PUBLIÉ LE 14 février 2024

Dans un contexte international de régression du droit à l’IVG, le gouvernement, porté par une opinion française largement favorable à inscrire le droit à l’IVG dans la constitution, a soumis au Parlement un projet de loi constitutionnelle « visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse ».

Comme son intitulé ne l’indique pas, il propose d’ajouter à l’article 34 de la Constitution, c’est-à-dire au titre des compétences du « législateur », les termes suivants : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse »

Ce projet, actuellement débattu au Parlement, déçoit une partie de la communauté juridique et des acteur.ices de terrain qui espéraient que le texte permettrait d’empêcher un recul du droit à l’avortement.

Le SAF partage cette déception et s’inquiète même de la propension du texte à ouvrir la porte à un tel recul.

 

1. Il est dangereux de qualifier de « liberté » un droit fondamental tel que celui d’accès à l’avortement.

Certes, le Conseil d’État est d’avis que droits et libertés ont le même sens au regard du droit constitutionnel. Mais force est de constater qu’il a été décidé de choisir ici liberté plutôt que droit.

Le SAF le déplore car la notion de droit qui, renvoie à l’idée d’une véritable créance vis-à-vis de l’État, qui imposerait l’effectivité de l’accès à l’avortement.

Les opposant·es à la constitutionnalisation d’un droit fondamental à l’avortement se prononcent d’ailleurs toujours pour le voir qualifier de simple liberté, dans le contexte d’un accès à l’IVG très contraint en pratique.

La liberté peut être restreinte là où le droit doit être garanti.

 

2. Le mot « femme » n’est pas neutre

Le SAF déplore ce choix qui dévoile une volonté politique de ne pas étendre cette liberté aux personnes transgenres.

Si le Conseil d’État n’a pas identifié de difficulté sur ce point, son avis ne liera pas les juridictions.

Les avocat·es du SAF pensent notamment à l’expérience individuelle de la personne ne s’identifiant pas comme femme et qui devra, administrativement, légalement, être femme le temps de l’avortement, alors qu’elle lutte souvent depuis longtemps pour se libérer d’une telle assignation.

 

3. Faire entrer l’avortement par la petite porte en donnant toute latitude au « législateur » n’est pas neutre non plus

En l’état, la liberté supposément garantie de mettre un terme à une grossesse, est glissée, incidemment, entre la liberté syndicale et les lois de finances publiques, et il est donné au Parlement les coudées franches pour restreindre l’accès à l’IVG.

Rappelons qu’en France, la crainte n’est ni l’évolution de la jurisprudence, ni le passage en force de normes infra-législatives, mais bien la loi elle-même qui pourrait conduire à une réduction drastique de l’accès à ce droit, si le Gouvernement ou le Parlement souhaite répondre à des injonctions morales et sexistes, au risque d’ignorer toute considération de santé publique et de porter atteinte à la protection du droit fondamental au respect de sa vie privée et familiale.

Ainsi, le SAF est préoccupé par l’étendue réelle de la « garantie » constitutionnelle promise par le projet de loi en débat. Quelle est-elle si la liberté d’avorter peut toujours être conditionnée et restreinte par la loi ?

Cette question est d’autant plus importante que le Conseil constitutionnel pourra s’en remettre à l’interprétation la plus stricte d’un texte récemment soumis à la représentation nationale et respecter à la lettre l’intention légaliste du constituant de 2024.

Elle doit également être posée à la lumière des déclarations récentes du Président de la République qui souhaite un « réarmement démographique ».

L’objectif de garantir le droit de recourir à l’IVG contre des normes de valeur inférieure à la Constitution n’apparaît donc pas rempli ; or, cette garantie apparait plus que jamais nécessaire dans ce contexte.

 

Pour toutes ces raisons, le projet de loi en débat ne constitue pas une protection constitutionnelle effective du droit ou de la liberté à l’avortement.

En conséquence, le SAF réitère son attachement au droit fondamental à l’avortement au bénéfice de toutes les personnes ayant besoin d’y recourir, soutient que sa constitutionnalisation pourrait être une avancée majeure dans la garantie de son effectivité, mais exprime sa plus grande réserve sur les termes de la modification constitutionnelle telle qu’envisagée aujourd’hui.

Ainsi, le SAF propose d’intégrer à l’article 1er de la Constitution un troisième alinéa rédigé comme suit : « La loi garantit l’accès et l’effectivité du droit à l’interruption volontaire de grossesse ».

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