Madame la Présidente,
Le 11 avril dernier, nous avons manifesté en masse avec les magistrats et personnels de justice pour s’opposer au projet de loi réformant la Justice, lequel ne vise qu’à faire des économies au mépris des droits des justiciables.
Or depuis, que s’est il passé ?…. La Garde des Sceaux a présenté son projet de loi au Conseil des ministres et vous en a remis une copie le jour même. Vous nous indiquez que ce rendez-vous a permis de renouer le dialogue et d’instaurer une démarche de concertation en mettant en place de nouveaux groupes de travail.
En réalité la ministre de la Justice continue d’alterner les concertations, pour la forme, et les dissimulations au moyen d’ordonnances et de décrets, qu’elle se refuse à produire soutenant à certains qu’ils n’existeraient pas encore alors qu’elle affirme aux autres qu’ils seront finalisés en juin et applicables en septembre prochain.
Or l’étude d’impact du 19 avril 2018 révèle que la plupart des dispositions de la réforme, notamment celles concernant la procédure civile telles que : la généralisation de la médiation obligatoire, la déjudiciarisation par la généralisation des plateformes, l’expérimentation des procédures de révisions des pensions alimentaires par la CAF, la création d’une juridiction nationale dématérialisée de traitement des IP ou encore la spécialisation des juridictions, feront l’objet de décrets.
Lors de l’assemblée générale du CNB qui s’est tenue le 4 mai dernier, nos élus vous ont fait part de leurs inquiétudes qui sont partagées par de nombreux confrères. En effet, malgré notre mobilisation, la ministre continue de se refuser à toute transparence et à instaurer un véritable climat de confiance et de respect des professionnels de justice, lequel impose que nous puissions connaître les projets de texte et les orientations contenues dans ceux-ci avant d’être reçus.
On peine à imaginer que les projets de décrets et d’ordonnance ne sont pas encore rédigés, car il est bien évident que, sauf amateurisme de la Chancellerie, ils participent d’une architecture déjà élaborée et dont le projet de réforme est l’armature.
Nous avons suffisamment travaillé pour rien, dans le cadre des Chantiers de la Justice, faisant de très nombreuses propositions précises et détaillées notamment en matière pénale sans qu’aucune n’ait été retenue. Nous n’avons plus de temps à perdre à travailler de nouveau à l’aveugle.
Le projet de réforme contient des dispositions dont la logique et les conséquences ne sont pas acceptables, telles que notamment :
- La privatisation de la Justice avec le règlement des litiges en ligne confié à des entreprises privées, le transfert de diverses compétences de protection des personnes vulnérables actuellement dévolues au tribunal à des organismes ou professionnels privés, tels que le contrôle de la gestion des personnes sous tutelles ;
- La généralisation du « miracle numérique » sans souci de ceux – nombreux – qui n’y ont pas accès ;
- La diminution de l’accès à la Justice avec la suppression de 307 tribunaux d’instance et le faux « maintien » des lieux de Justice non spécialisés qui seront vidés de leur substance ;
- Le renchérissement du coût d’accès à la Justice par le préalable obligatoire de médiation que les justiciables auront à assumer financièrement ou encore la saisine unique du Tribunal par voie d’assignation impliquant des frais d’huissier ;
- L’éloignement du juge avec la création d’une juridiction nationale pour le traitement des injonctions de payer, qui profitera aux organismes de crédit au détriment des consommateurs ;
- La déshumanisation de la justice avec l’extension du recours à la visio-conférence pour juger de la détention, cette extension étant selon nous qu’une étape vers une généralisation de la visio-conférence ;
- L’atteinte à l’indépendance de la justice pénale par la restriction de l’accès au juge d’instruction, le contrôle de la plainte avec constitution de partie civile par le parquet, l’élargissement du recours au juge unique au détriment de la collégialité ;
- L’instauration d’une Cour d’assises sans jurés ;
- La régression des libertés et des droits de la défense tels que le développement des interceptions de communication, la restriction des débats judiciaires, l’extension des pouvoirs de la police, généralisation du juge unique au détriment de la collégialité.
Nous vous savons attachée à la défense d’une réforme démocratique de la Justice, humaine et accessible à tous les justiciables, laquelle ne pourra se faire sans une augmentation conséquente du budget de la Justice, ce que le projet de loi de programmation, malgré les apparences, ne garantit absolument pas. Les moyens de la réforme, tout comme que la présentation des projets de décrets et d’ordonnance, doivent être un préalable à toute entrevue.
Je vous prie d’agréer, madame la Présidente l’expression de mes salutations confraternelles.
Laurence Roques
Présidente du SAF