Le Syndicat des avocats de France s’associe aux protestations des associations de victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles contre le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2024 qui, en son article 39, propose d’anéantir l’avancée trop longtemps attendue et très récemment obtenue de la cour de cassation, quitte à sacrifier, une fois de plus, les victimes d’accidents causés par la faute inexcusable de leur employeur.
Par deux arrêts rendus le 20 janvier 2023 (n° 20-23673 et 21-23947), l’assemblée plénière de la cour de cassation a corrigé les errances de la 2ème chambre civile et opportunément considéré que la rente prévue par le code de la sécurité sociale et versée aux victimes de maladies professionnelles et d’accidents du travail en considération de leur salaire de référence, avait pour seul objet d’indemniser l’incidence professionnelle et la perte de gains, mais ne pouvait en revanche comprendre l’indemnisation de leur déficit fonctionnel permanent (lequel s’entend des atteintes aux fonctions physiologiques, de la perte de qualité de vie et des troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence personnelles, familiales et sociales).
L’assemblée plénière s’est, ce faisant, simplement alignée sur l’analyse que faisait le conseil d’Etat en matière de réparation des dommages subis par les agents publics victimes d’un accident de service ou d’une maladie professionnelle depuis 20 ans et son arrêt « Moya-Caville » du 4 juillet 2003.
Ce nécessaire alignement permet aux salariés victimes d’ATMP d’obtenir une véritable avancée dans leurs droits à indemnisation en les autorisant désormais à « obtenir une réparation complémentaire pour les souffrances physiques et morales endurées après consolidation », ainsi que le précisait la cour de cassation dans son communiqué de presse du 20 janvier 2023, de nature à réduire un peu le scandaleux désavantage dont elles souffrent par rapport aux victimes d’accidents de droit commun.
Il est dans ces conditions aussi fâcheux qu’inexplicable que des organisations syndicales salariales se soient laissées convaincre de signer l’accord national interprofessionnel du 15 mai 2023, qui prétend « réaffirmer un consensus social » et « améliorer la réparation » des victimes d’ATMP sans évoquer les conséquences pour les premiers concernés à savoir les victimes
Cet accord sert de prétexte au PLFSS qui voudrait restituer à la rente AT, une double fonction indemnitaire englobant désormais sans contestation possible le déficit fonctionnel permanent et anéantissant ainsi l’apport de l’assemblée plénière de la cour de cassation. La loi est utilisée pour anéantir les avancées jurisprudentielles et ce en défaveur des victimes de la faute inexcusable de leur employeur
Le projet de loi laisse en outre au gouvernement le soin de déterminer les modalités précises selon lesquelles la rente ATMP serait calculée sur ses deux aspects, l’un patrimonial dont il n’est nullement garanti qu’il serait au moins équivalent aux modalités actuelles, et l’autre fonctionnel.
Ainsi et contre une éventuelle majoration mineure du montant de la rente servie, les victimes ne seraient à nouveau plus recevables à obtenir une indemnisation complémentaire de leur déficit fonctionnel permanent.
« Le compromis historique » de 1898 a tourné à la compromission. Ce régime d’indemnisation inique pour les salariés victimes doit être intégralement revu pour permettre une véritable indemnisation de l’ensemble des préjudices résultant pour elles de leur activité au bénéfice de leur employeur.
Les tardifs acquis jurisprudentiels ne doivent pas être anéantis et l’article 39 du PLFSS 2024 doit être supprimé et au contraire remplacé par la proposition de la cour de cassation, dans son rapport annuel pour 2022 (page 52) dans le but d’indemniser réellement les victimes et de fixer les niveaux d’intervention entre la solidarité (La CPAM) et la responsabilité des employeurs.
Les équilibres financiers de la CPAM ne peuvent servir d’alibi à la diminution des responsabilités des entreprises et encore moins à la double peine pour les victimes.
Note de bas de page :
Dans son rapport annuel, la cour de cassation, après avoir rappelé que depuis 2010, elle suggère une modification des dispositions de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale « dès lors que celles-ci, telles qu’interprétées par le Conseil constitutionnel, ne permettent pas une indemnisation intégrale des victimes d’accidents du travail dus à la faute inexcusable de leur employeur et que les normes européennes ne peuvent pas davantage être sollicitées à cette fin » et que « depuis 2013 se rapports ont exposé combien l’évolution de l’indemnisation des victimes d’accidents du travail liés à une faute inexcusable de l’employeur témoigne de l’acuité du sujet et de l’intérêt de maintenir la proposition précédemment développée », dit qu’elle « maintient donc sa proposition au moyen d’une formulation qu’elle souhaite dénuée de toute ambiguïté sur le caractère intégral de la réparation et propose la modification suivante de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale :
« Article unique
I. — Les dispositions du premier alinéa de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale sont abrogées et remplacées par les dispositions suivantes :
« Indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation de l’ensemble des préjudices qui ne sont pas indemnisés pour l’intégralité de leur montant par les prestations, majorations et indemnités prévues par le présent livre. »
II.— La branche accidents du travail du régime général et celle du régime des salariés agricoles supportent définitivement, chacune en ce qui la concerne, la charge imputable à la modification de l’étendue de la réparation, résultant du I du présent article, des accidents du travail survenus et des maladies professionnelles constatées antérieurement à la publication de la présente loi. »