, économique, politique, cinématographique et musicale. Et ta modestie éternelle.

 

Rien de ce qui est humain, ne t’était inconnu

Bien sûr aussi ta chaleureuse générosité, mais, le sait- on ?, ton travail acharné et ton exigence d’une compétence sans faille. Tu nous as tout donné.
D’abord au MAJ Mouvement d’action judiciaire (où tu nous avais amenés dès 1973 aux côtés d’inspecteurs et médecins du travail, de magistrats tels Louis Joinet) de Yann Choucq et Odile Dhavernas tes collaborateurs, Raymond Blet, C. et M.-C. Etelin, Christine Martineau, Hélène Masse, Didier Mast, Jean Mélou, Michel Touzet, et 5 futurs Bâtonniers de grands barreaux tels Paul Bouchet (Lyon), Jean louis Brochen (Lille), Rémy Chaine (Lyon), Tiennot Grumbach (Versailles), Marc Guillaneuf (Riom) – dont trois futurs présidents du SAF –, et moi, tous devenus piliers du SAF.
Puis au SAF, à nous jeunesse très politisée des années 68, entrée dans la profession par conviction souvent échevelée. Nous étions très jeunes à peine 22/23 ans et toi qui n’avais pas encore 40 ans, tu nous as tout enseigné sans en avoir l’air, par capillarité. Il appartient au SAF d’en rendre compte.
Que nous as-tu transmis à nous les militants du droit que nous nous devons impérativement de faire fructifier et retransmettre à notre tour ?
Travailler : Nos convictions, nos emportements ne suffisent pas. Le diplôme ne suffit pas. Le travail précis, rigoureux voire dévorant en revanche est incontournable, seule antithèse de l’intelligence dite artificielle. Connaître tout le dossier et maîtriser la procédure avant tout.
Respecter : Nous avons dans les prétoires des contradicteurs et non des ennemis. Nous nous devons d’être loyaux, accessibles au raisonnement de l’autre. C’est l’altérité. Nos ordres et les institutions sont utiles et nous devons nous y intéresser, contribuer aux débats si déterminants. N’y pas contribuer affaiblirait nos volontés d’amélioration de la Justice et du sort des personnes. Outil de résistance aux invectives et simplifications qui rongent le débat et donc la démocratie.
S’informer : Le droit, l’État de droit ne sont pas suffisants. Ils doivent être nourris d’une curiosité multiforme et permanente, sociologique, historique, philosophique, pour convaincre. Nous devons être en éveil constant. Apprendre, toujours, en synergie à chaque étape de nos apprentissages.
Donner la main : Tu avais des relations d’égal à égal avec tous, élèves avocats, débutants, confrères empêtrés dans des conflits professionnels ou des affaires complexes, tout humain rencontré. Avec le sourire et ta voix enveloppante totalement réconfortante, tu donnais la main à l’autre tout de suite. Tu prenais par la main les juges et les jurés pour les amener vers la complexité des vies qui t’étaient confiées. Loin, très loin des plaidoiries qui s’enivrent simplement de mots et d’effets de manche.
Aimer l’humanité : La vie est faite de rencontres inattendues y compris avec des clients exaspérants, entravants, lourds, parfois gravement déviants et sans remords. Avec d’autres aussi souvent écrasés par leur destin d’accidentés, d’humiliés, de discriminés, de victimes de violences de toutes sortes. Nous avons le devoir d’aller chercher l’humanité dont ils sont issus et porteurs sans le savoir parfois, de leur restituer, gage d’amendement parfois pour les délinquants, et d’imposer fermement, calmement cette part de compréhension et de vérité dans le débat judiciaire. Aussi en droit de la famille, du travail, du logement, des étrangers, des mineurs, de la discrimination, en droit rural, toutes matières que tu as pratiquées dans tes vingt-cinq premières années d’exercice. Aimer l’humain : outil capital de lutte contre la justice prédictive d’une Madame Irma qui a perdu sa boule dans la Silicone Valley au profit d’algorithmes qui produisent le nivellement de café du commerce.
Lutter, s’engager, sans jamais fléchir : je te cite lors de ton discours au centenaire de la LDH :

« Ils sont toujours là, nos vieux adversaires. Nous les connaissons bien. Ils s’appellent l’arbitraire qui menace les libertés, l’intolérance qui détruit la fraternité, le racisme qui nie l’égalité, l’individualisme qui tue le citoyen. Elle est toujours présente, la misère, cette insulte à la dignité. Et devant nous, dressés, tous les pouvoirs dont on abuse. » Conseiller et défendre est un engagement dans des bagarres souvent arides. « Chaque citoyen est comptable des libertés publiques ».

