PUBLIÉ LE 23 février 2022

Manifeste pour un service public plus humain et ouvert à ses administré.es

Nous, associations de défense des droits humains et organisations agissant en solidarité avec les personnes, françaises ou étrangères, en situation de grande précarité, tirons la sonnette d’alarme quant à certains impacts négatifs de la dématérialisation des services publics sur l’accès aux droits.

Le numérique occupe une place croissante pour l’accès au service public dans des domaines divers allant de la fiscalité à la protection sociale, en passant par les documents d’identité ou les titres de séjour.

Or, si la dématérialisation des démarches administratives peut simplifier les démarches pour de nombreuses personnes, elle peut aussi être une source majeure d’entrave à l’accès aux droits pour d’autres.

Ses effets délétères sont connus et très documentés par nos organisations, mais également par le Défenseur des droits dont le rapport “Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics” soulignait en janvier 2019 le “risque de recul de l’accès aux droits et d’exclusion pour nombre” d’usagers et usagères.

C’est précisément, aujourd’hui, le constat fait sur le terrain par nos différentes organisations.

Des administrations de plus en plus fermées au public

La dématérialisation des services publics entraîne fréquemment, et plus que jamais depuis le début de la crise sanitaire, la fermeture des points d’accueil du public : démarches à effectuer en ligne, rendez-vous à obtenir via le site Internet, etc.

Ces choix politiques ignorent la fracture numérique dont sont victimes les personnes ne disposant pas de matériel informatique, de connexion adéquate, de possibilité de scanner des documents, ou des compétences techniques. Ce sont les personnes vivant une grande précarité, allophones, âgées, en situation de handicap ou en situation d’illettrisme (4 millions de personnes en France d’après une enquête Insee de 2011), qui se trouvent entravées dans l’accès aux droits.

L’aggravation de la précarité est, en France, l’une des nombreuses conséquences de la crise sanitaire et appelle, pour les personnes qui en sont victimes, un accompagnement renforcé par les pouvoirs publics.

Mais c’est l’inverse qui se produit : la fermeture de trop nombreuses administrations pendant le confinement du printemps 2020 a conduit à l’explosion de la dématérialisation, sans considération sérieuse pour l’impact pour les personnes en précarité.

Encore aujourd’hui, la situation sanitaire sert trop souvent à justifier la fermeture au public des portes des administrations, alors que l’objectif de l’entière dématérialisation des services publics préexistait à la crise sanitaire.  L’administration s’éloigne ainsi du public et d’abord de celles et ceux qui en ont le plus besoin : défaut d’alternative physique, absence de dialogue, d’accompagnement et de conseil, interface web complexe ou incomplète, absence de recours dès lors que les démarches en ligne ne peuvent aboutir.

L’invisibilisation du manque de moyens de l’administration

L’ineffectivité de certains services publics dématérialisés entrave l’accès au service public et donc aux droits, y compris pour les personnes tout à fait à l’aise avec le numérique, le plus souvent du fait de l’insuffisance des moyens humains dédiés aux administrations ou des choix d’affectation de ces moyens.

Derrière la modernisation du service public se dissimulent aussi des suppressions de postes ou encore le développement de la privatisation et de la sous-traitance des services, dégradant les conditions de travail de leurs employé·es.

Les usagers et usagères du service public font les frais de ces dégradations, qu’il s’agisse d’accéder aux prestations familiales, à une couverture maladie ou à un titre de séjour.

Dans les préfectures et plus récemment dans les caisses d’assurance maladie ou d’allocations familiales, les personnes sont souvent contraintes d’obtenir un rendez-vous en ligne, via des sites Internet ou des plateformes téléphoniques ne proposant en réalité aucun créneau ou bien en nombre très limité et à des dates très éloignées.

Et comme le souligne un récent rapport de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, les moyens des services “étrangers” des préfectures n’ont pas augmenté à la hauteur des besoins du public au cours des dernières années et ne sont pas affectés en priorité à l’accueil des demandeurs et demandeuses de titre de séjour.

Pour les administrations, la dématérialisation des démarches représente l’opportunité de faire disparaître les files d’attente et de limiter la présence du public dans leurs locaux, évitant ainsi également des situations de tension entre les usager·es et les employé·es.

Mais l’attente est rendue invisible et aucun indicateur ne permet aujourd’hui de mesurer sa durée et l’ampleur des personnes touchées.

Les missions de service public reportées sur le secteur social et associatif

Tandis que des services publics ferment leurs portes, le développement de points d’accueil numérique, comme les bornes numériques ou les Maisons France Service, ne permet pas à lui seul de répondre aux besoins de toutes les personnes bloquées dans leurs démarches.

Le développement du numérique se substitue à l’accueil physique alors qu’il nécessite lui-même un accompagnement humain. Les personnes précaires se tournent donc souvent vers les associations, les collectivités territoriales, les centres sociaux, voire par exemple les employé·es de médiathèque pour leurs démarches en ligne.

Nous assistons de facto à l’externalisation des missions de service public en matière d’information, d’aide à la constitution des dossiers et de saisie des demandes pour de nombreuses démarches. On observe aussi la multiplication d’acteurs privés proposant des services payants d’aide aux démarches dématérialisées (notamment pour l’obtention des rendez-vous en ligne ou l’accès aux prestations sociales). Des associations, des syndicats ou encore des professionnel·les du travail social accompagnent et accompagneront des personnes dans leur accès aux droits, mais ces démissions du service public excluent toujours un peu plus du droit commun une frange de la population et portent atteinte au principe d’égalité d’accès au service public, ainsi qu’à sa gratuité et sa continuité.

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Nos organisations appellent les pouvoirs publics à remettre le principe d’égalité d’accès au service public au cœur de l’organisation des administrations.

Le numérique doit, conformément à l’article 1 de la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978, « être au service de chaque citoyen » et ne « porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques ».

Pour cela, le maintien d’une alternative au numérique s’impose, conformément à la loi et à la jurisprudence du Conseil d’Etat.  L’accueil physique ne saurait être réservé à celles et ceux ayant réussi à franchir le mur numérique.

Nous voulons un service public humain et ouvert à ses administré·es, qui fonctionne pour toutes et tous et qui ne sacrifie personne.

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