PUBLIÉ LE 23 octobre 2023

Le projet de loi d’orientation et de programmation de la justice a été définitivement adopté par les deux assemblées. Si le Gouvernement présente les textes déposés devant le Sénat comme la traduction législative des conclusions des États généraux, ils en sont davantage une suite chronologique qu’intellectuelle.

Si on ne peut que saluer l’indispensable accroissement du budget ainsi que l’amélioration des services numériques, cette énième loi «  fourre-tout  »,

  • S’inscrit sur le plan pénal dans une logique purement répressive ;
  • Crée par un cavalier législatif une confidentialité des avis des juristes d’entreprise ;
  • Supprime le contrôle judiciaire préalable sur les saisies rémunérations ;
  • Transfère à titre expérimental pour une durée de quatre ans les procédures de prévention et de traitement des activités économiques des Tribunaux Judiciaires vers les Tribunaux de Commerce en créant, au passage, une contribution pour la justice économique ;
  • Modifie une nouvelle fois le Code de la Justice Pénale des Mineurs entré en vigueur le 30/09/2021.

En outre, le SAF avait présenté des observations complètes aux parlementaires venant alerter sur différents sujets contenus dans le rapport annexé, notamment quant à la politique de l’amiable, la réforme de la procédure d’appel, la césure du procès ou l’équipe autour du magistrat[1].

 

Sur le plan pénal,

Que penser, que dire, face à l’engagement de construire 15 000 à 18 000 places de prison supplémentaires ? Ceci constitue la seule réponse de l’exécutif face à ce mal français qu’est la surpopulation carcérale alors que l’histoire et l’expérience montrent que cette solution, qui est la plus facile intellectuellement, n’en est pas une.

Il est en effet démontré que plus on agrandit le parc pénitentiaire, plus il se remplit, jusqu’à un nouveau point de rupture…

Que penser, que dire, face à cette nouvelle disposition qui permettra aux enquêteurs d’activer à distance un appareil connecté (téléphone portable, ordinateur…), sa caméra et son micro pour géolocaliser en temps réel ou procéder à des écoutes de personnes dans certaines enquêtes (pour crimes ou délits punis d’au moins cinq ans de prison ou pour terrorisme ou crime organisé comme la traite des êtres humains) ? Il s’agit tout simplement d’une nouvelle atteinte inacceptable au principe du respect de la vie privée.

 

Sur le legal privilege,

la loi, par un cavalier législatif, crée une confidentialité des avis des juristes d’entreprise, visant tout à la fois à soustraire des documents du débat public en bâillonnant les lanceurs d’alerte et privant les justiciables des éléments nécessaires à leur défense.

L’interdiction faite au juge de prendre en compte ces documents et, a fortiori, d’en ordonner la communication, porte une atteinte d’une particulière gravité à l’état de droit.

La suppression du contrôle judiciaire préalable sur les saisies rémunérations, porte une atteinte grave aux droits des justiciables lourdement endettés.

Les audiences concernant les saisies rémunérations font la démonstration quotidienne de la grande précarité dans laquelle sont nombres de justiciables.

Elles permettent d’éviter des prélèvements indus, allant au-delà de quotité saisissable (une part des revenus correspondant au minimum vital ne peut être saisie) et parfois de trouver des solutions alternatives par la mise en place des échéanciers.

Pour autant, en dépit de cette fonction sociale essentielle, le texte adopté supprime tout contrôle préalable du juge, laissant aux seuls commissaires de justice le soin d’y procéder seul.

Cette modification législative va ainsi avoir des conséquences particulièrement lourdes sur les plus précaires, que l’amoncellement de difficultés détournera de la saisine (non suspensive) d’un juge, en cas d’irrégularité.

 

Sur le plan de la justice économique,

la loi prévoit, à titre expérimental pour une durée de 4 ans, de transférer des tribunaux judiciaires vers les tribunaux de commerce, rebaptisés tribunaux des activités économiques (TAE), toutes les procédures de prévention et traitement des difficultés économiques, à l’exception des professions juridiques règlementées, des syndicats professionnels, des associations reconnues d’utilité publique et des associations cultuelles.

Cette extension des compétences des tribunaux de commerce aux activités non commerciales, prétendument dictée par un impératif de lisibilité et d’efficacité, est non seulement inutile mais dangereuse pour les justiciables concernés, au rang desquels figurent notamment les agriculteurs.

Les juges consulaires, composant le TAE, sont des commerçants ou artisans ; ils n’ont aucune connaissance de l’activité et du milieu agricoles et ne connaissent pas les spécificités juridiques des procédures collectives agricoles.

Pour répondre à cette critique, le texte a instauré que le TAE pourra comprendre, en qualité d’assesseur, un exploitant agricole.

Si cette présence peut amener au tribunal une certaine connaissance du milieu agricole, elle constitue un véritable danger. Dans un contexte de concurrence foncière âpre, d’opposition entre modèles économiques agricoles, on ne peut que s’inquiéter des risques de conflits d’intérêt et d’absence d’impartialité du juge consulaire, agriculteur dans le même département choisi par la chambre d’agriculture.

A titre expérimental, la loi crée une contribution pour la justice économique, à la charge du demandeur.

Le SAF est hostile, par principe, à la remise en cause de la gratuité de la justice, mission régalienne, consubstantielle à l’état de droit. L’instauration d’une taxe constitue un obstacle à l’accès au juge, accentuant encore le déséquilibre de certaines relations contractuelles.

L’état de droit n’a jamais rien à gagner à limiter l’accès à la justice.

  

La justice des mineurs est de nouveau réformée,

la loi venant apporter des modifications au Code de la Justice Pénale des Mineurs, pourtant entré en vigueur le 30 septembre 2021, et ce pour la 3ème fois…

Ceci démontre à nouveau l’échec de la voie initialement choisie pour sa promulgation (par voie d’ordonnance) par le gouvernement, sans concertation suffisante des professionnels.

Le SAF demande que soit lancé un processus de discussion nationale au niveau législatif, pour réfléchir, avec tous les professionnels concernés, à l’élaboration d’un code de l’enfance, incluant le pénal et le civil.

 

 

 

A Paris, le 23 octobre 2023.

[1]      https ://lesaf.org/wp-content/uploads/2023/05/Note-PJ-Justice-et-LO-.pdf

 

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