La France est depuis près de deux siècles touchée par une question structurelle de surpopulation carcérale, qu’aucun gouvernement ne s’est donné les moyens de résoudre – se concentrant sur une illusoire course à l’élargissement du parc carcéral sans s’attaquer aux réelles causes de l’inflation de la population emprisonnée.
Cette situation de sur-occupation des prisons françaises, concentrée sur les maisons d’arrêt, a pour conséquence directe l’indignité des conditions de détention vécues par les prisonniers et prisonnières. Pour rappel, au 1er octobre 2019, 1 497 personnes dormaient chaque soir sur un matelas posé au sol, dans des cellules prévues pour une, voire deux personnes.
Les juridictions françaises connaissent bien ce problème et l’État a pu être condamné à indemniser – de façon modeste – les préjudices subis par les personnes détenues du fait de ces conditions de détention. Pour autant, aucun recours, y compris en référé, ne permet aujourd’hui aux personnes incarcérées d’obtenir des juridictions le prononcé de mesures visant à prévenir ces atteintes à la dignité.
La Cour européenne des droits de l’Homme, a été saisie, entre 2015 et 2017, pour une trentaine de requérants et requérantes ayant été incarcérés ou toujours sous écrou dans les centres pénitentiaires de Ducos, de Faa’a-Nuutania, de Baie-Mahault, et dans les maisons d’arrêt de Nîmes, de Nice et de Fresnes, ce dans le cadre d’une campagne contentieuse engagée par l’Observatoire international des prisons – Section française avec le soutien de l’association A3D, du Syndicat des avocats de France et du Barreau de Paris.
À titre d’exemple, au centre pénitentiaire de Ducos, en 2013, les informations recueillies par l’OIP-SF faisaient état de 130 matelas à terre et, en octobre 2019, le taux d’occupation au quartier maison d’arrêt de cet établissement était de 145,28 %.
Aujourd’hui, à l’unanimité, la Cour a condamné la France en raison de conditions de détention dégradantes et inhumaines constituant une violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et pour l’absence de recours effectif à même de prévenir ou de faire cesser ces atteintes en droit interne, en violation de l’article 13 de la même Convention.
Les requérantes et requérants recevront une indemnisation pour les préjudices subis et surtout, la Cour recommande à la France d’adopter des mesures permettant « de garantir aux détenus des conditions de détention conformes à l’article 3 de la Convention » et d’établir « un recours préventif permettant aux détenus, de manière effective (…) de redresser la situation dont ils sont victimes et d’empêcher la continuation d’une violation alléguée. »
Cette décision doit nécessairement amener les pouvoirs publics à repenser l’usage de la peine privative de liberté. « On nous dit que les prisons sont surpeuplées. Mais si c’était la population qui était suremprisonnée ? » s’interrogeait Michel Foucault lors de la création du Groupe d’information sur les prisons (GIP) en 1971. La question demeure d’actualité.
Le SAF et l’A3D condamnent l’abstention coupable des gouvernements successifs à prendre des mesures permettant de lutter effectivement contre la surpopulation carcérale et prévenir ainsi les atteintes graves aux droits des prisonniers et prisonnières. Cette situation vient par ailleurs mettre à mal l’objectif annoncé de « réinsertion » de la peine privative de liberté. Ils espèrent dès lors, reprenant les termes de la juge O’LEARY, que cette importante décision « jouera un rôle important de catalyseur des changements » en France.
Signataires :
Le Syndicat des Avocats de France (SAF) – L’Association des Avocats pour la Défense des Droits des Détenus (A3D) – Le Barreau de Paris