PUBLIÉ LE 26 juin 2015

La Cour de cassation vient de rendre le 17 juin 2015 un arrêt d’une particulière importance pour l’ensemble de la profession d’avocat, dans la mesure où elle confirme que les conseils de l’ordre peuvent faire financer par l’ensemble des avocats du barreau des œuvres sociales de solidarité pour certains avocats, dès lors qu’elles sont justifiées et non disproportionnées.

Le Conseil de l’Ordre du Barreau de Rouen avait décidé de mettre en place une assurance perte de collaboration financée par les cotisations de l’ensemble des avocats du barreau. Cette décision avait été attaquée par des avocats arguant de l’incompétence de l’Ordre. La Cour d’appel de Rouen leur avait donné raison, aux motifs qu’aucune charge non rendue obligatoire par la loi ou par la réglementation de la profession ne pouvait être imposée à l’avocat libéral.

La Cour de cassation casse cet arrêt rappelant « que le conseil de l’ordre d’un barreau peut, sans excéder ses pouvoirs, décider de souscrire une assurance collective « perte de collaboration » financée par l’ordre au titre des œuvres sociales, s’agissant d’une mesure de solidarité qui ne porte pas atteinte au principe d’égalité, dès lors qu’elle est justifiée par les conditions particulières d’exercice de la profession d’avocat qu’impose le statut de collaborateur et qu’elle n’est pas disproportionnée au regard des objectifs poursuivis ».

Rappelons dans ce dossier que :

  • Le SAF avait défendu l’idée d’une assurance perte de collaboration collective permettant d’assurer une solidarité au sein de la profession, au même titre que la prévoyance en matière d’accident ou de maladie ;

  • Le conseil de l’Ordre du Barreau de Rouen, dont le bâtonnier était adhérent du SAF, avait été le seul à choisir une option collective quand l’ensemble des autres barreaux qui avait mis en place une telle prestation optait pour une assurance individuelle, assumée par le seul collaborateur ;

  • Le SAF a été le seul syndicat, la seule organisation de la profession à intervenir volontairement ; il regrette en particulier que le CNB n’ait pas cru bon de s’associer à une procédure à l’occasion de laquelle le principe même de la prévoyance collective de l’ensemble des avocats était menacé.

Dans un contexte d’accroissement des difficultés économiques d’exercice de la profession et de précarisation, le SAF soutient une vision de solidarité entre avocats qui permet de passer les moments difficiles. Les cotisations des avocats doivent servir à financer cette prévoyance, quitte à modifier les priorités budgétaires des Ordres. Cette vision, portée lors de l’élection au CNB, est mise en œuvre par les élus du SAF lorsqu’ils sont en responsabilité, dans les Ordres ou à la CNBF en matière de retraite. Elle est défendue devant les tribunaux lorsqu’elle est remise en cause.

Rappel des faits et contenu de la décision

En juin 2012, la Conférence des bâtonniers avait négocié auprès de la Société de courtage des barreaux un produit d’assurance perte de collaboration qui permettait aux ordres de souscrire à cette assurance en la forme d’une prévoyance collective. A défaut de choisir cette option collective, les Ordres pouvaient opter pour une formule permettant aux collaborateurs de souscrire individuellement à une telle assurance.

Le SAF avait appelé les Ordres à souscrire à la forme collective de cette assurance, permettant une meilleure répartition du risque entre les avocats, d’en réduire le coût et de permettre l’amélioration des conditions d’exercice de l’ensemble des collaborateurs.

Le Barreau de Rouen a souhaité instaurer une assurance collective de perte de collaboration dont le coût était limité à 1,86 € par mois et par avocat, destinée à indemniser temporairement les avocats collaborateurs libéraux en cas de rupture de leur contrat (auquel il peut être mis fin à tout moment, sans motif et sous la seule réserve d’un délai de carence) par le versement d’une somme de 2 000 euros par mois pendant quatre mois à l’issue d’un délai de carence de 30 jours après l’expiration du préavis.

Par délibérations des 13 novembre 2012 et 11 juin 2013, le conseil de l’Ordre a adopté le principe de cette assurance, souscrite auprès de la Société de Courtage des Barreaux, et en a imputé le montant sur le budget consacré aux œuvres sociales.

Toutefois, deux avocats ont formé un recours contre ces délibérations, en soutenant que cette assurance collective était contraire au caractère libéral et indépendant de la profession d’avocat en imposant à tous les avocats de participer, par leurs cotisations ordinales, au financement d’une assurance non imposée par la loi, de nature à risquer d’engendrer une confusion entre collaborateurs salariés et libéraux.

Par arrêt du 19 mars 2014, la Cour d’appel de Rouen a considéré qu’aucune charge non rendue obligatoire par la loi ou par la réglementation de la profession ne peut être imposée à l’avocat libéral, les collaborateurs libéraux disposant de la même indépendance, en l’absence de tout lien de subordination, et que le choix d’imposer à tous les avocats du barreau de Rouen de participer par leurs cotisations au financement d’une assurance non légalement obligatoire, en collectivisant le risque lié à la perte de collaboration, inhérent au statut libéral du statut d’avocat collaborateur, est de nature à contredire le caractère indépendant et libéral de la profession.

La Cour a également estimé que l’octroi de cet avantage aux avocats collaborateurs, alors que les autres avocats libéraux exerçant à titre individuel ou en qualité d’avocats associés, n’en disposent pas, introduit une rupture d’égalité dans l’exercice de la profession.

Elle a donc annulé les délibérations litigieuses.

Saisi par l’Ordre des avocats au barreau de Rouen, soutenu par le Syndicat des Avocats de France, la Cour de cassation vient, par un important arrêt du 17 juin 2015, de casser sans renvoi l’arrêt du 19 mars 2014.

Elle rappelle « que le conseil de l’ordre d’un barreau peut, sans excéder ses pouvoirs, décider de souscrire une assurance collective « perte de collaboration » financée par l’ordre au titre des œuvres sociales, s’agissant d’une mesure de solidarité qui ne porte pas atteinte au principe d’égalité, dès lors qu’elle est justifiée par les conditions particulières d’exercice de la profession d’avocat qu’impose le statut de collaborateur et qu’elle n’est pas disproportionnée au regard des objectifs poursuivis ».

Et elle considère qu’en retenant que le choix de soumettre tous les avocats du barreau à l’obligation de participer au financement d’une assurance, en collectivisant le risque lié à la perte de collaboration, est de nature à porter atteinte au caractère libéral et indépendant de la profession d’avocat et introduit une rupture d’égalité entre ceux-ci, la Cour d’appel a violé les textes et le principe susvisé.

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