« Il est trop facile pour un étranger de faire venir sa famille dans le cadre du regroupement familial. »
- C’est faux
Dans un passé encore récent (22 juin 2018), les sénateurs tentaient, dans le cadre de l’examen du projet de loi « Asile – Immigration », d’allonger par voie d’amendement de 18 à 24 mois la durée de résidence en France nécessaire pour qu’un étranger puisse bénéficier du regroupement familial.
Le député Sébastien MEURANT (LR) proposait même de fixer la durée minimale de résidence en France à 5 ans.
En réalité, une telle durée serait contraire au droit de l’Union, et plus particulièrement à la Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, qui fixe une durée maximale de 24 mois.
La France, loin d’être « laxiste » en la matière – pour autant que l’on considère qu’empêcher un étranger vivant régulièrement en France et y travaillant de faire venir sa famille pourrait caractériser un quelconque « laxisme » de l’Etat -, a donc choisi la limite haute que lui accordait le droit européen s’agissant de la durée de séjour nécessaire pour obtenir une autorisation de regroupement familial : 18 mois de séjour régulier minimum (art. L. 434-2 du CESEDA), plus six mois de procédure (art. R. 434-26 du CESEDA) – Voir article.
Mais surtout, dans les faits, les délais globaux sont extraordinairement plus longs.
Tout d’abord, dès lors que l’étranger doit justifier de 18 mois de séjour régulier, mais aussi de ressources stables et suffisantes sur une période de 12 mois précédant la demande, bien souvent il ne pourra pas la déposer dès qu’il a atteint ses 18 mois de séjour régulier, par exemple s’il a rencontré des difficultés dans ses recherches d’emploi. Il lui faudra patiemment attendre d’avoir ses 12 fiches de paye (et plus que le SMIC) pour déposer sa demande.
Ensuite, il faut prendre en compte les délais invraisemblables qu’imposent actuellement l’immense majorité des préfectures au traitement des demandes. Bien loin des six mois d’instruction fixés par le CESEDA, les préfectures mettent souvent plus d’un an à statuer sur les demandes de regroupement familial dont elles sont saisies. Les délais peuvent même aller jusqu’à deux ans ou deux ans et demi, comme dans le Rhône. Voir article
Enfin, une fois que l’étranger a enfin obtenu son autorisation de regroupement familial, il faut compter de nombreuses semaines, voire plusieurs mois, et, dans quelques cas, plusieurs années (par exemple en Afghanistan, au Bangladesh) avant que la famille à l’étranger ne se voit délivrer le visa de long séjour qui lui permettra d’arriver régulièrement sur le sol français.
La bataille pour faire venir sa famille est si rude et coûteuse que bon nombre d’étrangers confient qu’ils ne seraient pas venus s’installer en France s’ils avaient su qu’ils devraient affronter un tel parcours du combattant.
Ainsi, loin des discours démagogiques selon lesquels, pour un étranger vivant en France, obtenir le regroupement familial constituerait une simple formalité, faire venir sa famille est toujours aussi compliqué pour un étranger vivant en France.
Pire, la situation s’est même dégradée depuis que notre pays a été condamné par la CEDH, par trois arrêts retentissants par lesquels la Cour a rappelé à la France qu’elle devait traiter les demandes de regroupement familial avec « souplesse, célérité et effectivité » (CEDH, 10 juillet 2014, Mugenzi c. France, n°52701/09 ; CEDH, 10 juillet 2014, Tanda-Muzinga c. France, n°2260/10 ; CEDH, 10 juillet 2014, Senigo Longue et autres c. France, n°19113/09).