PUBLIÉ LE 20 novembre 2021

Des associations sont dissoutes par le gouvernement au motif absurde que dénoncer une injustice ce serait justifier rétrospectivement – ou se rendre complice par avance – des actes violents, voire des actes de terrorisme, que d’autres ont commis ou commettront peut-être un jour en invoquant cette même injustice.

« Sous couvert de dénoncer des actes d’islamophobie  », lit-on en effet dans le décret de dissolution de la Coordination contre le racisme et l’islamophobie, cette association « distille[rait] un message incitant à percevoir les institutions françaises comme islamophobes, alimentant ainsi un soupçon permanent de persécution religieuse de nature à attiser la haine, la violence ou la discrimination envers les non-musulmans  ». Faut-il souligner que l’accusation d’incitation à la discrimination envers un groupe indistinct qui serait constitué des « non musulmans » relève du non-sens ?

Comme dans le cas du CCIF, le décret retient aussi à charge des propos tenus par des tiers sur les réseaux sociaux concernant, par exemple, le grief d’incitation à la violence contre les forces de l’ordre. Cela suffit, aux yeux du ministre de l’intérieur, à caractériser une « stratégie  » de l’association qui consisterait à susciter ces commentaires et à les maintenir ensuite « volontairement  » en ligne. De même ce sont les commentaires hostiles à la politique israélienne – qualifiés de discours « antisioniste  » – qui « appelle[raient] des messages à teneur antisémite  ». Le procès d’intention s’accompagne ici de l’amalgame volontairement distillé entre la critique d’Israël, l’antisionisme et l’antisémitisme.

En somme, une addition de présupposés, d’hypothèses et de supputations permet d’affirmer qu’une association « doit être regardée comme cautionnant  » des propos provoquant à la violence ou à la discrimination et que cette prétendue caution suffit elle-même à caractériser des « agissements  » de provocation à la violence ou à la discrimination, seuls susceptibles de justifier une dissolution.

Le silence qui accompagne l’enchaînement de ces mesures de dissolution est alarmant. D’abord parce qu’il peut être perçu comme un assentiment tacite et ouvrir la voie à d’autres décisions analogues, désormais facilitées par la loi « confortant le respect des principes de la République » promulguée le 24 août 2021. Ensuite parce qu’il conforte le soupçon d’illégitimité que le gouvernement fait peser sur les combats menés, sur le terrain du droit, contre les discriminations subies par des personnes musulmanes ou considérées comme telles. Ce silence, c’est en somme une façon d’accepter l’invisibilisation des discriminations et des injustices, d’accepter que des milliers de personnes soient laissées sans soutien, isolées, niées dans l’humiliation éprouvée ou le déni de leurs droits.

Se taire face à ces dissolutions et aux faux semblants de leur motivation, c’est ne pas voir que, demain, la défense d’autres causes pourra subir le même ostracisme et la même sanction. Ici, c’est le concept d’islamophobie dont on comprend qu’il devrait être banni. Mais ne nous dit- on pas aussi qu’il serait abusif, voire diffamatoire, de parler de « violences policières » ? Nous reprochera-t-on demain de dénoncer la xénophobie à l’œuvre dans les politiques migratoires au motif que c’est faire insulte à ceux qui nous gouvernent et – qui sait ? – susciter dans la population immigrée la haine de la France et des Français ? De même encore, faudra-t-il proscrire l’expression « délit de solidarité », sous prétexte que l’aide aux migrant·es est censée ne plus faire l’objet de poursuites ? N’a-t-on pas reproché aux mouvements anticoloniaux d’encourager des sentiments de révolte inadmissibles ? Et que dire de concepts comme le genre, l’intersectionnalité ou le racialisme, dont l’usage est décrié sous prétexte qu’il ouvrirait la voie au « séparatisme » et au « communautarisme » ?

Pour garantir leur survie, les associations devront-elles éviter les termes qui sentent le soufre, mettre leurs analyses sous le boisseau, s’interdire certaines modalités d’action ?

Nous, associations et syndicats, rappelons qu’il nous appartient – et à nous seuls – de décider si nous voulons, ou non, dénoncer et combattre, parmi d’autres discriminations et stigmatisations, cette injustice particulière nommée islamophobie.

Nous déclarons que nous continuerons à choisir librement l’objet de nos combats ainsi que les termes que nous considérons pertinents pour analyser l’état de la société et critiquer les politiques comme les pratiques des pouvoirs publics.

Nous revendiquons le plein exercice de la liberté d’opinion, qui inclut la libre contradiction et exclut toute police des idées.

Nous entendons, tout simplement, que soit respectée la liberté d’association.

Signataires au 17-11

ACDA – Agir pour le changement et la démocratie en Algérie ACORT – Assemblée citoyenne des originaires de Turquie ADM – Action droits des musulmans
ADTF – Association démocratique des Tunisiens en France AFPS – Association France Palestine Solidarité

ATTAC
L’Auberge des Migrants
Cedetim – Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale
CRID – Collectif d’organisations de solidarité internationale et de mobilisation citoyenne CRLDHT-Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie) DAL – Droit au logement
Fondation Copernic
Fasti – Fédération des Associations de solidarité avec tou·tes les immigré·es
Femmes Égalité
FTCR – Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives
Gisti – Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s
Fédération nationale de la Libre pensée
La Quadrature du Net
LdH – Ligue des droits de l’Homme
Memorial 98
Le Paria
SAF – Syndicat des avocats de France
SM – Syndicat de la magistrature
Tendance syndicale Émancipation
Tous migrants
UJFP – Union juive française pour la paix
Union syndicale solidaires
UTAC – Union des Tunisiens pour l’Action Citoyenne
VoxPublic

 

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