Partager : Nous devons échanger les acquis, réfléchir ensemble aux stratégies utiles, ouvrir nos pratiques aux syndicats, associations de tous genres et professionnels d’autres horizons pour renforcer notre quête de progrès pour ceux d’entre nous les plus atteints par les insupportables injustices, comme l’a toujours préconisé et fait le SAF. Pour donner de la force à nos causes mais également du grain à moudre aux magistrats plus que du pain sur la planche pour mieux bluffer et facturer. En ces temps du small is beautiful vagabond, (un avocat, un ordinateur, un smartphone, une plafetorme de réponse téléphonique, une domiciliation purement formelle), les regroupements des exercices professionnels en cabinet constituent un outil de résistance à la solitude, l’épuisement, l’assèchement, le délitement à terme de l’efficacité militante au détriment de nos existences et de nos rêves.
Vivre : Tu as tellement aimé la vie. Nous devons nous donner les moyens de vivre, et de vivre de notre profession. Tu nous en as donné l’exemple avec la construction du cabinet Ornano en 1973, dans le XVIIIe près de la Goutte d’Or ce qui n’était pas dans l’air du temps. Une ruche pluridisciplinaire d’avocats et d’avocates de tous horizons, au service du peuple, inventif, créateur d’une boutique de droit au rez-de-chaussée du cabinet donnant consultation au prix d’une visite médicale. Un lieu de débats foutraques mais permanents, qui a fait émerger des hommes talentueux et des femmes talentueuses, ce qui était bien peu courant – même si certaines le minimisent aujourd’hui, considérant que la parole leur était peu accessible dans ce monde d’hommes tribuns. Il y avait là une cantine, des bouffes, des réunions à n’en plus finir, des week-ends de réflexion avec enfants en bas âge, des éclats de rire et de colère, des engueulades sans lendemain. Vivre en commun, se soutenir et être complémentaires.
Ce fut aussi une réflexion d’avant-garde (la fusion avec les conseils juridiques devenus le barreau d’affaires n’a eu lieu qu’en 1991) sur la conception de l’honoraire, son mode de calcul qui ne pouvait être uniquement l’enrichissement incontrôlé et incontrôlable de l’avocat, sur la transparence par des conventions écrites et l’affichage. Évidemment suivie d’une construction d’un véritable accès au droit.
Nous passâmes de l’assistance judiciaire pro bono à l’aide judiciaire en 1972 puis à l’aide juridictionnelle en 1991, négociée par le SAF en contrepartie de la fusion des professions juridiques. Paul Bouchet ton, notre, ami Bâtonnier de Lyon y fut pour beaucoup, lui qui a inventé les Maisons des avocats et les consultations gratuites, devenu conseiller d’État et président des deux commissions qui portent son nom.
Ce fut un vrai combat que tu as devancé de vingt ans, la profession s’y opposant massivement de crainte que les indemnités d’AJ ne permettent à l’État de lui imposer un barème d’honoraires contraignant. L’illibéralisme a largement éloigné cette crainte. Mais les pauvres sont toujours légion, les barreaux de Bobigny, Créteil, Evry et d’autres assurent toute cette défense non rentable et le combat reste encore plus d’actualité.
Cuisiner : Tes activités bouillonnantes et nomades et le schéma de partage des tâches de ta génération – tu es né en 1934 – ne t’ont pas amené à préparer les repas quotidiens, mais tu adorais cuisiner en temps de pause. La presse l’ignore évidemment. Je ne résiste pas à l’envie de diffuser ta recette de gratin de pennes circulant déjà chez quelques safistes pour perpétuer ta joie de vivre. Gratin serait notre mot de ralliement pour progresser dans nos défenses.
Nous voilà bien loin des qualificatifs publiés : le vieux lion, le Churchill des avocats, le dernier des Mohicans, le ténor, la rock star, la légende du barreau, le géant, la mascotte ( ?), le monstre sacré… Alors que tu n’as été ni bâtonnier, ni garde des Sceaux, tu dois en être sidéré.

Un maître pour frère. Nous, nous avons eu pour maître un frère et quel frère ! Un incubateur de vocations. Non pas un homme du monde d’avant, au contraire, un homme du futur. Nous t’avons toujours cru immortel. Pas avec un bicorne et une épée, non, avec un sourire à fossettes et une voix qui ne disparaîtra jamais puisque maintenant que tu nous as élevés, tu seras partout où nous serons et ce à perpétuité. Quel héritage !

 

Gratin de penne

Pour 6 personnes : 350 g de gros pennes – 75 cl. de crème fraîche liquide – 30 cl de lait – 150 gr. de gruyère râpé . Règle de 3 pour les quantités. À préparer la veille.

  • Faire blanchir les pennes 4 minutes. Les refroidir.
  • Mélanger le lait, la crème et 100 gr de gruyère râpé (dissous dans un peu de lait précédemment chauffé). Bien remuer. Mettre les pennes et laisser au frigo entre 12 et 16 h. On peut ajouter 100 g de gruyère râpé. On doit remuer une ou deux fois car les pâtes pourraient un peu coller, le liquide restant au fond. À la fin les pennes ont absorbé le lait et la crème.
  • Étaler dans un plat à gratin et recouvrir de 50 g de râpé. Mettre au four plutôt vers le haut à 220° et surveiller pour que la croûte ne grille pas trop. Pendant 20 minutes à une ½ h (croûte un peu dorée)

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