PUBLIÉ LE 6 décembre 2021

Depuis quinze jours, les professionnels de justice se font entendre et dénoncent les conditions indignes dans lesquelles ils exercent leurs missions.

Indignes car il en va de leur santé, indignes car elles compromettent le rôle de l’institution judiciaire.

Les décisions rendues au nom du peuple français interviennent après un processus judiciaire insatisfaisant pour le justiciable : une justice à la fois chronométrée, trop lente pour répondre aux besoins et parfois sans effets réels, faute de fonctionnaires de greffe pour notifier les décisions, et faute d’éducateurs et de personnels suffisants dans les services publics pour en assurer le suivi.

La tribune publiée le 24 novembre, est aujourd’hui signée par plus de 5200 magistrats, 1200 greffiers et 500 magistrats actuellement en forma2on.

Magistrats et fonctionnaires de greffe des juridictions adoptent chaque jour des motions en assemblées générales pour dénoncer cette situation.

Cette expression a été soutenue par les organisations syndicales de fonctionnaires de greffe et de magistrats puis par les chefs de juridiction, par la conférence des directeurs de greffe, les associations professionnelles de magistrats, regroupant les magistrats instructeurs, les juges des enfants et juges aux affaires familiales, les juges des contentieux de la protection, les juges de l’application des peines, les magistrats et greffiers de l’exécution des peines et les jeunes magistrats.

Les organisations professionnelles et syndicales d’avocats, qui ont également apporté leur soutien dressent le même constat : l’état actuel de la justice ne leur permet pas non plus d’exercer convenablement leurs missions de défense et d’accompagnement des justiciables dans l’exercice de leurs droits. De nombreux barreaux ont voté des motions appuyant ce triste état des lieux, et une pétition a été signée par plus de 3000 avocats.

Les organisations syndicales de magistrats administratifs ont immédiatement fait part de leur soutien, de même que la Ligue des droits de l’homme, qui constate dans son exercice de défense des droits à quel point la justice est rendue dans des conditions dégradées.

Cette expression unanime doit se traduire par des changements concrets :

– le recrutement de magistrats et de fonctionnaires de greffe qui doit correspondre aux besoins, les annonces du ministre étant loin du « bon chiffre » alors que la solution consistant à recruter des personnels précaires, pour la plupart non formés et dont le statut ne garantit pas l’indépendance, ouvre la voie à une privatisation de l’ins2tu2on régalienne, aboutissant à placer les personnels en concurrence. Dans le même temps, la revalorisation du statut des personnels de greffe se fait attendre. Cette évolution n’est pas sans évoquer les transformations déjà mises en oeuvre dans les secteurs de l’hôpital public ou de l’éducation.

– une place de la défense digne, qui ne doit pas être atteinte par la course déshumanisante à la rentabilité, notamment en augmentant le budget alloué à l’aide juridictionnelle qui place aujourd’hui la France largement en dessous de la moyenne européenne.

– la suspension des modifications incessantes des règles de procédure sans que soient pris en compte les propres diagnostics des professionnels sur les effets qu’elles produisent, et sans leur laisser le temps de s’adapter, réformes dont l’unique intérêt est encore de réduire les flux, tout en engendrant en réalité un travail supplémentaire.

Les chiffres sont têtus : en France, pour 100.000 habitants, on compte 3 procureurs, 11 juges et 34,1 « personnels non juge », incluant les fonctionnaires de greffe, alors que la médiane européenne se situe à 11 procureurs, 18 juges et 60,9 « personnels non juge ».

Aucune réforme, aucune directive de politique pénale pointant telle ou telle nouvelle priorité, aucune réflexion de fond sur la justice ne saurait porter ses fruits sans une remise à niveau qui doit se traduire par deux engagements immédiats du garde des Sceaux :

– l’élaboration d’outils de mesure des besoins en nombre de magistrats et greffiers, dont la nécessité est pointée depuis 2018 par la Cour des comptes, pour rendre la justice non pas de manière dégradée, en travaillant soirs, week-end et congés, mais pour que nos missions soient exercées conformément à ce que les citoyens sont en droit d’attendre de la Justice, et sans porter atteinte à la santé des personnels.

– la présentation immédiate d’une loi de programmation pour les 10 prochaines années comportant des recrutements massifs de magistrats et fonctionnaires de greffe pour se rapprocher des chiffres de nos voisins européens comparables, en attendant de déterminer précisément quel est « le bon chiffre » au moyen des référentiels qui auront – enfin – été finalisés.

Pour montrer notre détermination commune à obtenir enfin les moyens propres à ce que la justice soit rendue dignement, nous appelons l’ensemble des magistrats à renvoyer toutes les audiences le 15 décembre prochain, et l’ensemble des professionnels de justice, avocats, fonctionnaires de greffe, contractuels, magistrats à participer à des rassemblements aux sièges des cours d’appel de leur ressort aux horaires qu’ils détermineront.

A Paris, le rassemblement aura lieu devant le ministère de l’économie et des finances à midi : ce lieu marquera symboliquement le fait que la problématique des moyens est totalement évacuée tant du discours ministériel que des Etats généraux de la Justice alors qu’elle est la première préoccupation de tous.

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